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vendredi 8 avril 2022

Les promesse d'un au-delà virtuel

Montage Financial Times/Getty Images

Les religions s’intéressent à “l'au-delà”, l’anticipent, l’imaginent, la mettent en scène, interagissent avec, le tout de façon virtuelle. Elles imaginent que l’homme est un esprit dans un corps périssable. Selon elles, l'esprit continue au-delà de la disparition du corps. Les idées sur la continuation de l’esprit dans un environnement “spirituel” alimentent les croyances et la théorie de “l’au-delà”, qui diffère selon les religions. Comme il s’agit de croyances[1] et pas de science, les opinions et la foi diffèrent.

Les śramaṇa[2] (Renonçants) étaient des ascètes vivant de la mendicité (mendiants) en marge de la société (védique, ou brahmanique), qui avaient en commun de rejeter l’autorité des Vedas (Révélations), même si initialement (avant -600) ils avaient pu en faire partie selon certains. Selon le Samaññaphala Sutta, les croyances des śramaṇa pouvaient varier d’une vue nihiliste (pas de moralité, pas d’actes négatifs et positifs), matérialiste (pas d’esprit séparé du corps, pas d’au-delà, …) à une vue Jain, la plus extrême, qui croyait en une substance de l’âme, du karma, … De manière générale, sur le spectre āstika-nāstika, les śramaṇa étaient plutôt du côté nāstika. La voie du Bouddha prenant une position médiane.

Avec la disparition progressive des vues critiques et sceptiques pendant le premier millénaire indien, le bouddhisme a évolué nettement vers le côté āstika du spectre, et, tournant le dos à ses origines śramaṇa, il est devenu la religion-soeur du brahmanisme à la fin de sa période indienne, tout en préservant certains caractéristiques śramaṇa.

Il faut distinguer entre “l’au-delà” āstika commun de la société indienne et “l’au-delà” du bouddhisme, conformément à son objectif nāstika śramaṇa. Le nirvāṇa bouddhiste n’est pas un “au-delà” commun. Si l’on suivait le Bouddha en mettant en pratique ses instructions, on échappait à “l’au-delà” ordinaire, d’une manière ou d’une autre. Les croyances en matière du nirvāṇa ont divergé énormément (Louis de la Vallée Poussin, Nirvāṇa), y compris sur le spectre āstika-nāstika.

Tant que le parinirvāṇa ultime était hors d’atteinte, et plus celui-ci était défini comme transcendant, les adeptes bouddhistes on dû se contenter en attendant de réalisations (terres-bhūmi, mondes célestes, Terres pures) moindres, parfois situées dans “l’au-delà” commun, avec un “esprit” autonome qui se comportait de tous points de vue comme une “âme”.

Quoi qu’il en soit, dans la situation actuelle du bouddhisme (tibétain) en Asie et en Occident, il y a bien un “au-delà” qui n’a rien à envier aux “au-delà” āstika des autres religions, où évoluent des âmes assez substantielles en toute autonomie, ou avec leur propre petit corps subtil intégré, afin de pouvoir  fonctionner de façon pleinement “sensoriellement” et “psychiquement”.

Cet “au-delà” est comme un monde virtuel, qui fait déjà partie du nôtre, et qui y joue un rôle. Dans le bouddhisme (tibétain), cet au-delà virtuel joue un rôle très important, car le but (bouddhiste) de la vie est de se préoccuper en priorité de l’au-delà (en tibétain tshe ‘di blos gtong). Toute l’attention et tous les efforts doivent être dirigés vers l’au-delà, vers son salut futur et celui des autres. Cette vie-ci, la terre sur laquelle nous vivons, notre “destinée” (jati), est passagère, le fruit de notre karma passé. Il faut en profiter au maximum pour créer les conditions d’un avenir plus radieux, paisible et stable dans l’au-delà. A partir d’une Terre pure, etc., on pourrait par la suite opérer ici-bas, pour soulager les souffrances, dans de bien meilleurs conditions, avec des moyens surnaturels. Vouloir améliorer quoi que soit dans notre situation actuelle, avec nos moyens actuels, serait du bricolage, et pour vrai dire désespéré. La maison brûle, sauvons nous-mêmes et les autres, en fixant l’au-delà, et en essayant de s’y préparer le mieux possible, en intégrant déjà ici-bas de lau-delà ce qui peut l’être, “en prenant le fruit sur le chemin”...

Il n’y a pas de mal à rêver d’un monde meilleur, même s’il est ailleurs (utopie), au-delà de sa personne et de sa vie. Il n’y a pas de mal à élargir les horizons, les possibilités et de familiariser sa pensée avec ces utopies, y compris l’au-delà, et de créer de l’espace et de l’air. Cela peut même faire du bien.

Mais négliger sa vie et son monde, en le dévaluant comme une illusion ou un pis aller, tout en priorisant un au-delà virtuel me semble un mauvais pari. J’ai des doutes sur les motivations derrière l’effort de persuader les autres de faire de même. En revanche, exploiter le désespoir, le chagrin et la crédulité d’autrui est criminel d’un point de vue humain. Certainement s’il s’agit d’un abus de faiblesse.

La création, le développement et la déclinaison de produits d’au-delà virtuel, façon options, pour des raisons pécuniaires, de la part des religions est immorale. L’au-delà virtuel ne peut pas exister par lui-même, et demande des efforts continus pour lui permettre de perdurer. Les efforts et l’argent que l’on investit dans l’au-delà virtuel ne sont pas investis dans ce monde-ci et ses habitants. L’économie de l’au-delà pèse sur la notre. Quand l’économie de l’au-delà se porte bien, la Terre se porte-t-elle mieux ?

