Beckwith croit que le noyau du bouddhisme pré-normatif sont les trois caractéristiques (sct. trilakṣaṇa).
1. Toutes les choses (sct. dharma) sont impermanentes (P. anitya), 2. Toutes les choses sont insatisfaisantes (P. duḥka) et toutes les choses sont sans identité propre (P. anātman).
Il croit également que les trois caractéristiques aient un lien avec les trois thèses du pyrrhonisme, telles qu’elles ressortent d’un extrait d’Aristoclès.
« Les choses (G. pragmata), dit (Timon de Phlionte), [Pyrrhon] les montre également in-différentes (G. a-diaphora), im-mésurables (G. a-stathmēta) et in-décidables (G. an-epikrita). C’est pourquoi ni nos sensations, ni nos jugements (G. doxai), ne peuvent, ni dire vrai, ni se tromper.Beckwith interprète alors les trois caractéristiques conformément au pyrrhonisme :
Par suite, il ne faut pas leur accorder la moindre confiance, mais être sans jugement (G. a-doxastous), sans inclination d'aucun côté (G. a-klineis), inébranlable (G. a-kradantous), en disant de chaque chose qu'elle n'est pas plus qu'elle n'est pas, ou qu'elle est et n'est pas, ou qu'elle n'est ni n'est pas [tétralemme].
Pour ceux qui se trouvent dans ces dispositions, ce qui en résultera, dit Timon, c'est d'abord l'a-phasie (l’impossibilité de dire, non-discours : « le fait de ne pas dire l’être »[1]), puis l'a-taraxie (non-agitation). » (texte d'Aristoclès dans Eusèbe, préparation évangélique XIX, 18, 1-4).
« 1. Impermanentes, c’est-à-dire changeantes, non figées. 2. Insatisfaisantes, c’est-à-dire malaisées, instables. Beckwith se base sur le sens ancien de duḥka (dush-kha, en tant que l’opposé de su-kha « aisée »[2]). 3. Sans identité propre, c’est-à-dire sans cœur, noyau ou essence, qui soit l’un des extrêmes bon-mauvais, vrai- faux, être-non-être etc. « Toute chose n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou elle est et n’est pas, ou elle n’est ni n’est pas. » (Pyrrhon, disciple du Sage des Scythes (Sakamūni))
La clé, qui rapproche le bouddhisme et le pyrrhonisme, est l’absence d’essence, l’absence d’identité propre (P. anātman). Appliquée dans le domaine de la théorie de la connaissance (sct. pramāṇa tib. tshad ma), il y a selon Pyrrhon (et Advayavajra) « ni les sens, ni la raison ». Ni les sens, ni la raison ne permettent de déterminer l’essence d’une chose, autrement dit une connaissance valide[3]. Face à cette impossibilité, Pyrrhon reste dans le non-acquiescement (G. sugkatathesis). C’est la célèbre suspension du jugement (G. épochè), que l’on traduit aussi par « arrêt, interruption, cessation ». Cet arrêt conduit d’abord au non-discours (aphasie) et finalement à « l’absence de troubles » (G. ataraxie), ce que les bouddhistes appelleraient « nirvāṇa » en sanscrit ou « mya ngan las ‘das pa » en tibétain.
Être sans identité propre, c’est ne pas avoir de cœur, noyau ou essence. Les choses (pragmata) ne sont ni bonnes ou mauvaises en soi, ni vraies ni fausses. « Toute chose n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou elle est et n’est pas, ou elle n’est ni n’est pas » dit Pyrrhon. Ce qui fait qu’une chose apparaît comme une chose, ce sont les particularités (sct. nimitta) que perçoivent les sens ou la raison. Les particularités permettent de différencier les choses, d’établir leur différence. Mais cette différence n’est pas essentielle, elle n’appartient pas à la chose. Nous ne pouvons pas dire d’une chose qu’elle est grande ou petite en soi, sans la comparer à une autre.
Les fruits du pyrrhonisme et du bouddhisme ne peuvent pas être très différents. Surtout pour des pyrrhoniens et des bouddhistes.
Être sans identité propre, c’est ne pas avoir de cœur, noyau ou essence. Les choses (pragmata) ne sont ni bonnes ou mauvaises en soi, ni vraies ni fausses. « Toute chose n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou elle est et n’est pas, ou elle n’est ni n’est pas » dit Pyrrhon. Ce qui fait qu’une chose apparaît comme une chose, ce sont les particularités (sct. nimitta) que perçoivent les sens ou la raison. Les particularités permettent de différencier les choses, d’établir leur différence. Mais cette différence n’est pas essentielle, elle n’appartient pas à la chose. Nous ne pouvons pas dire d’une chose qu’elle est grande ou petite en soi, sans la comparer à une autre.
« [Pyrrhon] soutenait qu’il n’y a ni beau ni laid, ni juste ni injuste, et pareillement, au sujet de toutes choses, que rien n’est en vérité [tib. ma grub], mais qu’en tout les hommes agissent selon la convention et la coutume, car chaque chose n’est pas plutôt ceci que cela. »[4]Pas plutôt ceci, par exemple grand, que cela, par exemple petit. Pas plutôt l’un extrême (tib. mtha’) que son contraire. En ne s’appuyant pas sur les particularités (sct. animitta) que semblent avoir les choses (G. pragmata), il n’y a pas de différenciation (G. a-diaphora) entre elles. On se place au-dessus des différences apparentes (tib. mtha’s las ‘das pa sct. atyanta), sans se décider (tib. mi gnas pa sct. apratiṣṭhita G. an-epikrita) pour l’un ou l’autre extrême. Le dépassement des extrêmes (sct. atyanta) est le dépassement des différences, ou plutôt le non-investissement dans un extrême. Ce dépassement est aussi appelé la vacuité qui dépasse les extrêmes (tib. mtha' las 'das pa stong pa nyid sct. atyanta-śūnyatā). La non-différentiation (tib. mi rtog pa sct. avikalpa) conduit à l'absence d'objectif (sct. apranihita). L’absence de particularités, la vacuité et l’absence d’objectif sont les trois portes de la libération (sct. vimokṣamukham tib. rnam thar sgo gsum) du bouddhisme.
Les fruits du pyrrhonisme et du bouddhisme ne peuvent pas être très différents. Surtout pour des pyrrhoniens et des bouddhistes.
« Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être beaucoup se laisse tromper par les apparences. Rares sont ceux qui ont l'intelligence de voir ce qui se cache derrière les masques. » (Phèdre le fabuliste)
« Les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être ni autrement qu'elles ne paraissent »
« Les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être ni autrement qu'elles ne paraissent »
(Laṅkāvatāra Sūtra)
[1] Pyrrhon ou l’apparence, Marcel Conche, p. 128
[2] Ce qui se rapportait originellement aux roues d’un chariot, roulant bien ou roulant mal. (Monier-Williams)
[3] Selon Schopenhauer la raison connaît abstraitement et forme les concepts. L’entendement est l’application de la loi de causalité. Livre I, Le monde comme représentation, Folio Essais, p.136-137
[4] Diogène Laërce IX, 6. Traduction Marcel Conche p. 91
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[1] Pyrrhon ou l’apparence, Marcel Conche, p. 128
[2] Ce qui se rapportait originellement aux roues d’un chariot, roulant bien ou roulant mal. (Monier-Williams)
[3] Selon Schopenhauer la raison connaît abstraitement et forme les concepts. L’entendement est l’application de la loi de causalité. Livre I, Le monde comme représentation, Folio Essais, p.136-137
[4] Diogène Laërce IX, 6. Traduction Marcel Conche p. 91
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