Le "vrai" Bouddha (voir illustration ci-dessous) |
« ...En fait, les historiens ignorent dans quel dialecte le Bouddha enseignait...Je n’ai pas accès à l’article et je ne connais pas son contenu. La référence aux renonçants (śramaṇa) et la qualification un peu facile des convertis occidentaux et du prince Siddhattha Gotama comme étant des « enfants gâtés » se rebellant contre le père et la société m’avait gêné. C’est vrai que la légende du Bouddha (notamment le Buddhacarita d’Aśvaghoṣa) présente le futur Bouddha comme un prince gâté, qui avait tout ce qu’il pouvait souhaiter, et décida néanmoins de devenir un renonçant. Le Buddhacarita serait « caractéristique de la naissance du Mahayana qui tend à transformer le Bouddha en objet de culte et de dévotion » (Wikipédia). « Les récits de sa vie, tout d’abord transmis oralement, n'ont été mis par écrit pour la première fois que quelques centaines d’années après sa mort et mélangent métaphysique et légende. » (Wikipédia) Pour ceux qui ne connaissent pas les détails de la légende du Bouddha, la page Wikipédia correspondante donne un résumé. En gros, Siddhattha Gotama serait le fils du modeste roi Śuddhodana, chef Śākya, et de Māyādevī. Sa mère meurt peu après sa naissance, comme il est coutumier de la légende des Bouddhas, et c’est sa jeune sœur, également marié au roi, qui élève le Bouddha. Le prince se marie, connaît tous les plaisirs de la vie conjugale et d’un harem, a un fils, mais s’ennuie dans le palais et fait des sorties en secret, qui le confrontent aux réalités de la vie. Il renonce à sa vie de prince, de futur roi, de mari et de père, et quitte le palais la nuit, pour pratiquer l’ascèse, jusqu’à ce qu’il devienne le Bouddha.
Dans Essais sur l’individualisme (1983), le sociologue Louis Dumont a fait de cette sortie du palais la figure emblématique de l’individualisme moderne. Elle exprime la capacité de poser un choix personnel non seulement contre le père, mais contre la société dans son ensemble. En effet, le renonçant abandonne tous les devoirs et les droits de son royaume, de sa caste, de son métier, et de son foyer. Il va pouvoir ne s’occuper que de sa propre libération spirituelle...
Au contraire, les communautés monastiques de convertis occidentaux – dont la situation originelle d’enfants gâtés correspond exactement à celle du prince Siddhattha Gotama – ne pensent encore qu’à fuir le palais et à gagner la forêt. Ils s’investissent surtout dans la pratique de la méditation, pour eux-mêmes d’abord puis pour leurs disciples. »
Il existe un petit extrait du canon Pāli, que l’on retrouve dans M26 Ariyapariyesanā [Pāsarāsi] et avec une formulation similaire dans plusieurs suttas, p.e. M36 Mahāsaccakasutta. Voici l’extrait :
« Plus tard, quand j’étais encore un jeune homme aux cheveux noirs, avec la grâce de la jeunesse et dans le premier stade de la vie, bien que ma mère et mon père eurent souhaité autrement et essuyèrent les larmes de leurs yeux, je rasa mes cheveux et barbe, mis un habit en ocre et quitta la vie au foyer pour la vie sans foyer. »[1]Contrairement à la légende du Bouddha, le bodhisattva raconte comment il décide, tout jeune, de devenir un renonçant. Il n’y a pas de mention d’un palais, d’une femme, d’un fils. Seuls sa mère et son père (dans cet ordre, mātāpitūnaṃ) pleurent son départ, mais ne résistent pas à son vœu. Pas d’évasion nocturne. Netflix ne voudrait pas de cette version… Et le monde entier semble en effet préférer l’histoire légendaire du prince Siddharta.
so kho ahaṃ, bhikkhave, aparena samayena daharova samāno susukāḷakeso, bhadrena yobbanena samannāgato paṭhamena vayasā akāmakānaṃ mātāpitūnaṃ assumukhānaṃ rudantānaṃ kesamassuṃ ohāretvā kāsāyāni vatthāni acchādetvā agārasmā anagāriyaṃ pabbajiṃ.
Je me répète, le bouddhisme avait commencé comme un mouvement s’inscrivant dans celui des renonçants (śramaṇa), et fut dans un premier temps aniconique et assez philosophique/éthique (Pyrrhon, disciple du Sage des Scythes (Sakamūni)). Nous ne savons pas si la figure du Bouddha ait réellement existé, mais on voit bien qu’elle s’est enrichie avec le temps. Dans le fragment ci-dessus, nous semblons avoir à faire à un jeune homme ordinaire qui devient un renonçant. En revanche, dans la légende du Bouddha, un pas si jeune homme (29 ans) est prédestiné à devenir le Bouddha et suit un parcours canoniquement défini. Celui des douze actes pour le mahāyāna et celui des trente "règles" dhammatā pour le theravada. La vie légendaire doit coller à la vie réelle qu’aurait pu avoir le Bouddha, s’il avait vécu. Les commentaires de l’école theravada expliquent que la « mère » dans le fragment ci-dessus serait en fait la nourrice du futur Bouddha, Mahāpajāpatī Gotamī[2]. Car la mère biologique d’un Bouddha doit canoniquement (voir les 30 règles ‘dhammatā’) mourir après avoir donné naissance à lui.
A un certain moment, le corps du Bouddha se dota des 32 marques d’un grand indvidu (mahāpuruṣa) et devint un objet de culte.
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[1] « Later, while still young, a black-haired young man endowed with the blessing of youth, in the prime of life, though my mother and father wished otherwise and wept with tearful faces, I shaved off my hair and beard, put on the yellow robe, and went forth from the home life into homelessness. »
[2] "In her last life Mahāpajāpatī Gotamī was the younger sister of the Bodhisatta’s Mother, Mahā Māyā, both of whom were given in marriage to the Sākiyan King Suddhodana. When the elder sister died shortly after giving birth, the younger gave her own recently born son Nanda out to a wet-nurse, and took on the nursing of Siddhattha herself. 03 She was therefore the foster Mother of the boy who would eventually reach Buddhahood, and would have been engaged in all aspects of his up-bringing, including his education and early marriage." Source
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