FB Metaverse

Le bouddhisme (chinois) a développé très tôt son monde virtuel de l’au-delà façon Les Sims. Je me baserai ici sur les livres du Père Henri Doré, malgré tout leur orientalisme, ethnocentrisme, colonialisme, etc. C’est une caricature voulue et avouée, pour essayer de souligner des désavantages d’un au-delà virtuel. Il s’agit de vouloir éveiller les gens au lieu de les pousser vers ce que le Père catholique Henri Doré appelle des “superstitions”.

Zuckerberg choisit son avatar dans Metaverse

Quand un individu est mort, il n’est plus. Son esprit/âme est dans “l’au-delà”. Pour représenter cet “au-delà” “réel” ici-bas, il faut créer un “au-delà” virtuel. L’esprit de l’individu défunt a besoin d’un support virtuel (tib. bla rten), le “Siège transitoire de l’âme” (fig. 38 I.87), qui va servir de support et de point focal des “cérémonies”[3]. Son “vrai” esprit/âme est quelque part dans les limbes, totalement seul et dépourvu de tout, sans avoir rien à manger et à boire… Un “avatar” Sims pour l’instant sans attributs. La famille en deuil fait appel au clergé bouddhiste pour doter cet avatar d’attributs, et de devises d’au-delà. Les clercs bouddhistes rendent ce service pour accompagner la famille dans leur processus de deuil. En fonction des offrandes, la famille peut plus ou moins bien venir en aide au membre de famille dans les limbes, en le dotant, par cérémonies interposées, de tout ce dont il a besoin pour “évoluer” en tout confort et sécurité.

Siège transitoire de l'âme (fig. 38 I.87)

Voici une liste d’articles d’au-delà (non-exhaustive), cérémoniellement transmissibles, par des prestataires de services d’au-delà (bonzes ou tao-che). Chez le Père Doré, ces articles s’appellent le plus souvent “talismans-suppliques” (Tche-ma tien).
Ces suppliques-talismans sont imprimées dans les boutiques nommées Tche-ma tien où se vendent tous les papiers superstitieux en usage parmi le peuple. Quand quelqu’un va mourir, on court acheter des suppliques pour informer le roi des enfers que quelqu’un va bientôt se présenter devant son tribunal. Dès qu’il est mort, les pétitions varient suivant la cause de sa mort : il y en a pour tous les cas, pour les pendus, pour les noyés, pour les tués, etc.

Quand les bonzes ou les tao-che vont faire leurs cérémonies pour le mort, ils brûlent ces talismans-suppliques, qu’il confient au feu, disent-ils, pour qu’il les transmette rapidement au dieu destinataire
.” (Doré, I.76[4])
1. Talisman de T’ai-chang Lao-kiun, pour purifier et sauver l’âme des défunts (fig. 30 I.77)
2. Talisman-supplique en l’honneur de Ngo-mi-t’ouo-fou [Amitābha] et Ti-t’sang wang [Kṣitigarbha] (I.78)
Une supplique adressée aux 10 fonctionnaires infernaux de permettre le retour de l’âme du défunt à la “patrie des Immortels”. C’est un imprimé en bonne et due forme, à remplir intégralement.
3. Supplique à Kṣitigarbha, qui a pour Voeu de vider les enfers (fig. 31 I.79)


4. Fig. 31bis. Passe-port pour l’autre vie. Brûlé en l’honneur de Ti-t’sang-wang/Kṣitigarbha (fig. 31bis I.80)
5. Talisman-supplique pour une bonne réincarnation (fig. 32 I.81)
6. Passe-debout pour la douane sur la route des enfers (fig. 33 I.82) C’est un ordre intimé aux douaniers, qui ne devront s’opposer en rien à son passage.
7. Le passe-port de l’âme (Lou-yn). Le mort, grâce à cette feuille de route, passe franc de port aux octrois, et est assuré d’une protection efficace sur tout le parcours (fig. 34 I.83)
8. Supplique en faveur des âmes errantes et vagabondes, qui n’ont pu trouver le chemin de la réincarnation dans le sein d’une mère (fig. 35 I.84)
9. Carte Joker pour âmes en peine. La clef du ciel (K’ai t’ien). Il tire des enfers l’âme en faveur de laquelle on l’expédie, et ouvre toutes grandes les portes du paradis bouddhique. (fig. 36 I.85)
10. Certificat de bonne conduite envoyé au dieu des enfers (fig. 37 I.86)
11. La bourse de l’âme, qui constitue le droit d’héritage des héritiers, pour prouver leur droit à l’héritage du défunt en question (fig. 39 I.88)


12. Des habits de papier à brûler pour que l’âme dans les limbes puisse les porter (fig. 40 I.89). Sans doute bientôt disponibles en versions grandes marques (Gucci, Balenciaga and Fendi)... 

