mardi 26 juin 2012

Le singe, le chat, le village fantôme et le trésor du roi




Rongzompa, Theg tshul pp. 312-317

[312 :3] Qu'en est-il des absorptions du Bienheureux sur la saisie, la catégorisation, la fermeture et l'ouverture ?
Voici les propos de l'Éveillé :
« Même si c'est le singe concupiscent qui veut saisir [les objets]
C'est le chat voleur qui met à exécution l'acte.
Des maisons vides démontées pièce par pièce
On ferme la porte (T. gser/gseb khung) et les fenêtres.
Mais quand la chambre de trésor royal est ouverte
[Les richesses] sont depuis toujours éveillées. »
A propos du singe concupiscent qui saisit[1].
Il veut saisir tout ce qu'il estime digne d'être saisi parmi les faits (dharma) des [cinq] appropriations (skandha), des [dix-huit] éléments (dhātu) et les [douze] domaines psychosensoriels (āyatana). Aussi, la conscience mentale (mano-vijñāna) est comme le singe concupiscent. [313] Même si elle cible spécifiquement l'objet réel (artha) en passant par la logique (nyāya), elle ne pourra pas l'atteindre.
L'objet réel, sans avoir à passer par la logique, et sans que celui-ci y soit incité, se dévoile de lui-même. Il faut donc faire entrer dans le récipient de l'attention vigilante, celui qui commet toujours des fautes ('phyan pa = 'phan pa) sans raison. Ainsi, il ne sera plus perturbé par autre chose [à l'extérieur].

A propos du chat voleur qui catégorise[2].
De la même façon, il catégorise parmi les faits ceux qu'il estime dignes d'être catégorisés. Par exemple, un chat, en agissant très agilement et doucement, sans que l'autre [animal] s'en aperçoive, lui dérobe de sa vie. Il en va de même de la conscience affligée (kliṣṭa-citta). D'une façon très manipulatrice et subtile, quand la conscience réceptacle est tournée vers l'intérieur, elle la fait se [mé]prendre pour un soi. Cela suscite une idée similaire, quand la conscience mentale se tourne vers les perceptions sensorielles du monde. Tout (sarva) en devient alors contaminé et tombe sous son influence.
De ce fait, si on n'applique pas à tous les faits mentaux (S. dharma) la perspective (S. dhāraṇī) du discernement (S. prajñā) qui accède à l'absence de soi (P. anatta), l'opportunité de s'en libérer ne se présentera jamais. C'est l'approche du discernement lucide (vipaśyanā). La précédante [le singe] étant celle du repos mental (śamatha).

A propos des maisons vides démontées pièce par pièce.
Les [cinq] appropriations (skandha) et les [douze] domaines psychosensoriels (āyatana) sont des maisons vides. N'ayant plus de propriétaires, elles forment un village fantome. Elles sont démontées, car aucune essence propre ne peut y être avérée. La substance (T. nyid S. tva, -tā) de ce village fantome vide peut être comprise comme étant semblable à celle de l'espace. Cela aussi est l'approche du discernement lucide (vipaśyanā).

A propos des portes et fenêtres fermées.
Les cinq portes [sensorielles] sont les perceptions sensorielles. Ce qui se présente devant les fenêtres des cinq facultés sensorielles nous disperse naturellement. C'est par force de la conscience mentale coordinatrice où [les perceptions sensorielles] se regroupent, que [les portes et fenètres] sont fermées, en ne se laissant pas distraire (T. 'phro ba). C'est de nouveu l'approche du repos mental (śamatha).

A propos de l'ouverture de la chambre de trésor royal.
C'est ainsi qu'on appelle l'expertise en les caractéristiques (S. lakṣaṇa) de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Par exemple, la chambre de trésor royal contient des richesses d'une valeur inestimable comme les pierres précieses etc. Mais aussi des substances dangereuses etc. comme substances médicinales.
De même, la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna) est un trésor qui contient à la fois des qualités contaminées (sāsrava = ici : dualistes) et non-contaminées (S. anāsrava). Elle est le réceptacle (T. gnas) de tous les connaissables (S. sarva-jñeya).
Dans les approches des véhicules inférieurs, les caractéristiques (S. lakṣaṇa) du réceptacle de tout (ālaya) évoluent et aboutissent dans l'essence de l'enchainement causal de toutes les qualités contaminées (S. sāsrava) [315]. Comme des fruits qui mûrissent [à partir de graines etc.].
Mais [la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna)] n'est que le support et le réceptacle des [qualités] non-contaminées (anāsrava). En cela, elle est comme un vase contaminé (T. dug) contenant le remède.
Fin de l'explication.

