Le "pays entre les deux fleuves" (le Tigre et l'Euphrate), connu sous le nom Mésopotamie[1], est appelé le berceau de le l’humanité, le berceau de la civilisation et d’une pensée religieuse qui a servi, directement et indirectement, de terreau à quasiment toutes les grandes religions connues aujourd’hui. La sphère influence perse et le commerce intensif sur la route de la soie ont contribué à répandre une pensée religieuse où pouvoir spirituel et séculier sont très intimement reliés, et censés refléter ici-bas, ce qui se joue dans les cieux. La pensée religieuse est comme un organisme vivant qui se nourrit, se croise et se reproduit. Le DNA de la pensée religieuse mésopotamienne se retrouve quasiment partout. Les organismes religieux se modifient et s’adaptent pour survivre. Les « religions » sont souvent comme des packagings avec des caractéristiques distinctives contenant les mêmes substances actives ou des substances actives très similaires. Ces substances ne sont pas actives par elles-même, mais seulement dans un certain contexte.
En lisant la vie de Suhrawardî d'Alep (1155-1191), le fondateur de la philosophie illuminative, on a un aperçu des diverses influences traversant la Perse au 12ème siècle. Des influences vivantes avec lesquelles Suhrawardî forgera[2] sa philosophie illuminative (ishrâqî). Les différentes filières dont elle est constituée sont le Zoroastrisme, le Platonisme, la Gnose et la tradition hermétique et la révélation islamique. Le Zoroastrisme/mazdéisme fournit les fondements du culte de la lumière, qui est à l’origine de tout. « Toute créature provient d'émanations de lumières successives et graduées, toutes issues de la Lumière originelle et suprême, la Lumière des lumières (Nûr al-Anwar). »[3] Le manichéisme, la religion de Mani, également une religion syncrétique (mais quelle religion ne l’est pas ?), était toujours présente en Perse et aurait inspiré à Suhrawardî l’idée du Royaume de Lumière[4].
" En ce qui concerne les amis sur le chemin, ils perçoivent dans leurs âmes des lumières qui les mettent dans un ravissement extraordinaire parce qu’elles ne se trouvent pas dans la vie terrestre. Pour le débutant, c’est une lumière fugace comme l’éclair, pour le plus avancé une lumière uniforme et pour l’homme supérieur une lumière céleste obscure. En ce qui concerne la lumière obscure qui mène à la petite mort, le dernier qui l’a réellement connue chez les Grecs fut le sage Platon ainsi que le Grand Esprit dont le nom fut conservé au long de l’histoire : Hermès. "Suhrawardî veut « ressusciter » la sagesse des anciens Perses, la restaurer[5], et puise pour cela dans des sources encore présentes, zoroastriennes, hermétiques, néoplatoniciennes, gnostiques… Pour l’hermétisme, le salut passe par la connaissance : se connaître, se reconnaître comme "étant fait de vie et de lumière", comme Dieu, en tant qu'intellect. Pour le système cosmique il s’inspire de Ptolémée. L’idée du Royaume de Lumière lui viendrait de Mani, ainsi que la colonne de Gloire (columna gloriae), constituées de toutes les parcelles de Lumière (âmes), qui remontent de l’enfer à la Terre de lumière (terra lucida), située au nord cosmique.[6] La parcelle de Lumière captive qui remonte à sa source est l’homme de lumière.[7]
« c’est gravir le sommet, c’est-à-dire tendre au centre ; c’est l’ascension hors des dimensions catographiques, la découverte du monde intérieur qui secrète lui-même sa lumière, qui est le monde de lumière ; c’est une intériorité de lumière s’opposant à la spatialité du monde extérieur qui par contraste, apparaîtra comme Ténèbres. »[8]La dualité étant encore très marquée, ce n’est pas la correspondance secrète entre le microcosme et le macroscosme[9], que le yoga propose d’actualiser. Najmoddin Kobra (mort en 1221[10]) enseigna plus à l’est de Suhrawardî, en Transoxiane (Ouzbékistan), et développa, en premier paraît-il[11], une pratique visionnaire, en fixant son attention sur « des photismes colorés ».
« Le mystique voit réellement et effectivement de la lumière et des ténèbres, par une visualisation qui dépend d’un autre organe que l’organe physique optique. Il éprouve et perçoit comme ombre et ténèbres l’état dont il aspire à se séparer, les puissances qui l’attirent vers l’en bas ; comme lumière, tous les signes et prémonitions qui lui annoncent la délivrance, la direction d’où elle vient, toutes les aspirations qui l’attirent vers le haut. »[12]A cette aspiration ascensionnelle de l’homme de lumière répond la descente d’un guide de lumière (Témoin céleste, Guide suprasensible), l’homologue de la Nature Parfaite.
Certains[13] ont remarqué la ressemblance entre les pratiques des adeptes de Kobra (« Kubrawiyya ») et ce qu’ils appellent « des rituels de yoga soufis-tibétains » et semblent voir une influence des Kubrawiyya sur les yogas tibétains. S’il y a un fond de vérité dans cette affirmation, par quel biais ? Les Naths ? A creuser davantage.
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[1] Source
[2] Source
[3] Source Wikipedia
[4] Source
[5] « “Si de notre temps la route vers Dieu ne s’était pas trouvée coupée, nous n’aurions pas enduré tant de tristesse, ni souffert l’irritation d’un tel chagrin. (…) La plus grande partie de ma vie, je l’ai passée en voyages, en enquêtes, à la recherche d’un compagnon parfaitement initié, mais je n’ai trouvé personne qui fût informé des Hautes Sciences, ni personne qui ait foi en elles.” » Source
[6] Henri Corbin, L’homme de lumière dans le soufisme iranien, p. 15
[7] « Le chercheur, le héros de la Quête, n’est rien d’autre que la lumière elle-même captive, l’homme de lumière, anthropos photeinos. Corbin, p. 74
[8] Henri Corbin, L’homme de lumière dans le soufisme iranien, p. 16
[9] Michel Hulin sur le sens du mot upaniṣad.
[10] Urgench, près de Khwarazm (Korassan), quand l’armée mongole prit la ville
[11] Henri Corbin, L’homme de lumière dans le soufisme iranien, p. 72
[12] Corbin, p. 73
[13] Mayer, Toby (April/July 2010). "Yogic-Sufi Homologies: The Case of the "Six Principles" Yoga of Naropa and the Kubrawiyya". The Muslim World 100: 268–286. Retrieved 31 March 2011. (Source Wikipedia)
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