Minage de papier-monnaie

13. Un coffre-fort en papier à brûler. “Dans ce royaume des pots-de-vin et des friponneries, un coffre-fort n’est pas inutile, pour se mettre à l’abri des cambrioleurs” écrit le Père Doré (fig. 41 I.90) Il sert notamment à protéger le “papier-monnaie” (Tche-t’sien I.122)

"Papier-monnaie" (Zuck Buck)

14. Spécial pour les femmes/mères, le talisman-supplique pour sortir de lenfer duLac Sanglant (fig. 42 I.91-92)
15. Supplique pour une femme morte en couches (fig. 43 I.94)

Cas particuliers

16. Charme libérateur brûlé pour l’âme d’un pendu (fig. 44 I.96)
17. Supplique pour la victime d’un assassinat (fig. 45 I.97)
18. Supplique pour l’âme de quelqu’un mort ensorcelé (fig. 46 I.98)
19. Supplique pour la victime d’un procès (fig. 47 I.99) Pour des personnes endettées et poursuivies par la justice s’étant suicidées
20. Supplique pour un homme mort par suite de blessures dans un guet-apens (fig. 48 I.100)
21. Supplique pour les noyés (fig. 49 I.101)
22. Supplique pour ceux qui meurent en prison (fig. 50 I.102)
23. Supplique pour les victimes de calomnies (fig. 51 I.103), avec garantie de punition de ses calomniateurs
24. Supplique pour l’âme d’un homme mort empoisonné par les médecins (fig. 52 I.104)

D’autres rituels funéraires ne sont pas spécifiques à la doctrine bouddhiste de la réincarnation, de la roue d’existence et notamment aux enfers et aux mondes des esprits preta. Le Père Doré imagine même un dialogue entre un Chinois pro-rituels et un Européen sceptique (I.126-128).

Qualifier de “protestante” la pratique d’un bouddhisme, qui ignore, laisse de côté ou condamne ce genre de croyances et pratiques, non pas au nom d’un bouddhisme “pur”, mais au moins d’un bouddhisme “éclairé”, comme si des bouddhistes asiatiques eux-mêmes, longtemps avant les Lumières, étaient incapables, sans l’aide ou la pression de l’Occident, de juger par eux-mêmes de telles croyances et pratiques de superstitieuses, est insultant, surtout de la part de personnes qui connaissent bien le bouddhisme.

Voir aussi mon blog La réincarnation de Steve Jobs du 28/08/2021 

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[1]Il y a dans la croyance (Fürwahrhalten) les trois degrés suivants : l'opinion (Meinen), la foi (Glauben), et la science (Wissen)." Atilf

[2]The Śramaṇa tradition includes Jainism, Buddhism, and others such as the Ājīvika, Ajñanas and Cārvākas.” wikipedia

[3] Il y aussi la possibilité qu’un proche sert de substitut (che) au défunt (I. 106).

[4] RECHERCHES SUR LES SUPERSTITIONS EN CHINE, Première partie : les pratiques superstitieuses, chapitres I à V, par le père Henri DORÉ (1859-1931) Variétés sinologiques n° 32, Imprimerie de la Mission catholique à l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Chang-hai, 1911, XII+VI+146 pages+75 illustrations+10 photos.

jeudi 18 février 2021

Les premiers de cordée du rêve réincarnationnel


Le système des 4 castes, plus les dalits hors-castes et intouchables

Le mouvement des Renonçants (śramaṇa) est apparu dans un environnement brahmanique et/ou a co-existé avec celui-ci. Ces Renonçants furent de différents bords. A en croire le canon pāli, ils eurent de nombreux échanges, et passèrent assez facilement d’un bord à l’autre. C’est ainsi qu’au Magadha, le Bouddha aurait attiré les deux amis Ājīvika Sariputta et Kolita (Moggallana), qui avaient rejoint son Saṅgha

Pendant une assez longue période, les “bouddhistes” (nom apparu en Occident au XIXème siècle), furent désignés par le terme “śramaṇa”, sarmanes”, “shammanes, “Samanéens”, "le culte de FE, FO, FOÉ", etc.. Les différents maîtres śramaṇa eurent des différentes théories et pratiques, mais cherchaient tous la libération (mokṣa) du Cycle des existences (saṃsāra). Or, l’idée du tourbillon des existences était partagée dans le périmètre indien, y compris dans les milieux brahmaniques. Cette idée (“transmigration”) faisait partie du système saṁsāra-karma-mokṣa (SKM), où une « âme » est prisonnière, tant qu’elle perpétue les actes (karma) qui la tiennent prisonnière du cycle. Une fois débarrassé de tout combustible (karma), il n’y a plus de naissance. C’est ce que les śramaṇa appellent « libération » (skt. mokṣa) ou « extinction » (skt. nirvāṇa).

