vendredi 20 mai 2011

Les effets néfastes des détournements de dons

Dans les chants de Milarepa[1] et dans les hagiographies des grands maîtres bouddhistes, nous lisons souvent le conseil de ne pas prendre en charge la gestion d’un monastère ou d’un siège (T. gdan sa). Dans son autobiographie[2], Jamgon Kongtrul (1813-1900), en sa quatre-vingt-deuxième année (1894-1895) donne quelques précisions. Il explique que depuis son jeune âge, il avait toujours rejeté les affaires du monde, qu'on ne lui avait pas donné de titre de lama réincarné[3] et qu'il n’avait pas subi les effets des « détournements de dons non-intentionnels »[4] (T. dkor sgrib) auxquelles s’expose celui qui a la charge d’un monastère.

"Je n’avais pas besoin de telles activités tout en préférant, jusqu’à maintenant, me vouer exclusivement aux activités positives et spirituelles. C’est en fait l’essence d’une vie, et jusqu’à la trentaine, je n’avais pas fait l’objet d’aucun détournement des offrandes faites par des dévots ou des offrandes faites pour le salut de personnes décédées. Mais depuis cette époque, les effets négatifs des détournements de dons non-intentionnels sont devenus de plus en plus pesants. Ma vision intérieure claire et mes qualités positives sont devenues davantage obscurcies, tandis que les effets de mes actes nuisibles, mes déficiences morales et mes tendances négatives ont accrus. Comme le dit le soutra « Il est plus nuisible pour quelqu’un d’endommager ses engagements éthiques et d’être impliqué dans des détournements de don que pour une personne méchante d’assassiner mille personnes par jour. »

Il n’y a personne – ni moi-même, ni d’autres – qui ne manque de souligner l’importance des trois types d’engagements (T. sdom gsum). Mais en ce qui concerne les vœux de libération personnelle, tant qu’un moine ne s’associe pas ouvertement avec une femme, il est considéré avoir gardé ses vœux purs ; les gestionnaires des monastères et les lamas n’attachent aucune importance aux violations fondamentales d’un religieux. Pour ce qui est des vœux de bodhisattva, le défaut principal, qu’est l’abandon moral du salut d’un autre, ou le développement des quatre attitudes négatives [5] semblent au contraire être devenus la pratique courante dans lesquels les gens s’engagent ! Quel besoin de mentionner les engagements ésotériques (S. samaya) associés aux quatre niveaux des consécrations des tantras supérieurs ? Ces engagements s’évanouissent tels des arcs-en-ciel quand les gens s’engagent dans les violations primaires et secondaires des engagements ésotériques de la tradition des mantras sans réfléchir aux conséquences.

Il est dit que la cause de toutes ces situations ce sont les quatre façons de laquelle la déchéance morale se produit, c’est-à-dire à cause de l’ignorance, le manque de respect, le manque de vigilance et la propagation des affects (kleśa). D’abord, en ce qui concerne l’ignorance, si la plupart de ceux à qui de nos jours on donne le titre de lama ou tulku n’ont pas la moindre idée des trois niveaux de vœux (c’est-à-dire les directives à suivre en matière des différents degrés d’infractions, transgressions ou violations pouvant se produire), comment pourrait-on s’attendre à ce que les moines ordinaires les connaissent ? Deuxièmement, même si quelqu’un n’a pas un manque de respect profond pour l’entrainement, sans la connaissance il ne peut y avoir de respect véritable. Et ceux qui –pire encore – se moquent de leur ordination commettent une erreur énorme. Troisièmement, il est nécessaire de développer de la vigilance, de l’attention et une présence d’esprit. Car ceux qui en sont incapables exposent leurs actes physiques, verbaux et mentaux à être balayés par le manque de vigilance. Quatrièmement, les gens nés dans ces temps de dégénérescence spirituelle sont sujets aux affects qui deviennent de plus en plus puissants. La plupart de gens sont sous l’emprise d’un des trois poisons. C’est à cause de ces défauts que je suis moi-même constamment en proie à la crainte lancinante qu’il n’y a pas d’autre destinée pour moi qu’une existence malheureuse. Ce qui précède sert de conclusion." (252-253)



[1] Le chant « A quoi bon ? » http://hridayartha.blogspot.com/2010/05/chant-le-testament-de-milarepa.html
[2] The autobiography of Jamgon Kongtrul, A gem of many colours, traduit par Richard Barron (Chökyi Nyima).
[3] Richard Barron présume que le titre qui lui fut donné, Kongpo Bamteng Tulku, n’était pas un titre très important et était principalement donné pour des raisons politiques. Il considérait donc ne pas avoir reçu de titre. P. 364, note 992
[4] Traduction de Richard Barron, littéralément : obnubilation par l’argent
[5] 1. tromper les maîtres spirituels et les personnes vénérables 2. faire en sorte que d'autres se sentent honteux sans raison 3. par ressentiment dire des choses inappropriées à un bodhisattva doté de l'esprit de l'éveil 4. se comporter sans générosité envers les êtres - Jewel Ornement of Liberation, Gunether, p. 145 Traduction originale en anglais

“Such circumstances seem practically impossible ever to find within the bounds of samsara, but even though I have enjoyed them, due to the powerful influences of my karma and past aspirations, as well as the fact that my personal freedom has been sacrificed for others, I have not truly been able to apply myself to the essentials of spiritual practice in the way that I intended. Instead, I have been distracted by an uninterrupted process of projects—activities that I never intended to pursue. Nevertheless, from an early age I have, as a matter of course, rejected things of this world. I have not been given any title as some great incarnation.992 I have not been burdened with the effects of unintentional misappropriation incurred by anyone overseeing a monastery. [ 189b] I have had no need for any such activities, but rather have, up to the present, strived solely at positive and spiritual activities.

This is the very essence of what someone’s biography should contain, and up until my thirties I had not been affected by any misappropriation of support offered by the faithful or offerings made on behalf of deceased individuals. Since that time, however, the negative effects of such unintentional misappropriation has become a heavier and heavier burden to me. My clear inner vision and positive qualities have become more obscured, while the effects of my harmful actions, moral failings, and negative habits have become more prevalent. As one of the sutras states, “It is a more grievous fault for someone to violate their ethical discipline and become involved in misappropriation than for an evil person to kill a thousand people every day.” There is no one—not me, not anyone else—who doesn’t affirm the three levels of ethical discipline. But on the level of the vows for individual liberation,9” as long as a monk doesn’t openly consort with women, he is deemed to be keeping his vows purely; monastic administrators and lamas don’t attach any importance to the other fundamental downfalls of a monastic.994 As for the bodhisattva vow, the fundamental flaws—of mentally abandoning another being or engaging in the four negative attitudes—seem to have become the actual practices in which people engage! So why even mention the samayas associated with the four levels of empowerment in the highest level of tantra, samayas that have vanished like a rainbow fading, when people engage in most of the primary and secondary downfalls of the samaya of the mantra approach without even thinking about the consequences.

The causes of all these situations is said to be the four ways in which moral failings occur—that is, due to ignorance, lack of respect, heedlessness, and a plethora of afflictive emotions. [ 190a] First, as for ignorance, if most of those who are given the titles of a lama or tulku nowadays haven’t the slightest clue about the three levels of ordination—about what constitutes the guidelines to be observed or the various degrees of infractions, transgressions, or violations that can be incurred—how can we expect the rank-and-file monks to know? Second, although someone might not have a deeply-held lack of respect for the training, without knowledge there can be no real respect; and those who, worse still, deliberately flout their ordination are committing an egregious mistake. Third, it is necessary to cultivate heedfulness, mindfulness, and alertness, for if one is unable to do so, one’s physical, verbal, and mental behavior falls under the sway of heedlessness. Fourth, people bom in these times of spiritual degeneration are subject to afflictive emotions that are growing steadily more powerful, so people for the most part are under the sway of one or another of the three emotional poisons.996 Due to such flaws, I myself am constantly plagued by the nagging dread that there is no destiny for me but some lower state of rebirth. The foregoing amounts to my concluding remarks."

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