Ce mot contient le mot pañca, cinq. Le réel qui se tient « autour de soi » n’est accessible qu’à travers les cinq « orifices » correspondantes de nos sens (S. indriya T. dbang po lnga). Il doit « passer » à travers cette grille afin de pouvoir être « perçue », pour ensuite être interprétée par le sens interne. Notre expérience, notre monde est le produit d’un quintuple processus perceptuel (S. skandha T. phung po lnga). La chose/qualité ( S. rūpa) perçue au premier stade produit une sensation (S. vedanā) quand la conscience sensorielle s’y associe. C’est en attribuant une réalité à l’image du réel passé ainsi à travers la grille perceptuelle que l’on crée un décalage.
Quand s’arrêtent les apparitions-disparitions de cette différenciation, objectivation, élaboration, diffusion (prapañca) du processus perceptuel, que reste-il ? Ce n’est pas la bonne question dit Sāriputta à Koṭṭhita[1]. Car ce « il » ou « autre chose » est une réification de trop qui réactiverait la différenciation, objectivation, élaboration, diffusion (prapañca) et qui transformerait le non-différencié, le non-objectivé etc. en un objet.
Sans attribuer ou nier (etc.) une réalité à l’expérience, et sans s’installer dans la complication (prapañca) ou la simplicité (aprapañca), on transcende la dualité/opposition (être/non-être, complication/simplicité) en laissant l’expérience se dérouler. Ce qui n’empêche ni la réflexion ni l’action, qui sont intégrées. Mais le bouddhisme s’arrête là.
Il n’y a pas comme chez Platon et tous ceux qui croient en un esprit indépendant de la matière, une lumière sans matière, ou forme pure, qui passerait directement d’un intellect premier à un autre. Du moins si cette union de lumière sur lumière est à prendre au premier degré. Dans ce sens, il me semble que le bouddhisme, le dzogchen jusqu’à Rongzompa et la mahāmudrā jusqu’à Gampopa s’arrêtent à l’Expérience (qui dépasse à la fois la complication de l’expérience et l’expérience brute). On instruit, on guide et l’autre voit ou pas (même si ce n’est pas de voir qu’il s’agit). Il n’y a pas d’autre transmission.
Le bouddhisme visionnaire semble emprunter beaucoup aux religions de Lumière (la philosophie illuminative d’un Suhrawardî d'Alep ? les expériences visionnaires d’un Najmoddin Kobra ? le manichéisme ? le nāthisme ? le taoisme religieux ? ) et a des caractéristiques nettement plus théistes. Il s’intéresse aussi beaucoup à l’immortalité. L’immortalité de qui ou de quoi dans le flot de l’Expérience ? Arrêtons-nous là, car Sāriputta nous gronderait.
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Tableau : Jacques Linard, Les cinq sens et les quatre éléments (1627)
[1] (AN IV. 173)
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