Quelle que soit l’origine de l’idée de la transmigration[1], l’Inde brahmanique se l’est bien appropriée, et l’a utilisé pour justifier le système des castes (les varṇa et les jāti).
Le Rig-Véda (X, 90, 12) explique que l'homme primordial (puruṣa ) donne naissance aux quatre varṇa : « Le brahmane fut sa bouche ; le royal (rājanya, équivalent de kṣatriya) a été fait ses bras ; ce qui est ses cuisses, c'est le vaiśya ; de ses pieds le śūdra est né.”[2]
La plus ancienne référence à l’introduction de l’idée de renaissance et de rétribution karmique dans le brahmanisme se trouverait dans trois upaniṣad (Bṛhadāraṇyaka, Chāndogya et Kauṣītaki), et notamment dans l’histoire de l’instruction de Śvetaketu par son père Uddālaka[3]. Le brahmanisme avait progressivement évolué d’un système sacrificiel ritualiste, qui avait pour but de créer et maintenir l’ordre cosmique grâce à l’exactitude rituelle (karma), et plus tard à la connaissance salvifique de l’équation Brahma = ātman[4]. Le Brahma étant le verbe védique, et les brahmanes (né de la bouche de l’homme primordial) représentant l’essence de la caste brahmanique, ces derniers étaient les uniques détenteurs “des opérations religieuses conservatrices de l’ordre cosmique et héritier[s] exclusif[s] de la science védique”[5]. On devint brahmane par hérédité, à la suite d’une initiation, ou par adoption. Ceux qui naissent sept fois de suite dans la caste des brahmanes (tib. skye ba bdun pa), du côté du père, et dans une “matrice pure”, sont des êtres particulièrement avancés[6]. Ceux, naissant ainsi dans une bonne famille brahmane ont donc beaucoup de “mérite”, car cela n’est pas une question de chance[7]. Cela restera vrai, même quand le yoga/la méditation devient un succédané du culte, et sera considéré comme “plus efficace que le rite même”[8]. Le rôle des brahmanes viendrait de leur passé de prêtres védiques Aryens (Ārya, Airiya), ou Indo-Iraniens. Cette “noblesse” autodésignée impliquait également en creux l’idée de ceux qui n’étaient pas “nobles”, et qui furent appelés “Dāsa” ou “Dasyu”, dont le sens védique le plus ancien signifierait “sauvage”, “barbare”, “démon”, “ennemi”, et plus tard “esclave”, servant”, voire “dévot” de Dieu, dans un sens plus positif, du dévot se remettant entièrement à Dieu, ou à une autre cause (p.e. “Buddhadasa”).

Il n’est pas très difficile de déterminer par recoupements que ces “Dāsa” avaient de nombreux points en commun avec les śūdra et les dalits hors-castes ultérieurs. Il y a aussi des différences. Un esclave (dāsa) ne peut pas devenir un bhikkhu[9]. En même temps, lArthaśāstra de Kautilya, précise que l’on ne peut pas faire n’importe quoi[10] avec un esclave, notamment le faire transporter des corps, car cela est réservé aux caṇḍāla (“mangeurs de chien”, śva-paco), les seuls à être impurs au point de pouvoir toucher les corps des morts. En revanche, les nombreux caṇḍāla hors-castes dans le Sangha bouddhiste faisaient des pratiques ascétiques impures (notamment liées aux charniers, p.e. la récupération des linceuls pour en faire des habits : pāṃśukūlika[11]). Ce qui nous intéresse ici, c’est comment les élites bouddhistes, souvent de naissance brahmanes, ont tenté de dissimuler ces pratiques “impures”, ainsi que le grand nombre de caṇḍāla intégré dans, et donc contaminant, le Sangha bouddhiste, afin de ne pas perdre en crédit face aux élites brahmaniques d’autres sectes, qui furent également les élites de la société indienne. Il est probable que cette attitude des élites bouddhistes ait conduit à des rapprochements progressifs entre le bouddhisme et le brahmanisme, puis l’hindouisme, notamment au niveau de la progression “spirituelle”, et de la hiérarchie (castes, etc.) que cette différence de progression instaure parmi les fidèles et les sujets. Ces rapprochements ont conduit à une réhabilitation ou une sorte de retour de lidée debien naître dans le bouddhisme mahāyāna. Le bouddhisme mahāyāna instaure une hiérarchie par rapport au bouddhisme des auditeurs (śrāvakayāna), appelé “petit véhicule” (hinayāna). Les pratiques du “petit véhicule” seraient inférieures à celles du “grand véhicule”. Contrairement aux textes des auditeurs, qui sont rédigé en pāli, les textes du mahāyāna sont souvent rédigés en sanskrit (ou en des langues non-indiennes, traduits etc.). C’est avec l’avènement du Yogācāra, que le bouddhisme brahmano-compatible se dota de moyens puissants, pour tenter de gravir les marches de la société indienne. Le bodhisattva sera un alternatif digne (Ārya) du brahmane.

Le bodhisattva est bien-né.
Il récite, lit et écrit en sanskrit.
Il se distancie des pratiques du hinayāna en les incluant, tout en les réinterprétant.
Dans sa version Yogācāra, il atténue la doctrine du non-soi, en introduisant celle de “l’embryon du Tathāgata”.
Par sa pratique du “Yoga”, de la méditation, et plus tard des tantras, il est détenteur “des opérations religieuses conservatrices de l’ordre cosmique et héritier exclusif d’une Gnose, qui se transmet.

A la fin du premier millénaire, nous retrouvons des dynasties de bodhisattvas, nés dans la caste des brahmanes, à la tête de vihāra bouddhistes tantriques, qui seront en quelque sorte abbé de père en fils. La qualité requise pour gérer un monastère bouddhiste semble être la naissance dans une bonne famille, quasiment propriétaire du monastère. Ce sera le modèle pour bon nombre de vihāra bouddhistes au Népal, au Tibet et dans la religion himalayenne. Les familles de bodhisattvas-tulkus, tels que nous les connaissons, sont comparables à une caste d’officiants sacerdotaux. Que leur reste-t-il des śramaṇa d'origine ?

