vendredi 11 janvier 2013

L'envergure des élans ailés



Le phénix (nom grec donné à l’oiseau Benou ou Bennu de la mythologie égyptienne) était l’hypostase du dieu Rê, le feu divin (le Soleil à son zénith) et représente l’âme. Le livre des morts dit : « Je suis l'Oiseau Bénou, l'Âme/cœur de Rê, le Guide des Dieux vers le Douât[1] ». Rê n’accomplit pas son trajet dans un char solaire, mais dans une barque solaire, qui est précédée par l’oiseau Bénou. Le phénix est ainsi associé à la planète Vénus[2] qui précède le Soleil pour le guider. "Le Benou était la planète Vénus qui disparaît chaque jour dans l’incandescence de l'aurore avant de réapparaître le lendemain."[3] Il vit sur la pierre benben[4], le tertre qui émergea de l'océan primordial sur lequel le soleil apparut pour la première fois, aussi appelé pour cette raison « l’île de la flamme ».


Le phénix chinois s’appelle fènghuáng (鳳凰). On ne lui attribue pas explicitement le pouvoir de renaître de ses cendres[5] comme l’oiseau Benou. Il est le souverain de tous les oiseaux et l’ennemi des serpents. Il est associé à la planète Vénus, à qui il sert de monture. Il est l’union du yin et du yang et a un plumage de cinq couleurs (rouge, azur,jaune, blanc et noir). Il vit sur la montagne Kunlun[6] mythologique, qui n’est pas la cordillère du Kunlun géographique, et qui se situe directement sous l’étoile polaire. Sous l’influence indienne, la montagne Kunlun fut associée au Mont Sumeru. Les taoïstes l’identifiaient au Paradis occidental (Mont Guixu - chez les bouddhistes chinois le paradis de Tejaprabha) en face du paradis oriental (Mont Penglai - chez les bouddhistes chinois le paradis de Bhaiṣajyaguru Vaidūryaprabha).


En Inde, le roi des oiseaux est le garuḍa qui servait de monture au dieu Vishnu. Son nom ancien védique est Śyena[7]. Le Purāṇa qui lui est consacré, le Garuḍa Purāṇa, a pour thème la vie et la mort, et est récité pendant les rites de crémation. Le garuda est l’ennemi des serpents (nāgā) qu’il porte d’ailleurs comme ornements. Le premier livre du Mahabharata raconte sa naissance.
« À l'âge d'or, donc (l'âge «parfait» du sanscrit), le Géniteur Prajāpati marie ses deux filles Kadrū et Vinatā à Kaśyapa («Tortue»), fils de Brahmā. Kaśyapa, satisfait de ses deux épouses, leur accorde à chacune un souhait : Kadrū veut avoir mille serpents comme descendance et Vinatā (mère des oiseaux) ne veut que deux fils, mais plus forts et plus grands que les fils de Kadrā. Au bout d'un long temps, toutes deux pondent leurs œufs, mais les mille serpents de Kadrā éclosent les premiers. Vinatā, dans son impatience, brise la coque de l'un de ses deux œufs et l'embryon inachevé qui en sort, avec la partie supérieure du corps seule formée, la maudit et s'envole pour devenir le cocher du char Soleil. Il promet l'esclavage à sa mère, mais, si elle a la patience d'attendre la naissance de son frère, celui-ci la délivrera de esclavage. Le second fils attendu est Garuḍa, le grand mangeur de serpents, qui quitte immédiatement sa mère en quête nourriture dès sa naissance. »[8] C’est lui qui dérobera l’amṛta des dieux. 
Dans le premier chapitre des Chants de Milarepa, composé par Tsangnyeun Heruka, Milarepa se compare à des animaux mythiques, parmi lesquels le garuḍa (T. khyung), qui peut traverser le ciel d’un seul coup d’aile.
« Je ne me considère pas humain
Je suis le fils du Garuda, roi des oiseaux
C'est à l'intérieur de l'oeuf que mes ailes ont poussé
Pendant mes années d'enfance, je dormais dans le nid
Pendant mes années d'adolescence, je gardais l'entrée du nid
Garuda adulte, je me lance (T. 'phangs) et je traverse (T. bcad) le ciel
Même si les cieux (T. gnam kha zheng) sont vastes, je n'ai pas peur
Même devant les régions aux gorges (T. sul) étroites (T. dog), je ne recule pas. »[9]

