Détail Tombe de Rekhmirê |
Les hommes ont développé des civilisations avec des lois (dharma) qui les survivent, mais ces civilisations et lois ne peuvent pas se passer des générations d’humains. On pourrait en arriver à croire que ces civilisations sont quasi-éternelles, tandis que les hommes sont périssables. Les hommes, participant aux civilisations, atteignent cependant une certaine part immortelle grâce à elles. Mais “l’immortalité” des civilisations et des hommes dépend néanmoins d’une “infrastructure”: la terre, la végétation, la faune, des hommes... Quand on oublie cela, et que l’on est quelque peu aveuglé par la part “immortelle” et “immatérielle”, on pourrait penser que cette part immortelle précède l’homme et tout ce qui le constitue. On se fixe alors sur le haut de la pyramide, en oubliant ce qui le supporte. Quand on pense que la “conscience” est le plus haut que puisse atteindre l’homme en la séparant de tout le reste qui la soutient, on l’essentialise. On en fait une essence orgueilleuse qui pense (eh oui, l'essence se pense) qu’elle peut exister sans tout le reste et qu’elle en est même l’essence: c’est-à-dire que tout le reste ne pourrait pas vivre sans elle. C’est la superstructure qui se prend non seulement pour l’infrastructure mais comme l’essence, la vie et la vérité.
La même tendance d’essentialisalisation et de l’hiérarchisation des essences ainsi conçues se trouve dans l’homme, la société, la civilisation. Non seulement la “conscience” est immortelle, mais même l’individu le serait et pourrait re-naître... Les mondes peuvent périr, mais leur essence est préservée, de façon à ce que les mondes peuvent se former de nouveau, quasi à l’identique. Idem pour le Dharma, la loi éternelle. Elle peut périr, mais elle sera re-découverte par un avatar, un messie, ou un autre envoyé du plérôme-superstructure. Et cette Loi (féodale) dira les hiérarchies “naturelles”, où le ciel commande à la terre, l’âme au corps, l’intellect au désir, l’homme à l’animal, le mâle à la femelle, etc. et (re)mettra de l’ordre dans le chaos, avec un aplomb surprenant.
Dans la révolution financo-informatique que nous vivons, les nouveaux dieux veulent faire croire que sans la finance et l’informatique rien n’est possible. C’est l’infrastructure qui a besoin d’eux et doit leur faire des sacrifices : le temps, la disponibilité de cerveau, leurs enfants, leurs vies… en échange de quelques pluies éparses. La dette est le nouveau péché originel. Avec les “droits d’accès” comme indulgences pour acheter un coin de ciel. On naît endetté envers les dieux, et on passera la dette à ses enfants. C’est oublier que tous les serveurs sont fabriqués pièce par pièce, au moindre coût, dans des ateliers sordides par les couches les plus basses de la société et tournent avec des énergies, dont les sources se trouvent à différents coins du globe, souvent défendues manu militari. Pour donner l’illusion au consommateur qu’il suffit de pousser sur un bouton, pour que la magie opère.
Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les érigea ? De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée.
N’avait-elle que des palais
Pour les habitants ? Même en la légendaire Atlantide
Hurlant dans cette nuit où la mer l’engloutit,
Ceux qui se noyaient voulaient leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Tout seul ?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?
Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne
Pleura. Personne d’autre ne pleurait ?
Frédéric II gagna la Guerre de sept ans.
Qui, à part lui, était gagnant ?
A chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait ?
Autant de récits,
Autant de questions.
Questions que pose un ouvrier qui lit, Bertold Brecht
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