Quand on regarde les théories et pratiques optionnelles des śramaṇa des débuts, on voit que leurs différentes sectes choisissent différentes options doctrinaires (deva, ātman, karma, substantialité, permamence et impermanence…) . Ils semblent avoir eu en commun de ne pas s’appuyer sur le système des castes et d'être considérés comme des matérialistes, des athéistes, des nihilistes (nāstika). Le Bouddha enseigne que l’on ne naît pas brahmane, mais qu’on le devient en se comportant comme “un vrai brahmane” (Dhammapada). Il ne nie pas la réalité sociale de la naissance en telle ou telle caste, seulement cette naissance n’a aucun lien avec le fait de devenir un “vrai brahmane” ou non. La libération ne passe pas par le culte de Brahma, ni par l’union avec Brahma à la fin de sa vie de pieux brahmane. La pureté qu’il recommande est la purification de l’esprit. Le karma qui détermine la prochaine naissance n’est pas l’acte rituel et l’exactitude rituelle, mais le résultat des bons et mauvais actes intentionnels.

Dans la pratique actuelle, l’idéal du bodhisattva-tulku est comparable au “statut de brahmane” (brahmanité, Brahminhood), qui est lidéal humain en Inde” (Vivekananda[12]). Les maîtres bouddhistes tibétains ne doivent pas être mécontents de la tendance hindutva actuelle, dont le mécanisme “méritocratique” se situerait à un niveau métaphysique, hors du contrôle et de l’entendement du monde. Au même niveau que les idéologies des premiers de cordée, de ruissellement, “la main invisible de Jupiter” (Adam Smith[13]). 
« Le produit du sol fait vivre presque tous les hommes qu'il est susceptible de faire vivre. Les riches choisissent seulement dans cette quantité produite ce qui est le plus précieux et le plus agréable. Ils ne consomment guère plus que les pauvres et, en dépit de leur égoïsme et de leur rapacité naturelle, quoiqu'ils n'aspirent qu'à leur propre commodité, quoique l'unique fin qu'ils se proposent d'obtenir du labeur des milliers de bras qu'ils emploient soit la seule satisfaction de leurs vains et insatiables désirs, ils partagent tout de même avec les pauvres les produits des améliorations qu'ils réalisent. Ils sont conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants ; et ainsi, sans le vouloir, ils servent les intérêts de la société et donnent des moyens à la multiplication de l'espèce. »
— Adam Smith, 1999 [1759], Théorie des sentiments moraux, Léviathan, PUF, p.257


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[1] Renonçants, influence du zoroastrisme, mythe malayo-polynésien ou suméro-dravidien, … LInde antique et civilisation Indienne, Albin Michel 1933, pp. 161 etc.

[2] Jean Filliozat dans « Castes », sur Encyclopædia Universalis

[3] Voir Aux origines de la philosophie indienne, Johannes Bronkhorst, Infolio 2008, p. 44

[4]The only escape from this cycle of rebirth is by gnosis of, hidden truth, brahman, which is the esoteric meaning of the sacred texts (the Vedas). That truth is to be realised = understood during life, and this will lead to its being realised = made real at death. He who understands brahman will become brahman. In a less sophisticated form of this doctrine, brahman is personified, and the gnosis at death joins Brahman somewhere above the highest heaven.” How Buddhism began, Richard F Gombrich, p. 32

[5] Aux origines, p. 157

[6] Voir 192. With the Brahmin Doṇa (AN 5.192), traduit en anglais par Bhikkhu Sujato
Doṇa, how is a brahmin equal to Brahmā?

It’s when a brahmin is well born on both the mother’s and the father’s sides, coming from a clean womb back to the seventh paternal generation, incontestable and irreproachable in discussions about ancestry. For forty-eight years he lives the spiritual life, from childhood, studying the hymns. Then he seeks a fee for his teacher, but only by legitimate means, not illegitimate.

In this context, Doṇa, what is legitimate? Not by farming, trade, raising cattle, archery, government service, or one of the professions, but solely by living on alms, not scorning the alms bowl. Having offered the fee to his teacher, he shaves off his hair and beard, dresses in ocher robes, and goes forth from the lay life to homelessness.

Then they meditate spreading a heart full of love to one direction, and to the second, and to the third, and to the fourth. In the same way above, below, across, everywhere, all around, they spread a heart full of love to the whole world—abundant, expansive, limitless, free of enmity and ill will. They meditate spreading a heart full of compassion … rejoicing … equanimity to one direction, and to the second, and to the third, and to the fourth. In the same way above, below, across, everywhere, all around, they spread a heart full of equanimity to the whole world—abundant, expansive, limitless, free of enmity and ill will. Having developed these four Brahmā meditations, when the body breaks up, after death, they’re reborn in a good place, a Brahmā realm.

That’s how a brahmin is equal to Brahmā
.”

[7]As Manu says, all these privileges and honours are given to the Brahmin, because “with him is the treasury of virtue”. He must open that treasury and distribute its valuables to the world. It is true that he was the earliest preacher to the Indian races, he was the first to renounce everything in order to attain to the higher realisation of life before others could reach to the idea. It was not his fault that he marched ahead of the other caste. Why did not the other castes so understand and do as he did? Why did they sit down and be lazy, and let the Brahmins win the race?Vivekananda, THE FUTURE OF INDIA

"Besides this doctrine of revolution Vivekananda’s expressions about undiluted karma inspire great expectations about human possibility. "If what we are now has been the result of our own past actions, it certainly follows that whatever we wish to be in the future can be produced by our present actions; so we have to know how to act.” (CkV I, 31) “It [future possibility) depends on the intensity of the desire." (CW VII, 97) “You have taken fate in your own hands. Your Karma has manufactured for you this body, and nobody did it for you.” (CW 111, 161) Swami Vivekananda's Conception of Karma and Rebirth, George M Williams, extrait de Karma and Rebirth: Post Classical Developments,
Calgary Conference on Karma and Rebirth, Post-Classical Developments (1982 : University of Calgary)

[8] Aux origines, p. 157

[9]dāso na pabbājetabbo” Vinaya Pitakam i.93, Digha Nikaya, Majjhima Nikāya, le Bhiksukarmavakya et l’Upasampadajnapti tibétains, car un esclave est la propriété dun autre.

