samedi 11 mars 2017

Le bouddhisme pour les nuls



Le bouddhisme est l’ensemble de théories et de pratiques développées par ceux qui se réclament du Bouddha, un sage scythe qui aurait vécu au VI-Vème siècle avant J.C. Il serait initialement apparu comme un courant de renonçants ascétiques (śramaṇa), en réaction contre le brahmanisme et le zoroastrisme dominants de l’époque. Les courants principaux de renonçants étaient le bouddhisme, le jainisme et les ājīvika (« déterministes »). Il existait encore un autre courant « sensualiste », qualifié par leurs adversaires de « matérialiste » ou « nihiliste », et qui s’appellait les cārvāka ou lokāyata. Ils s’opposaient non seulement au brahmanisme et le zoroastrisme, mais aussi à certaines croyances des courants de renonçants. Ils affirmaient que seul ce monde existait, ils ne croyaient pas à l’efficacité des sacrifices des rituels, ni aux dieux.

Le bouddhisme est donc à l’origine un courant de renonçants se considérant comme une voie du milieu. Entre « l’être » (p.e. du brahmanisme et le zoroastrisme) et le non-être (p.e. des cārvāka), mais aussi entre l’ascétisme et la recherche du plaisir. La recherche du milieu se retrouve dans la pensée juste, l’acte juste, l’effort juste etc. de l’octuple chemin. Le « juste » indiquant ni trop, ni trop peu.

Au niveau de la réalité des choses (dharma) qui constituent notre monde et notre expérience, le bouddhisme choisit toujours la voie du milieu : les choses apparaissent, mais sans avoir d’essence propre. Elles apparaissent de causes et de conditions, dont elles dépendent. Elles n’existent donc pas par elles-mêmes et n’ont pas d’essence propre (svabhāva) ou de soi (ātman). Comme elles apparaissent et disparaissent, elles sont passagères, impermanentes (annica). Leur manque d’essence propre et leur impermanence, autrement dit leur insaisissabilité les rend douloureux (dukkha), pour celui que leur attribue une essence qu’elles n’ont pas.

Ce que le bouddhisme appelle « choses » (dharma), ce sont en fait les objets du mental. Tout comme les facultés sensorielles ont chacune leur objet sensoriel, le mental (manas) a pour objet les choses (dharma). Il ne faut pas oublier cette définition. Les objets mentaux n’ont donc pas d’essence propre, ils sont passagers (ils apparaissent et disparaissent sans cesse) et ils sont par conséquent « douloureux ».

Le Bouddha invite chacun à en faire l’expérience (Ehi passiko, voyez par vous-mêmes !). En s’asseyant et en se concentrant sur un objet (par exemple le souffle), on s’aperçoit rapidement que ce simple exercice est compliqué par un va-et-vient incessant de pensées et d’émotions. En exerçant la concentration de cette façon, le mental se pose un peu, se ralentit et il devient plus facile d’observer l’apparition et la disparition incessante des pensées et des émotions. C’est en observant l’apparition-disparition (mort-naissance) des pensées et des émotions que l’on s’imprègne de leur nature : elles n’ont pas d’essence, elles sont passagères et malaisées (incontrôlables).

Nous nous concevons nous-mêmes comme étant un corps et un esprit, des ensembles que nous avons tendance à considérer comme une unité à laquelle nous attribuons une essence. Notre corps (rūpa) est très clairement constitué de parties et est donc un ensemble conditionné. Il en va de même pour l’unité apparente que nous appelons « l’esprit » (nāma). Il se constitue d’ensembles de sensations (vedanā), de perceptions (samjñā), de volitions (samskāra) et d’instants de conscience (vijñāna). Les ensembles (skandha) constituant « l’esprit » sont à leur tour constitués de « choses » (dharma), autrement dits d’objets mentaux. Des « choses » qui apparaissent, qui sont là, sans avoir d’essence autonome, et qui de ce fait sont quelquefois comparées à des illusions. L’exemple d’illusion ne veut pas dire que notre réalité n’existe pas, qu’elle n’est pas réelle. Elle est réelle, mais conditionnelle, car elle dépend de causes et de conditions.

Parler de la nature des choses (dharmatā) ou de la nature de « l’esprit » (cittatva) est se référer à ces caractéristiques et à la coproduction conditionnée ou la corrélation des choses, qui les rend semblable à une illusion, mais surtout malléables et fonctionnelles (workable). Ce qui connaît la nature des choses et la nature de l’esprit est appelé « Bouddho ». Le vénérable ajahn Liem explique que « Bouddho » signifie : « Ce qui sait et qui est éveillé ».[1]

Voir et connaître la nature des choses et de « l’esprit » est être éveillé. « Prendre refuge » en « ce qui sait et qui est éveillé » est en fait voir et connaître la nature des choses et de « l’esprit ». « Prendre refuge » n’est qu’une métaphore pour montrer que l’on se met à l’abri de la méprise et de ses conséquences en connaissant la nature des choses (dharmatā). Le Bouddha historique est mort, il ne peut pas faire ce travail à notre place. Les Bouddhas remémorés sont des objets mentaux, dont nous connaissons les caractéristiques. Le Bouddha vivant est « ce qui sait et qui est éveillé ». « Ce qui sait et qui est éveillé » est recouvert par les trois poisons : la convoitise, l’aversion et l’aveuglement. Ce sont ces trois poisons qui l’empêchent d’être pleinement éveillé. L’éveil est ainsi synonyme de l’absence de l’emprise des trois poisons.

Ici aussi, on retrouve la voie du milieu bouddhiste. En fait, la base des trois poisons, c’est le couple convoitise-aversion (j’aime-j’aime pas). Le troisième poison est l’indifférence (cela m’indiffère), mais qui n’est pas de l’équanimité, car il « ne sait pas et n’est pas éveillé ». L’aveuglement recouvre à la fois l’indifférence et l’enfermement même dans un fonctionnement binaire (j’aime-j’aime pas), où l’on est constamment tiraillé entre deux pôles ou dans l’indifférence. Cet enfermement empêche d’avoir une connaissance globale d’ensemble. Au lieu de se poser au-dessus du phénomène on est consommé par lui. On adhère à chaque naissance-mort d’une pensée-émotion en lui attribuant une essence qu’elle n’a pas. Par l’appropriation/identification, on naît avec chaque pensée-émotion et on meurt quand elle disparaît. Ce fonctionnement d’appropriation/adhésion aux naissance-mort est appelé Errance (saṁsāra). Il nous fait penser par le biais de la convoitise, l’aversion et l’aveuglement et nous empêche de penser et d’agir de façon juste.

Ce qui vaut au niveau individuel vaut aussi au niveau collectif. Comment être éveillé, ou « bienheureux » dans un monde qui ne l’est pas ?

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[1] Ajahn Liem 

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