lundi 5 mars 2012

Buddhadasa Bhikkhu



Avant le roi Mongkut, Rama IV (1804- 1868, connu en occident par Anna et le Roi), et son fils, le patriarche Vajiranyanavarorot, très influencé par l’occident et les Lumières, il n’y avait pas de critique du bouddhisme traditionnel avec ses croyances et rituels, tel qu’il fut pratiqué en Thailande. Et le travail commencé par Vajiranyanavarorot ne fut repris qu’à l’époque de Buddhadasa (1906-1993), intéressé par les livres d’universitaires occidentaux en matière du bouddhisme, les sciences, par le ch’an, la démythologisation et la réinterprétation des mythes, le christianisme, les mystiques, la théosophie… Il s’était formé comme projet de sauver le bouddhisme dans et de la société moderne.[1]

Il avait développé la théorie des deux niveaux de langage du bouddha : le langage humain (P. puggalādhiṭṭhāna) et le langage dhammique (de dhamma, dhammādhiṭṭhāna). Le premier est superficiel, externe, matériel, populaire ou commun et met en scène un homme-individu. Le deuxième est profond, abstrait, immatériel, intérieur et utilisé par et pour ceux qui « voient le Dhamma »[2]. Il critiquait l’abhidhamma et les commentaires de la tradition theravāda, dont il faisait lui-même partie, et qu’il considérait comme une réinterprétation du bouddhisme plus ancien s’appuyant plutôt sur le suttapiṭaka. Il précisait qu’il fallait « connaître clairement la différence entre le bouddhisme limité par les Ecritures et le bouddhisme situé au-dessus des Ecritures. »[3] Les critères de l’authenticité de l’enseignement du Bouddha étaient selon lui des critères de simplicité, de finalité, d’utilité immédiate, de détachement, du non-soi et de la vacuité. Et ces critères furent appliquées au bouddhisme tel qu'il était pratiqué en Thailande.

Traditionnellement, dans le theravāda, la réalité conventionnelle (P. sammuti, qui prend les phénomènes apparents pour fondement) était opposée à la réalité ultime (P. paramattha, pour Buddhadasa la vacuité, qui n’est pas apparente). Buddhadasa ajoute une troisième catégorie de conventions doctrinales (P. paññatti S. prajñāpti T. tha snyed), « légèrement meilleures » que les conventions normales, mais toujours relatives. Par exemple en déconstruisant les choses apparentes en « éléments terre, eau, feu air, oxygène, hydrogène ou n’importe quoi », bref en des dhamma, on voit plus profondement d’un degré, on est moins abusé d’un degré », mais « on peut rester attachés à ces conventions doctrinales. »[4]

Paralléllément à ces trois niveaux de réalité, que l’on pourrait aussi appeler superficielle, nominale et sous-jacente, il a donné une autre classification de trois niveaux de réalité, plutôt vus du côté du sujet : le corporel, le mental et le « spirituel » (spirituel étant l’adjectif de l’esprit. Buddhadasa utilise le terme vijñāna/viññana pour traduire « spirituel », avec des précautions toutefois)[5]. C’est nouveau dans le theravāda, et c’est sur cette façon de penser que s’appuie sa critique de l’abidhamma.
L’abidhamma décompose la réalité en dhammas en suivant des exercices mentaux qui permettent d’atteindre des degrés d’extinction provisoire (P. sāmaññanirodha), mais qui ne permettent pas de dépasser le niveau mental pour atteindre le niveau spirituel, qui est celui de la vacuité.

Le passage ci-dessous est très intéressant :
« Si quelqu’un sait que les agrégats sont momentanés, extrêmement brefs, comme un moment mental , on dit qu’il connaît le khaṇikavāda, c’est-à-dire la doctrine, l’enseignement expliquant que toutes les choses n’ont d’existence que momentanée. Si c’est tellement rapproché ou tellement bref qu’on ne peut l’étudier, on peut s’en dégager un peu et dire : la durée de chaque pensée où l’on s’affirme « moi », c’est un individu. On s’en tient au principe de la Production Conditionnée selon lequel chaque fois que l’on s’appréhende comme un « moi » d’une manière ou d’une autre un individu est né à une existence : tantôt une minute environ puis il s’éteint ; tantôt cinq minutes environ puis il s’éteint. Si [cette appréhension en tant que « moi »] est très forte, il demeure des heures avant de s’éteindre puis de renaître. C’est pourquoi l’individu est quelque chose de momentané dont la mesure – large, moyenne ou fine – dépend de nous. Lorsque les moments sont infimes, c’est simplement un moment mental. »[6]
Les naissances (P. jāti T. skye ba) sont alors des unités d’existence et se produisent au cours « d’une vie ». Juste un exemple.

Quelques œuvres de Buddhadasa, traduits en français sont disponibles icien anglais ici.

A Sri Lanka, il y eut le "bouddhisme protestant" d'Anagarika Dharmapala (David Hewatirana) qui influence aentre autres Walpola Râhula (l'auteur de What the Buddha taught).

***

[1] Une herméneutique bouddhique contemporaine de Thaïlande : Buddhadasa Bhikkhu, par Louis Gabaude, 1988, Paris, EFEO (PEFEO, 150)., p. 384
[2] Gabaude, p. 81
[3] C’est la position du Ch’an
[4] Gabaude, p. 96
[5] Gabaude, p. 309
[6] Gabaude, p. 311

1 commentaire:

  1. Lol. C'est bien pourquoi le cogito cartésien n'entre pas en contradiction avec l'absence de soi bouddhiste. Le "je" n'existe que dans le moment ou je le pose en tant que sujet de l'action "penser".
    A d'autres moments il cesse d'exister. C'est une fiction qui est pratique, efficiente, dans le monde relatif.

    "la disponibilité : garder ouverts tous les possibles. Car ce que redoute le sage est la partialité, qui le conduirait, se braquant sur un aspect des choses, à rater l’autre." (...) "la vérité serait ce que l’on peut toujours retourner, entraînant un jeu de contradictions infinies et, par suite, épuisant pour la vitalité... Le sage, lui, ne défend pas un point de vue contre un autre, surtout ne cherche pas à penser différemment des autres (...) ; mais il pense « comme tout le monde », englobant tous les points de vue dans son point de vue.
    https://www.monde-diplomatique.fr/2006/10/JULLIEN/14010

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