[10]Employing a slave (dasa) to carry the dead or to sweep ordure, urine or the leavings of food; keeping a slave naked; hurting or abusing him; or violating the chastity of a female slave shall cause the forfeiture of the value paid for him or her. Violation of the chastity shall at once earn their liberty for them.” traduction de Shamasastry.

[11] Living with the Dead as a Way of Life: A Materialist Historiographical Approach to Cemetery Asceticism in Indian Buddhist Monasticisms, Nicholas Witkowski, 2019, Journal of the American Academy of Religion. Voir aussi Cross-Dressing with the Dead, Gregory Schopen, 2007. Titre complet : Cross-Dressing with the Dead: Asceticism, Ambivalence, and Institutional Values in an Indian Monastic Code (pp. 60-104) Gregory Schopen From: The Buddhist Dead: Practices, Discourses, Representations, University of Hawai'i Press (2007)

[12]But if the present degraded condition is due to their past Karma, Swamiji, how do you think they could get out of it easily, and how do you propose to help them?"

The Swamiji readily answered "Karma is the eternal assertion of human freedom. If we can bring ourselves down by our Karma, surely it is in our power to raise ourselves by it. The masses, besides, have not brought themselves down altogether by their own Karma. So we should give them better environments to work in. I do not propose any levelling of castes. Caste is a very good thing. Caste is the plan we want to follow. What caste really is, not one in a million understands. There is no country in the world without caste. In India, from caste we reach to the point where there is no caste. Caste is based throughout on that principle. The plan in India is to make everybody a Brahmin, the Brahmin being the ideal of humanity. If you read the history of India you will find that attempts have always been made to raise the lower classes. Many are the classes that have been raised. Many more will follow till the whole will become Brahmin. That is the plan. We have only to raise them without bringing down anybody. And this has mostly to be done by the Brahmins themselves, because it is the duty of every aristocracy to dig its own grave; and the sooner it does so, the better for all
.” The Abroad And The Problems At Home (The Hindu, Madras, February, 1897)

[13] « Car il peut être observé que dans toutes les religions polythéistes, parmi les sauvages comme dans les âges les plus reculés de l'Antiquité, ce sont seulement les événements irréguliers de la nature qui sont attribués au pouvoir de leurs dieux. Les feux brûlent, les corps lourds descendent et les substances les plus légères volent par la nécessité de leur propre nature ; on n'envisage jamais de recourir à la « main invisible de Jupiter » dans ces circonstances. Mais le tonnerre et les éclairs, la tempête et le soleil, ces événements plus irréguliers sont attribués à sa colère. »
— Adam Smith « History of Astronomy », 1755~, in W.P.D Wightman and J.C Bryce (eds), Adam Smith Essays on Philosophical Subjets, Clarendon Press, 1981, p. 491 (Wikipédia)


samedi 31 octobre 2020

La magie bouddhiste


"The sādhana of Bhikṣu Prajñāprabhā" manuscrit de Dunhuang IOL Tib J 401

Au XIIème siècle, la distinction entre la “voie des pāramitā” et “la voie des vidyādhara” devint un critère sectaire et un argument polémique, pour hiérarchiser le potentiel d’éveil et les expédients (skt. upāya) des diverses méthodes, et des lignées qui les détenaient. Les vidyādhara sont les experts en vidyā, des charmes, des incantations, des formules magiques ... Leur voie est celle des mantras (skt. mantranaya). Comme l’explique Sam van Schaik dans son livre “Buddhist Magic”, l’utilisation de formules magiques a fait partie de la pratique des bouddhistes dès le début du bouddhisme. Même si dès le début du “bouddhisme”, il y eut également des critiques contre l’utilisation de la magie. Des observateurs externes, comme Strabon (64 av. J.-C. -21_25 ap. J.-C.), faisaient la distinction entre les différents types de Renonçants/ascètes (śramaṇa), comme on appelait les “bouddhistes” avant “l’invention du bouddhisme” (voir Tomoko Masuzawa). Il y avait des ascètes vivant dans la forêt, et des śramaṇa « guérisseurs » (G. iatrikoi) qui vivaient en ville (skt. gāmavāsin), pratiquant des rituels “à toutes fins utiles” au service des citadins.

Voici comment Strabon décrit les śramaṇa “fournisseurs de services” itinérants :
Il existe encore une autre espèce de philosophes, dont les uns s’occupent de divinations et d’enchantemens, sont versés dans la connoissance de tous les rites et de tous les usages qu’on observe à l’égard des morts, et vont mendiant par les villes et les villages : les autres sont plus instruits et plus polis ; mais ils ne contribuent pas moins à favoriser la croyance vulgaire sur l’enfer, comme une doctrine qui tend à contenir les hommes dans les devoirs de la piété et de la religion. Quelques-uns sont suivis même par des femmes, qui philosophent avec eux, et qui, comme eux, s’abstiennent des plaisirs de l'amour.”
Ce jugement quelque peu négatif de certains śramaṇa itinérants semble suggérer qu’il y eut comme des charlatans parmi eux, moins instruits, moins polis, faisant peur au peuple en parlant des enfers, pour les rendre plus pieux et religieux, quelques-uns furent “même” suivis de femmes. Cette impression remonte à 2000 ans, longtemps avant “l’invention du bouddhisme” et de “l’occident”. Comme il y eut différents types de śramaṇa (des “bouddhistes”), il y eut des différents points de vue (et de “schismes”) parmi eux. Il y avait ceux qui utilisaient “la magie”, et en vivaient sans doute, et d’autres qui se souciaient davantage de leur libération (skt. mokṣa). D’aucuns diraient sans doute que les premiers étaient plus altruistes, en se rendant disponibles aux villageois et en leur proposant des services, et les derniers plus égoïstes car il ne pensaient qu’à leur salut.

