La vérité est dans le passé, et plus nous nous éloignons du moment de grâce dans le passé, plus nous nous éloignons de la vérité. Cela est vrai pour de nombreuses religions. C’est d’ailleurs un facteur qui permet de distinguer entre une religion et une philosophie, si on en éprouvait le besoin. La vérité d’une religion est déjà toute trouvée et se situe plutôt dans le passé, tandis qu’un philosophe espère la trouver un jour. Un utopiste pense la connaître également et cherche à l’appliquer ici et maintenant. Mais le passé et l’avenir sont à géométrie variable. Entre ceux qui croient en un âge d’or et qui veulent le restaurer et ceux qui croient en un avenir glorieux à instaurer de toute urgence, la différence n’est finalement pas si grande. On peut être nostalgique du passé ou du futur, ou d’un ailleurs. Trois choses absentes, susceptibles de mettre l’ici et maintenant sens dessus dessous. Trois choses qui font appel à exactement le même type de pensée, mais dans une autre direction. Il y a encore ceux qui pensent en cycles, un éternel retour, dont il faut se libérer, par différentes méthodes. Tous semblent vouloir s’échapper de l’ici et maintenant. Et c’est pourtant l’ici et maintenant qui est le moyeu du temps et de l’espace, le coeur…
Le bouddhisme a toutes les caractéristiques d’une religion. Il est tourné vers le passé. La révélation a eu lieu dans le passé et avec le temps qui passe, elle se dégénère de plus en plus. Non seulement, le bouddhisme est une religion, il a une révélation, des messies et il est millénariste. Ce qui donne un sens d’urgence. Le sens d’urgence fait que les gens agissent sur le coup de l’émotion. Vous trouverez les détails dans les manuels de marketing. Michel Strickmann[1] explique le succès initial du bouddhisme en Chine par la combinaison d’une société en plein chamboulement, la doctrine de la rétribution des actes, les descriptions horrifiantes des enfers, la possibilité d’adoucir son sort par la récitation de dhāraṇī/mantra (et les dons au clergé), et l’accès à un Ailleurs aux conditions de l’âge d’or. Il fallait agir dans l’urgence, car plus le temps passait, plus on s’approcherait du Kali-yuga/Mappo, et plus les démons se multiplieraient. Le Bouddha dans sa grande sagesse aurait prévu cette situation catastrophique et il aurait prophétisé l’avènement d’autres messies, aux grands pouvoirs miraculeux, bien nécessaires pour agir efficacement dans ces temps dégénérés. Aux grand maux les grands remèdes. Et les "grands hommes" qui vont avec…
Dans les époques de grands chamboulements, on peut avoir tendance à regarder vers un passé plus glorieux, même si cette gloire est en grande partie imaginaire, et vouloir ré-établir les « conditions d’antan », pour que cela fonctionne de nouveau… Certains bouddhistes tentent alors de remettre à l’ordre du jour l’idéal d’un « dharmaraja », qui n’a jamais existé. Un roi religieux qui gouverne selon les principes du Dharma pour remettre de l’ordre et pour restaurer l’harmonie d’antan. Ou un tulkou aux pouvoirs séculiers le cas échéant. Après la première rencontre avec le bouddhisme en occident, il y a eu une période où certains lamas tibétains avaient essayé de trouver de nouveaux chemins plus adaptés à « l’ici et maintenant » occidental, au lieu de chercher à tibétiser les occidentaux. Mais cette période est révolue. La magie n’a pas fonctionné. La plupart des lamas/tulkous semblent s’être rabattus sur le connu et vouloir faire vivre un Tibet artificiel et idéalisé, gouverné par des dynasties de dharmarajas. De l’autre côté, certains disciples occidentaux semblent avoir compris le besoin de modernisation, mais se rabattent également sur le connu, en traitant le Dharma comme un produit et en le commodifiant. P.e. le quatrième tour de la roue du dharma.
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[1] Michel Strickmann, Mantras et mandarins pp. 62-63
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