Le bouddhisme normatif se construit autour de la triade saṁsāra-karma-mokṣa, qui existait déjà dans les Upaniṣad[1], mais qui fut reformée par le Bouddha.
Le saṁsāra est un cercle vicieux dont le fuel est le karma, l’agir. Tant que nous agissons, motivés par la convoitise, l’aversion et l’aveuglement, nous tournons en rond dans un cercle vicieux. Voici une interprétation très raisonnable, mais malheureusement trop psychologique au goût de certains bouddhistes normatifs.
Pour ce même bouddhiste (quelqu’un l’aurait-il vu quelque part ?), « quelque chose », sans essence mais grevée de karma, ou une sorte d’agrégat de karma, termine une existence (gati), pour en entamer une autre, poursuivant le cycle, jusqu’à ce qu’il ne reste plus un gramme de karma, et que ce « quelque chose » est libre et léger comme une plume. Mais en attendant, « il » passera d’une existence (gati) à une autre, en fonction du poids du karma qu’il traîne à la patte.
Le saṁsāra, s’il est considéré comme une série d’existences (sct. gati), compte actuellement six destinées, le plus souvent appelés « mondes » (ṣaḍ-gati). Les dieux, les demi-dieux, les humains, les animaux, les mânes et les enfers. Actuellement, car il fut un temps où il comptait cinq mondes, lorsque les dieux et les demi-dieux n’étaient pas comptés séparément.
Peut-on vraiment parler des six « mondes » ? En le faisant, on peut être tenté par penser que le monde des humains et le monde des animaux étant « réels », les mondes célestes et souterrains devraient avoir le même ordre de réalité, du point de vue du concept des « six mondes ». Pourquoi parler de deux mondes (humains et animaux), si les humains et les animaux partagent le même « monde » ? Pour ce qui est de destinée, on pourrait dire que les animaux et les humains ne partagent pas la même destinée, mais que cela signifierait dans la pratique ? Nous partageons les destinées d’autres humains, et il est évident que des humains peuvent partager leur destinée avec des animaux, quelquefois considérés même comme des membres de leur famille. De quel ordre est alors le gati ?
On pourrait d’ailleurs aussi faire un classement en trois niveaux, en regroupant les êtres célestes (dieux et demi-dieux), les êtres terrestres (humains et animaux) et les êtres souterrains (mânes et enfers). Et on s’approche ainsi du concept védique (?) de trois niveaux : le ciel, la terre et le monde des mânes (pitṛloka). Selon les Védas, ce dernier aurait été découvert par Yama, car avant lui les seules destinations furent le ciel et la terre, et éventuellement un puits de ténèbres (un genre de Tartare avant la lettre, une fosse commune aux dimensions cosmiques) pour enfermer les mânes, afin d’éviter qu’ils reviennent, des oubliettes en quelque sorte... La découverte par Yama était présentée comme quelque chose de plutôt positif. Les mânes avaient désormais un chez soi et Yama était leur roi. Au cours des siècles, et au fil de l’inspiration des devins, le monde des mânes fut aménagé et étendu. De nouveaux manèges furent imaginés et ajoutés avec pour animateurs des anciens dieux dégradés en démons.
Chez les sumériens, il y avait hormis le ciel et la terre un monde souterrain, où allaient les mânes. Dans ce monde, les mânes souffraient de la soif. Plus un sumérien avait de fils (sic), et plus il pouvait s’estimer heureux quand, après la mort, il souffrira de la soif dans le monde souterrain. Car tous ses fils pourraient faire des libations d’eau fraîche[2] et ainsi soulager sa soif.[3] Ce monde fut la destination commune de tous ceux qui mouraient, y compris les héros Gilgamesh et Enkidu. Seul Ziusudra (« Noah ») avait pu accéder avec sa femme à l’immortalité, grâce à son arche qui lui avait permis de traverser les flots et d’échapper au Déluge.
Quelques millénaires plus tard, chez les bouddhistes, il y aura d’abord cinq, puis six « mondes » - appelé l’océan du saṁsāra - à traverser. Pas dans une arche mais par une série d’absorptions et de recueillements (dhyāna et āyatana), série expliquée par le Bouddha dans de nombreux Discours, notamment dans le Discours de l’analyse des éléments (Dhātuvibhaṅga-sutta, Majjhima Nikaya 140). C’est assis sous un figuier (par exemple) que cette série peut être faite et que la libération (mokṣa) peut être trouvée. Il n’est donc pas besoin de mourir, de passer par le bardo et de renaître dans une terre pure ou ailleurs, pour « traverser l’océan du saṁsāra ».
De toute façon, quelle que soit le moment de la libération (mokṣa), il est certain que ce moment soit un « maintenant ».
New Buddha Series: Mickey Mouse (2008) par l'artiste tibétain Gade |
***
[1] How Buddhism Began, Richard F. Gombrich, p. 31 etc.
[2] Voir le billet Importation, homologation et exportation d'une ogresse (yaksi). Comparer avec Jalabalividhi (Chu gtor gyi cho ga). Tôh. no. 3775. Derge Tanjur, vol. TSHU, folios 193v.4 195r.5. Tr. by Rin chen bzang po. Author's name given as alternatively Jayasena or Jayasenā.
Chu gtor ou chab gtor; a water torma; ritual text outlining the method for offering water (chu sbyin) and rolled dough pellets (gtor ril) [RY]
water offering to the pretas [IW] water offerings, oblations to the dead, water to quench yi dwag thirst [JV]
[3] A. R. George-The Babylonian Gilgamesh Epic_ introduction, critical edition and cuneiform texts - Volume 1-Oxford University Press (2003), p. 13
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire