dimanche 23 septembre 2018

La chasse (nocturne) symbolique du "bon sauvage" ?


The Deer Hunt - Rajasthan, 1775, Walters Art Museum
J’ai consacré plusieurs articles sur mon blog au phénomène de l’appropriation de cultes mineurs tribaux par un culte majeur, dans un but de domination, « pacification » ou « domptage ». Ron Davidson[1] explique comment au cours de « l’hindouïsation » de la société indienne au début de la période médiévale indienne, les brahmanes saisirent les sites sacrés de divinités tribales. Les rituels développés dans ce cadre n’étaient pas les rituels tribaux/aborigènes tels quels, mais étaient de nature imitative et exploitatrice. Davidson considère la représentation généralisante des peuples aborigènes comme « tantriques »  par certains auteurs indiens modernes comme la continuation du même type de processus d’appropriation.[2]


Les formes ésotériques du bouddhisme indien ont également utilisé les aborigènes et leur vie simple (sahaja) et a valorisés les siddha aborigènes en des icônes[3] : Śabarapāda, Śabereśvara, Śabaripa,… est le chef des aborigènes (śabara).


Sa vie tribale simple est racontée dans de nombreuses hagiographies et dans la collection des Caryāgīti, avec celles d’autres maîtres ès Dolce vita.
« Higher and higher, in the mountain the śabara girl lives. This śabara nymph flaunts a peacock’s feather; around her neck a garland of guñja berries. [She scolds her husband,] “You crazy śabara! You drunken śabara!
Don’t raise a ruckus or cause such a commotion! I am your own wife—Ms. Naturally Beautiful!” Branches from the canopy of the diverse excellent trees stroke the sky.
Bearing earrings and a vajra, the śabara girl rambles around this forest. The śabara lays down his triplex bower—a bed thatched through with great ecstasy. For this śabara is a real Casanova; with Lady Nonself as his whore, love illuminates the night. [Afterward] he chews his essential betel and camphor with great ecstasy. Thus receiving empty Nonself in his throat, great ecstasy illuminates the night. Hey, śabara! With the conclusion of the teacher’s direction, pierce your mind with your arrow! Nocking one arrow, pierce, pierce highest nirvana! That crazy śabara! Because of anger he’s wandered into the ravine between high mountain peaks. How’s this śabara ever going to get out? » Traduction anglaise P.Kvaerne (1977), pp. 181-188.
Les scènes de la vie de Śavaripa, le maître aborigène de Maitrīpa/Advayavajra, représentent une vie simple où l’on vie principalement de la chasse.


Il faut bien vivre. Rassurons-nous, aucun animal n’a été tué pour les besoins de la transmission, ou bien son âme fut envoyée au paradis. La vie sans complexes de Śavaripa va bien avec la simplicité du message de la mahāmudrā. Vivez comme vous le sentez ou comme vous le devez, mais n’oubliez pas l’essentiel. 

"Marie Antoinette's hameau à Versailles" d'Oreste Cortazzo
Pour ceux qui croulent sous les responsabilités et les obligations, cette simplicité est très séduisante. 
« Ce rôle [de reine], tant désiré par le commun des mortels, était pesant pour Marie-Antoinette, qui préférait la simplicité au faste du Château de Versailles. » « Marie-Antoinette aimait dire qu’elle ne vivait au Petit Trianon que comme simple particulière. » (Source Internet)
Quand on regarde les scènes de chasse nocturne par des membres du tribu Bhîl en Inde centrale, faites par des peintres anonymes (au XVIIIème siècle), notamment au Rajasthan, on voit des éléments qui semblent détonner un peu. La scène de chasse appelée « The Deer Hunt » (ci-dessus), que l’on trouve au Walters Art Museum, montre une partie de chasse nocturne, éclairée non par une simple lampe, comme dans d’autres représentations comparables, mais par un projecteur longue portée, qui fait moderne. On sent que les chasseurs aborigènes (bhîl) disposent de moyens supplémentaires, qui ne reflètent pas vraiment la simplicité. La légende explique qu’il pourrait bien s’agir d’une courtisane[4], déguisée en fille aborigène, mais avec du matériel dernier cri en 1775.

"GOUACHE. Nattlig jakt: Bhil-folk jagande svarta bockar.
29,5 x 20,5 cm. Indien, Mogul, Oudh, sent 1700-tal." Bukowskis

 Bodleian Oriental Manuscript Collections, Autres scènes de chasse nocturne des Bhils.
Quand on voit d’autres tableaux de chasse nocturne par/avec des aborigènes, on a l’impression que cela pourrait en effet être une sorte de mode de la cour, ou bien des chasseurs de la cour accompagné par des aborigènes pour les éclairer ou faire la battue. Dans le dernier cas, pourquoi voit-on plutôt des femmes dans le rôle d'éclaireuse et à quoi servait la clochette ?

"Bhils hunting black buck at night, a prince on horseback with his entourage nearby,
Mughal, Oudh, late 18th century, with calligraphy dated 1168 AH/1754 AD" (vente Sotheby's) [5]
Un autre tableau met en scène un seigneur à cheval, avec des scènes d’armées en déplacement au fond, et juste à côté la scène de chasse habituelle, où la femme aborigène porte une torche réfléchie par un miroir ainsi qu’une clochette ? La présence du seigneur, qui semble attendre, pourrait faire penser à une courtisane qui va chasser le chevreuil avec un chasseur de la cour ? Le projecteur longue portée élaboré est un autre signe qui pointe vers un chasseur avec de gros moyens. probablement mon délire et celui du Walter Art Museum, mais le fait reste que les élites du XVIIIème siècle adoraient ces scènes de vie tribale. Sont-ils allés jusqu'au bovarysme ?

Paolo Uccello, Chasse nocturne, Oxford Ashmolean Museum
Donald Jr. et Eric Trump chassant la nuit

***

[1] Indian Esoteric Buddhism: A Social History of the Tantric Movement, Ronald M. Davidson, Columbia University Press, 2003

[2] « The goals of these and other practices included the “pacification” of threatening groups, control of their produce, identification of their ignoble (anarya) divinities with the great Hindu gods, and the subordination of their lifeways to that of normative Hinduism. Rituals based on tribal usages were not the same as the tribal rituals themselves but, instead, were imitative and exploitative in nature. Indeed, Hinduization has most concretely resulted in the alienation of tribal lands from these peoples, and the contest between tribal peoples and caste Hindus over religion, land, and usage rights continues to this day.
The blanket representation of tribal peoples as “tantric” by certain modern Indian authors merely extends the process of appropriation into the early twenty-first century, much as the exploitation and subjugation of tribal peoples in the United States has been capped by the imitative exploitation of their religious systems in New Age religion. » p. 225

[3] Davidson, p. 227

[4] « A woman with a giant torch mesmerizes a deer. She may not be a member of the Bhil tribe (though her skirt resembles a Bhil skirt) but a lady of the court, indulging in a nocturnal adventure. This must have been a memorable event, with its own special mood, which the court artist was asked to preserve. »

[5] "The Bhils are a desert tribe from Rajasthan. They became a fascinating subject for the Mughals who often portrayed them in miniatures. Here a Bhil woman is depicted dressed in a skirt of leaves, ringing a bell and bearing a torch that lights the way for the archer's target. For comparison and further discussion see S. Gahlin, The Courts of India, Indian Miniatures from the Collection of the Fondation Custodia, Paris, Amsterdam 1991, pl.50, p.51. For an almost identical version from the late seventeenth century, perhaps the model for the present late eighteenth-century version, see sale in these rooms 23 October 1992, lot 500."  

4 commentaires:

  1. Hi Janus, I'm intrigued by the two halves of the pig that decorate Shabaripa's bow in one of the depictions. Care to take a stab in the dark about what that could mean in terms of relative truth? Yours, D.

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  2. Dear Dan,

    I am sure you would much better but since you invite me to a sword dance in the dark, i will have a go. Your hint relative truth, which evokes the other half, absolute truth, and therefore non-duality may be a good start.

    I am also reminded of a Maitripa story, where he is still a monk practicing vajrayana in secret in the evenings. As soon as another non-iniate monk walks in, the mudra transforms (back ?) into a bell. We know the symbolism of vajra and bell. We also know that sometimes yab-yum deities may be represented symbolically. The trident of Vajra-varāhī can symbolise the male deity. Could there be something similar at play here with the bow and the arrow ? The arrow being the most obvious male symbol, the bow must be the female one.

    And the female here is not an ordinary female but a sow, and not an ordinary sow but Vajra-varāhī.

    "[Vajra-varāhī] n'est pas un animal des bois ni un petit de sanglier (S. varāhī) ;
    C'est une belle des bois qui est là avec son visage de pleine lune
    Grâce aux créations magiques (S. nirmāṇanirmitata) pour rendre service à celui qui en a besoin,
    (Elle) se tient sur le rocher (en prenant la forme d'un) prince des Śavaras (Śavarādhirāja)."- Siddha amnāya

    Perhaps the bow symbolizes Vajra-varāhī. Since even the hills in the back are symbolic as Padma Karpo points out.

    "La montagne glorieuse (Śrī Parvata) se dresse au centre, flanquée à droite et à gauche des montagnes Manobhaṅga (Destruction du mental T. yid pham pa) et Cittaviśrama et (Repos de la conscience T. sems ngal so ba). Entre ces deux montagnes il y a une chute d'eau avec [un cours] d'eau qui enivre (T. smyo chu) et un qui empoisonne (T. dug chu)[2]. Dans ces trois montagnes, il y a sept haltes/gués/îles (T. gling S. dvīpa)." Ces sept haltes sont autant de stades sur l'itinéraire spirituel de Maitrīgupta. http://hridayartha.blogspot.com/2010/09/maitripa-une-hagiographie-en-be-mol.html

    It’s in the middle or « between » the two mountains of Manobhaṅga and Cittaviśrama, that Maitripa will eventually find peace. What’s your take on this ?

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  3. But Janus, Vajravārāhī has two heads, right? -D

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  4. Oh that! You know, since my mom's death nobody ever calls me Janus anymore, except you. :-) Thank you, I like that!

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