dimanche 19 janvier 2014

L'arbre du monde



J’avais écrit sur la filière du figuier en tant que symbole de « l’arbre du monde » et comment on le trouva aussi bien en Mésopotamie qu’en Inde. Il semblerait que cet arbre avait même des pousses dans les mythes nordiques, où l’arbre de vie est un frêne que l’on nomme « Yggdrasil[1] ». La sève coule bien partout. Yggdrasil est l’arbre du monde, dont les branches s’étendent dans les cieux et dont les racines plongent dans les mondes souterrains. En haut de l’arbre se tient l’aigle Hræsvelg, dont l’envergure recouvre le monde. Entre ses yeux est perché le faucon Vedrfölnir. Les racines de l’arbre sont mangées par le serpent/dragon Níðhöggr. Un écureuil avec une « dent perçante » appelé Ratatoskr court de haut en bas de l’arbre en entretenant la discorde entre l’aigle et le serpent/dragon.

Le nom de l’arbre Yggdrasil, signifie destrier ou monture (drasill) d’Odin (Ygg(r)). On lit dans l’article Wikipedia français : « En dépit de l'importance prépondérante qu'il occupe dans la mythologie Nordique, l'origine de l'arbre des mondes est actuellement inconnue[2] en dehors du fait que ce soit le premier de tous les arbres. » Qu’il s’agisse d’un terreau commun (de l’âge de bronze ?) ou d’une influence initialement sumérienne, il semble bien qu’il y ait un parallèle entre cet arbre du monde et l’arbre Huluppu d’Ishtar/Inanna. Ce bel arbre dont la paix était perturbée par l’oiseau Anzu au sommet, le serpent dans les racines et qui fut squattée par la sombre Lilith. Évidemment, les figuiers ne poussant pas chez les vikings, l’arbre du monde y sera représenté par un frêne (ash-tree). Et les sceaux sumériens et de la vallée de l’Indus témoignent de sa présence dans ces régions géographiques respectives.


Autre détail frappant, « La chèvre, Heidrun, vit près du sommet de l'Arbre, et se nourrit de ses feuilles. Le cerf Eikthyrnir broute aussi les rameaux et de ses cornes ruisselle l’eau qui tombe dans [la source] Hvergelmir » (Wikipedia). Rappelons-nous des sceaux, où l’on voit un mont, surmonté d’un arbre, grignoté de chaque côté d’une chèvre ou animal équivalent. Sur le sceau sumérien, le mont consiste en neuf pierres. L’arbre Yggdrasil est associé à neuf royaumes et a trois racines, chacune plongeant dans une source des trois mondes : la source Urðarbrunnr dans les cieux, la source Hvergelmir (remplie par la corne du cerf Eikthyrnir) et la source souterraine de la connaissance Mímisbrunnr. C’est dans cette source qu’Odin (représenté avec un seul œil) aurait laissé un œil pour rester en lien permanent avec la connaissance. 


Et comme les mythes sur les origines célestes ne sont jamais gratuits, mais servent toujours à justifier des intérêts bassement terrestres, ils servent souvent de cadre pour asseoir un pouvoir royal, considéré comme le représentant des dieux. A défaut de déesses faiseuses de roi, ce seront ses prêtres qui s’en chargent. Ainsi, on trouve à Gammel Lejre, la résidence de la dynastie Skjoldungerne, tueurs de dragons (à l’aide de Beowulf), dont les représentants sont enterrés en accord avec le mythe. C’est-à-dire dans des monts funéraires surmontés d’un arbre, ce que furent d'ailleurs aussi à leur origine les caitya et stūpa, contenant les reliques du Bouddha, des monts surmontés de l’arbre de la vie. Même le mont Golgotha avec son « bois du scandale » de Jésus Nazaréen, roi des Juifs, peut rappeler un tombeau royal.


Quand un culte est remplacé par un autre, cela se passe généralement mieux quand les éléments du culte ancien sont intégrés au lieu d'être rejetés ou éradiqués. Chaque néerlandais catholique a appris dans sa jeunesse comment le pauvre saint Boniface mourut en martyr en se faisant couper en deux tout en tenant la Bible au-dessus de sa tête... Sa méthode de conversion consistait à couper les arbres sacrés (Donareiche). Un seul de coup de hache suffisait, car la tonnerre de Dieu fit le reste. Dans le bouddhisme ésotérique, le même type de légende existe autour de Virūpa, quand celui-si s'en prit aux shivalingam

Tout comme certains pensent que l'évolution des religions passe d'une forme animiste, à une forme polythéiste pour finir en monothéisme/monisme, on peut constater aussi que les religions passent par un processus d'intériorisation. Quand le macrocosme et le microcosme sont pensés être de nature identique, ce qui se passe à l'intérieur se passe à l'extérieur et vice versa. Le yoga est alors une méthode pour devenir le roi du monde en devenant le roi de son corps. 

Mingyour Rinpoché fait rire les salles avec son "mental de singe" (monkey mind), à qui l'on doit assigner une tache pour le tenir occupé. Un autre maître, Mahamandaleshwar Paramhans Swami, raconte une petite histoire pour montrer comment ne pas être l'esclave de son mental ("le fermier et l'esprit"). On y retrouve notre arbre, "le plus grand arbre du monde". Le fermier apprend d'un sage comment occuper le mental, le monkey mind, l'esprit dans ce conte, voire encore l'écureuil Ratatoskr... Dis-lui de d'abord monter en haut de l'arbre, et quand il est en haut de redescendre, puis de remonter etc. la moralité de l'histoire. Le corps humain est le champ, soi-même le fermier, et son mental est l'esprit (monkey mind, l'écureuil). Comment occuper le mental ? La colonne vertébrale est "le plus grand arbre". Le souffle descend et remonte le long de ce canal. Quand on inspire (le souffle descend), la conscience doit monter à partir du cakra du bas vers celui du haut, et quand on expire (le souffle remonte), la conscience doit descendre du cakra le plus haut vers celui du bas. C'est ainsi qu'on occupe le mental.       

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[1] littéralement « destrier du Redoutable », le Redoutable (Ygg) désignant le dieu Odin.

[2] R. Boyer et E. Lot-Falck, Les religions de l'Europe du nord, Fayard-Denoël,‎ 1974

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