L'approche des véhicules supérieurs[3] est différente.
Les caractéristiques (S. lakṣaṇa) du réceptacle (ālaya) sont dès l'origine authentiques (śuddha) dans la nature du Coeur de la conscience éveillée (bodhicitta), ce qui leur fait dire que « Le réceptacle (ālaya) est la conscience éveillée (bodhicitta) ». Les afflicitions (kleśa) et les dispositions inconscientes négatives (S. dauṣṭhulya) sont des souillures (S. mala) accidentelles. C'est comme de l'or recouvert de saleté (T. gya'). Ou comme une pierre précieuse enfouie dans la boue. Leurs qualités ne peuvent pas se manifester, mais leur matière propre (svabhāva) reste inaltérée.
Voici les propos de l'Éveillé :
[Extrait] de la Structure fulgurante (T. rdo rje bkod pa)[4] :
«  Le joyau flamboyant de la lampe
Même enfoui dans la boue d'un lieu insalubre
Ses propres qualités restent visibles à lui-même
Sa lumière éclairant l'espace
Il en va de même pour le joyau de la conscience-en-soi (cittatva).
Même enfoui dans un corps insalubre du saṃsāra
Sa nature est toujours la Lumière rayonnante
Son discernement éclairant l'espace du fond des choses (S. dharmatā). »
Pour résumer, en tous les cas, tous les faits positifs et négatifs (litt. blancs et noirs) ne sont que le reflet de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Ces reflets apparaissent à cause des traces (S. vāsanā) de schémas inconscients (saṃskāra). Tout en apparaissant, [ces reflets] ne sont pas pour autant existants. Si on aborde tous les faits par leur nature naturellement quiescente (S. nirvāṇa), on aura réussi à ouvrir la chambre de trésor royal.
A partir de là, le singe peut saisir [les objets sensoriels] [en toute tranquillité], et le chat peut catégoriser [à volonté]. Les maisons vides continuent à être démontées. Et leurs portes à être fermées. Avec une telle attitude, on n'aura pas besoin de chercher ailleurs le chemin vers l'éveil. »



[1] Quand la conscience se tourne vers l’extérieur.
[2] Quand la conscience se tourne vers l’intérieur.
[3] Véhicules supérieurs, car s’appuyant sur la doctrine de la nature éveillée. Ratnagotravibhāga.
[4] La source est indiquée par une note ajoutée (mchan).

