Une déesse ou dieu local est dompté par un dieu plus puissant (Śiva dans le shivaïsme, Bouddha sous la forme d’une de ses émanations courroucées, appelées dharmapāla) et on lui attribue une place dans la hiérarchie (S. maṇḍala) tout en respectant le contrat originel qu’il avait conclu avec les anciens adeptes de son culte. S’il avait droit à tant de sacrifices de mules, de chevaux, d’humains etc., la clause va être respectée scrupuleusement (S. samaya), mais sous forme symbolique. Les rituels anciens seront suivis, il recevra les mêmes louanges et hymnes (anciens) mais les victimes sacrificielles vont être substituées par des effigies ("torma") et, le tout avec une interprétation symbolique nouvelle. La fonction des rituels de Dharmapala sert à remplacer, à intégrer, à adapter et à sublimer tout culte local de sacrifice (hiṃsā), de façon à ce que les besoins cultuels des nouveaux adeptes puissent continuer à s’exprimer.
On peut donc imaginer que nos bouddhistes imaginaires de Mésoamérique auraient fait de même en intégrant le culte de la déesse-terre Tlaltecuhtli dans celui d’un dharmapāla ou en en faisant son épouse, et en remplaçant les victimes sacrificielles par des effigies dans des rituels à tout point semblables aux rituels d’origine. La victime sacrifiée symbolisant évidemment l’égo ou les kleśa etc. Les aztèques bouddhistes cessent les sacrifices réels qui sont désormais ahiṃsā et tout le monde est content. Le culte sacrificiel jouait initialement sans doute un rôle utile pour contenir une violence plus grande dans la société, mais la solution ahiṃsā était une amélioration, car elle s'accompagnait d'encore moins de violence.
Les siècles passent et le bouddhisme aztèque arrive en France, où les dieux sont morts depuis longtemps et où depuis la révolution, il n’y a plus de sacrifices dignes de ce nom, ni de cultes sacrificiels, ni de cultes de dieux, à part celui de la République bien sûr. Le bouddhisme n’étant, au fond, pas une religion de révélations ni d’autorité spirituelle, quel besoin y aurait-il pour le culte de la déesse-terre Tlaltecuhtli, même sous forme symbolique ? Quel besoin de pratiquer son rituel, avec tous les hymnes, les offrandes, y compris celle de l’oblation du cœur, même si cela a un sens symbolique ? Le sens symbolique est de toute façon celui du bouddhisme. Si les six bras de la déesse symbolisent les six perfections (S. pāramitā), c’est très bien, mais dans un pays qui de toute façon a depuis longtemps perdu l'habitude du culte de dieux locaux, pourquoi ne pas enseigner et pratiquer directement les pāramitā ? La raison qui réclamait un moyen habile spécifique n’existant plus, est-il encore besoin de ce moyen habile spécifique ?
[1] Solution apparemment toujours d'actualité, bien que pour des raisons différentes. Le journal indien The Hindu (19 février 2012) publie un article sur un moine bouddhiste qui avec l'aide de quatre intouchables vient d'enlever la statue d'une déesse hindoue. La statue se trouvait sur un site archéologique, mais selon le moine elle aurait frauduleusement été placée dans des grottes bouddhistes, afin de prouver la présence de vestiges de cultes de dieux et déesses hindous.
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