Nāgārjuna distingue entre les actions pour son propre bonheur individuel (skt. abhyudaya tib. mngon mtho) et pour le bien ultime (skt. naiḥśreyasa tib. legs pa), qui est la libération (skt. mokṣa). La première catégorie d’actions consiste en une conduite qui conduira à une meilleure naissance, à de meilleurs conditions futures. La deuxième est le salut, l’objectif ultime qui n’est autre que le nirvāṇa. L’objectif ultime du “bouddhisme” est donc le nirvāṇa. Ceux qui sont ainsi disposés et qui en ont le potentiel peuvent le réaliser de leur vivant. Les autres peuvent travailler à développer ce potentiel dans l’optique du salut futur.

La pratique de la “magie bouddhiste”, “à toutes fins utiles” vise surtout à améliorer les conditions et le confort dans cette vie-ci. Aussi bien du point de vue des grecs (Strabon, Alexandre le Grand et les gymnosophistes, etc.) que celui d’autres śramaṇa contemporains, la pratique orientée directement sur le salut dans l’immédiat fut considérée la meilleure et la plus admirable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les “bouddhistes” laïcs firent et font des dons aux “renonçants”, qui ne leur donnaient rien de concret en retour, contrairement aux śramaṇa fournisseurs de services[1]. Il est très possible, et même probable, qu’il n’y avait pas cette distinction entre śramaṇa en réalité et dans la pratique, mais cette distinction existait dans l’esprit des témoins externes et parmi les différentes sectes “bouddhistes”, quelle qu’en soit la réalité. Ce n’est donc pas une idée insolite totalement nouvelle de la part d’occidentaux du XIXème siècle de penser un bouddhisme non ”magique”. Des tentatives dans ce sens ont eu lieu à différentes époques dans le bouddhisme, sans succès.

Est-ce qu’on peut dire pour autant que ces prestations de services magiques font partie de la méthode bouddhiste, celle qui est censée conduire à la libération ? Initialement non. Le bouddhisme des auditeurs (skt. śrāvakayāna) et le “grand véhicule” (skt. mahāyāna) ont leur lot de formules de protection (P. paritta), etc. et d’incantations (skt. dhāraṇī), qui semblent avoir fait leur entrée officielle dans le mahāyāna par le Sūtra du Lotus. Celles-ci sont proposées comme des aides, des astuces, dans la vie ou sur le chemin vers le salut, pour triompher sur les divers obstacles que l’on puisse rencontrer, mais elles ne font pas partie de la doctrine bouddhiste. Les richesses, une femme, un fils, la santé, etc. qui sont les fruits (skt siddhi) de ces “pratiques” ne sont pas indispensables à la libération, au contraire dirait un śramaṇa.

Il est d’ailleurs très probable que si les “bouddhistes” n’avaient pas fourni des services magique à toutes fins utiles, les fidèles se seraient débrouillés autrement en cherchant ailleurs, et en se tournant vers d’autres tradipracticiens, religieux ou pas, opportunistes ou non. Dans la sorcellerie de la campagne française, les practiciens ne sont presque jamais des religieux. Les rituels ne sont pas reconnus par l’église et font pourtant appel à un cadre religieux catholique. Trois Pater et trois Ave pour conjurer les hémorragies. Et des conjurations à toutes fins utiles en invoquant Dieu tout puissant éternel, Jésus Christ Notre Seigneur, des saints de tout genre etc. en leur demandant d’avoir pitié de leur servant tombé dans les filets de Satan. Est-ce que pour autant on dirait que ce sont des pratiques catholiques ? Si l’anthropologie dit que le bouddhisme est ce que pratiquent les bouddhistes, quels que soient le dogme officiel, alors on pourrait dire que ce genre de sorcellerie pratiquée par des catholiques laïcs ou non, fait autant partie du catholicisme que le rite et le dogme officiels. C’est un peu la thèse de Sam van Schaik.