Texte tibétain (theg tshul, Rongzompa) en Wylie

\[312 :3] de la bzung brtags bkag phye bcom pa dang ldan pa’i ting nge ‘dzin gang zhe na/
‘di skad du//
gtogs ‘dod spre’u ‘di bzung na kyang*/
rkun mo byi la btags byas ste//
khang stong phang phung kun bshig nas//
gser khung skar khung kun bkag ste//
rgyal po’i dkor mdzod kha phye na//
de dag rtag tu sangs rgyas yin//
zhes gsungs pa  ste//
de la gtogs ‘dod spre’u gzung ba ni/
phung po dang khams dang skye mched kyi chos las gzung bar ‘os pa gzung ba ste/
‘di ltar yid kyi rnam par shes pa spre’u’i gtogs \[313] ‘dod ltar/
rigs pa dang ldan pa’i don la ni ched du gtad kyang ‘jug par mi nus/
rigs pa dang mi ldan pa’i don la ni skul ba med par rang zhugs byed de/
rtag tu don med par ‘phyan pa ‘di shes bzhin dran pa’i snod du bcug ste/
gzhan du mi g.yo bar bsdam dgos so//
rkun mo byi la gdags pa ni/
de bzhin du chos rnams las gdags par ‘os pa gdags pa ste/
dper na byi la ni shin du dal zhing ‘jam pa’i spyod pas/
gzhan kyi ma tshor bar zghan gyi srog rku bar byed do/
de bzhin du nyon mongs pa can gyi yid ni/
shin tu rgyu ba phra ba’i tshul gyis kun gzhi la kha nang du bltas te bdag du rlom sems pas/
de’i dbang gis yid kyi rnam par shes pa’ang ‘jig tshogs la lta ba dang mtshungs par ldan par skye ste/
thams cad zag pa dang bcas pa par byin kyis rlobs par byed do/
de bas na ‘di chos thams cad la bdag med par rtogs pa’i shes rab kyi gzungs kyis ma btags na/
rnam yang thar pa’i go skabs mi ‘byed do//
‘di ni lhag mthong spyod pa yin no//
snga ma ni zhi gnas spyod pa yin no//
khang stong phang phung \[314] bshig pa ni/
phung po dang skye mched kyi grong stong pa shig pa ste/
‘di rnams la bdag po med pas grong stong yin te/
rang gi ngo bo yang ma grub par bshig pas grong stong nyid kyang med de nam mkha’ lta bu rtogs par bya’o//
’di yang lhag mthong spyod pa’o/
Gseb khung skar khung dgag pa ni//
sgo lnga’i rnam par shes pa ste//
dbang po lnga’i skar khung nas byung nas yul la rang bzhin gyis gyeng ba ’di dag yid nang du bsdus pa’i mthus bkag ste//
mi ‘phro bar byas pa ste/
‘di yang zhi gnas spyod pa yin no/
rgyal po’i dkor mdzod kha phye zhes bya ba ni/
kun gzhi rnam par shes pa’i mtshan nyid la mkhas pa’ byas pa ste/
dper na rgyal po’i mdzod na nor bu rin po che la sogs pa nor rin thang med pa’ang yod la/
dug la sogs pas dman pa’i rdzas kyang yod do//
de bzhin du kun gzhi rnam par shes pa ni zag pa dang bcas pa dang*/ zag pa med pa’i chos thams cad kyi mdzod yin te//
shes bya thams cad kyi gnas yin no//
de yang theg pa ‘og ma pa’i tshul gyis/
kung gzhi’i mtshan nyid ni zag pa dang bcas pa’i chos thams cad kyi rgyu dang ‘bras \[315] bu’i ngo bor gnas shing smin pa yin pas/
shing thog smin pa dang ‘dra la/
zag pa med pa rnams kyi ni rten dang gnas tsam yin te/
dug gi bum pa’i nang na sman gnas pa lta bu’o//
zhes bshad//
theg pa gong ma’i tshul las ni/
kun gzhi’i mtshan nyid ni gdod ma nas byang chub kyi snying po’i rang bzhin du dag pa yin pas kun gzhi byang chub kyi sems zhes bya la/
nyon mongs pa dang gnas ngan len kyi bag chags ni blo bur gyi dri ma ste/
gser gyas gyogs pa’am/
nor bu rin po che’i che ‘dam du bsubs pa bzhin yon tan chung zad mi snang bar zad de/
rang bzhin nyams par byas pa med do/
ji skad du//
rdo rje bkod pa las sgron ma ‘bar ba’i rin chen ni//
gnas ngan ‘dam du bying ‘gyur yang*//
de nyid yon tan rang snang bas//
‘od ni mkha’ la gsal ba yin//
de bzhin sems nyid rin po che//
lus ngan ‘khor bar bying ‘gyur yang*//
de nyid rang bzhin ‘od gsal bas//
shes rab chos nyid mkha’ la gsal//
zhes gsungs pa lta bu yin no//
mdor na gang ltar yang rung ste dkar nag gi chos thams cad kun gzhi rnam par shes pa’i sngang ba tsam yin la//
snang ba de’ang ‘du’ byed \[315] kyi bag chags kyi dbang gis snang ba yin te/
ji ltar snang ba de bzhin yod pa ma yin pas//
chos thams cad rang bzhin gyi mya ngan ‘das par rtogs na//
rgyal po’i dkor mdzod kha phye ba yin te//
de’i tshe spre’u yang bzung ba yin no//
byi la yang btags pa yin no//
khang stong yang bshigs pa yin no//
skar khung yang khegs pa yin no//
‘di lta bu’i blo dang ldan na sangs rgyas kyi lam gzhan nas btsal mi dgos so zhe’o/

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