L'autolibération des signes (T. mtshan ma rang grol), attribué à Garab Dordjé reprend le thème du garuḍa (T. khyung) pour lui donner une interprétation plus intérieure : l’Intelligence (T. rig pa).
« Par exemple, le grand garuda, le roi ailé,
Même en séjournant dans la matrice, domine les êtres aquatiques
A l'intérieur de l'oeuf, les ailes poussent et se perfectionnent
Une fois sorti de l'oeuf, il traverse l'extérieur par la force de son envergure
Comment ce serait possible aux autres oiseaux ?
Mais c'est possible au grand garuda, qui est bien dans l'espace.
[De même] qu'il y ait accès ou non,
[l'Intelligence] (T. rig pa) est libre
Elle reste égale, maintenant et à l'instant suivant
L'état continu de cette égalité ne s'interrompt jamais
Ceux qui désirent se libérer par les neuf véhicules,
Ceux qui veulent se perfectionner, se purifier et se transformer
Sont dans leur bon droit, et bien dans le grand véhicule
Pourquoi y sont-ils bien ? Parce qu'ils sont dans le cours du corps spirituel, qui est la liberté universelle
Il n'y a rien qui ne soit pas libre dans le cours du corps spirituel. »[10] 
Le garuḍa peut traverser le ciel d’un coup d’ailes[11], mais ne recule pas non plus devant les passages étroits que sont « les neuf véhicules » (entrée simultanée et graduelle). L’Intelligence, le logos parcourt tous les mondes.

MàJ : L'oiseau Huma en Perse partage des ressemblances avec le garuda. C'est aussi un oiseau faiseur de roi. Si son ombre tombe sur une personne, il désigne le futur roi.

***

[1] La Douât est le lieu de séjour de Rê pendant les heures de la nuit. Par analogie, il s'agit du séjour des défunts après leur mort, en attendant qu'ils ressuscitent en même temps que le Soleil. Il s'agit d'un monde d'épreuves, divisé en douze heures.

[2] La planète Vénus est parfois appelée « l'étoile du bateau du Benou-Osiris ».

[3] Noosphère

[4] dérivé de la racine wbn « s'élever en brillant »

[5] Bien qu’appellé aussi oiseau de cinabre, qui symbolise l'été, le sud et l'élément feu. Le fameux oiseau de feu (Jar-ptitsa).

[6] Wikipedia « The term "Kunlun" is theoretically semantically related to the term Hundun, or, hundun (Chinese: 混沌; pinyin: hùndùn; Wade-Giles: hun-t'un; literally: "primal chaos" or "muddled confusion"), sometimes personified as a living creature: and, also semantically related is the term kongdong (Chinese: 空洞; pinyin: kōngdòng; Wade-Giles: k'ung-t'ung; literally: "grotto of vacuity"), according to Kristofer Schipper (1978: 366). Grotto-heavens were traditionally associated with mountains, as hollows or caves located in/on certain mountains. The term "Kunlun Mountain" can be translated as "Cavernous Mountain": and, the mythological Kunlun mountain has been viewed as a hollow mountain (located directly under the Pole Star), according to Schipper (1978: 365-366). »

[7] Aigle ou épervier en lequel Indra s'était transformé pour reprendre la liqueur d'immortalité [amṛta] volée par Śuṣṇa (Gerar Huet)

[8] Madeleine Biardeau, Le Mahabarata, p. 172

[9] mi nga dag nga rang mi zer te/nga ni bya rgyal khyung gi bu/sgo nga'i nang nas gshog sgro rgyas/phru gu'i lo la tshang du nyal/thong ba'i lo la tshang sgo bsrungs/khyung chen dar ma'i lo la nam 'phangs bcad/nga gnam kha zheng che rung ya mi nga /sa lung sul dog rung bag mi tsha/

[10] dper na 'dab chags rgyal po khyung chen des//
mngal na gnas kyang klu rnams zil gnon cing*//
sgo nga'i nang du 'dab gshog tshad du phyin//
sgong rgya bral dang phyi rgya rlabs kyis chod//
'dab chags gzhan la ci bde ga la rigs//
khyung chen rang la rigs te mkha' la bde//
rtogs dang ma rtogs med par grol ba dang*//
'di dang phyi ma med par mnyam pa dang*//
mnyam nyid ngang la rgyun chad med pa de//
theg dgu rgyud nas grol bar 'dod pa dang*//
shin tu sbyangs dang spangs dang sgyur 'dod pa//
gang la rigs te theg chen rang la bde//
ci bde thams cad bde chen chos sku'i klong*//
chos sku'i klong du ma 'grol 'ga' yang med//

[11] Quand le sage Narada avait demandé au dieu du vent Vayu de mettre à l’épreuve Mont Merou, il lui souffla dessus de toutes ses forces pendant un an. Mais garuḍa protegea Mont Merou de ses ailes, ce qui donne une idée de leur envergure.

Le tafsîr du Coran d’ibn Arabi dit que « Qâf est une montagne qui entourait l'univers et que derrière se trouvait un phénix recouvrant le tout et qu'il est le voile de Dieu ».

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