Il y a néanmoins autre chose. La voie des vidyādhara justement, autrement dit la voie des vidyā, des incantations, des mantras, des tantras, des yantras etc. Vidyādhara se traduit aussi parfois par “sorcier”, donc la voie des sorciers. Le troisième type d’actions (après celles pour son propre bonheur individuel, abhyudaya, et pour le bien ultime, naiḥśreyasa) est promu en une voie de salut, et qui est plus, en la voie supérieure à cause de son efficacité redoutable. Ce terme se trouve utilisé dans ce sens dans le Compendium des formules magiques (IOL Tib J 401, 11ème siècle), traduit par Sam van Schaik, et dans de nombreuses autres oeuvres du même genre, notamment le Livre des formules magiques (tib. be’u ‘bum) de Bari (Bari Rinchen Dragpa 1040–1111), un contemporain de Milarepa, un sorcier repenti. Ce texte est un fourre-tout de toutes les formules magiques (népalaises et “indiennes”) compilées par Bari de son vivant, et possiblement, selon van Schaik, rédigé après sa mort.
« Une autre fois, un népalais de Rong kha bzhi venait voir le lama [Milarepa]. Manquant de respect au lama, il dit : « Toi, yogi, tu es quelqu’un avec une grande renommée, mais pour peu de chose. On raconte qu’il y a un ami spirituel (dge bshes) du nom de Bari lotsāva (1040-1111), qui [se tient sous] une ombrelle, [est précédé du son de] trompettes de cuivre, et qui aurait pour habitude de distribuer de l’or à qui vient le voir. »[2] (Vie de Milarepa selon Gampopa (1079–1153))
Puis dans l’oeuvre célèbre de Tsangnyeun Heruka (1452–1507) :
« A Dingri, [Peta] avait vu Lama Bari Lotsawa, vêtu avec des riches habits en soie, assis sur un trône élevé et protégé par une ombrelle. Quand les moines soufflaient dans des trompettes, une grande foule de gens venaient autour de lui en lui présentant des offrandes de thé et de bière. Peta pensa : »Voici comme les autres gens traitent leurs lamas. La religion de mon frère est misérable. Les gens n’ont que du mépris pour elle. Même ses proches ont honte de lui. Si je trouve mon frère, je dois l’inciter à servir ce lama. »
Milarepa lui répond par le chant des Huit préoccupations mondaines, et sa soeur Peta de rétorquer :
« Ce que mon frère appelle les Huit préoccupations mondaines, d’autres appellent bonheur. Nous (frère et sœur) n’avons aucun bonheur auquel renoncer. Tes paroles grandiloquentes sont une excuse pour cacher le fait que tu ne seras jamais comme Lama Bari Lotsawa. »
Vu la réussite sociale de Bari Lotsawa le sorcier, la magie est plus populaire “comme voie” que celle suivie par Milarepa, que ce dernier avait transmise à Gampopa, accusé par les vidyādhara de ne pratiquer que “la voie des pāramitā”. La pratique (“malhabile”) des pāramitā utilisée comme un pis-aller. Van Schaik demande aux occidentaux d’avoir une attitude plus ouverte envers la magie, mais la théocratie des vidyādhara tibétains nous a montré jusqu’où la “voie des vidyādhara” peut aller, si rien ne résiste à son/ses pouvoir(s).

Il n’y a pas l’ombre d’un doute chez les vidyādhara, qui rayonnent de certitude. Certitude parfois acquise sous la menace. Dans le chapitre des dhāraṇī du Sūtra du Lotus, le Bouddha enseigne une série d’incantations, la dernière étant celle de dix goules (skt. rākṣasī) en compagnie de la déesse Hārītī.
Si quelqu’un n’accepte pas mon incantation (dhāranī)
Et perturbe celui qui enseigne le Dharma
Sa tête éclatera en sept morceaux
Comme une branche de l’arbre arjaka
.”[3]
On imagine une foule de goules, de yakṣa, de yakṣī, de bhairava, et autre troupiers etc. derrière lui, “retenez-nous, ou nous faisons un malheur”. La magie, tout comme la mafia, s’impose par la peur. La peur d’un sorcier ou d’un être surnaturel qui pourrait nous faire du mal. Cette peur existe par la grâce de notre croyance en le pouvoir de celui qui est censé le détenir. S’il y a bénéfice (exorcisme, rassurance, …), il est possible par notre croyance. C’est un expédient, une thérapie. Une voie de croyance en des expédients peut-elle conduire à la libération ? Par la grâce des expédients et son idéologie, grâce à la croyance (pensée circulaire) ? Je ne le pense pas, mais la voie des sorciers est convaincue que d’une manière ou d’une autre elle aboutit à la libération.

Le bouddhisme a l’image idéalisée d’une religion rationnelle, essentiellement libre de superstitions et de rituels[4], écrit van Schaik. En voyant les mots “religion” et “superstition”, je pense immédiatement à l’origine de ses mots, “superstitio illicita” et “religio licita” (Edit de Milan ou édit de Constantin), et je me demande alors ce que “superstition” peut bien vouloir dire dans ce contexte. Le dictionnaire (atilf) définit la superstition comme une “croyance religieuse irrationnelle”, en opposition à une croyance religieuse rationnelle, ou une connaissance religieuse rationnelle[5] ? Si l’on considère la pratique de la magie dans un cadre religieux (bouddhiste ou autre) comme “superstitieuse” (contraire à la raison), cela ne peut pas vouloir dire que les autres aspects de la religion soient nécessairement conformes à la raison. A la limite ils sont extrarationnels (tib. blo las 'das pa).
If we want a different kind of Buddhism, we should also consider the ways in which Buddhist magic has eased suffering, if only temporarily, and built bridges between the high aims of Buddhism and the everyday needs of the people who support it.”

These are the kinds of service that Buddhist magic users have always offered their clients—alleviating pain and calming anxiety. From this point of view, we can see how the needs fulfilled in Asian societies by Buddhist magic are addressed by other kinds of practices now offered in Western Buddhist contexts." 

"Perhaps after all, mindfulness and other therapeutic offshoots of Buddhism are the closest thing to Buddhist magic in contemporary Western societies.” (Buddhist Magic)
On peut considérer que, faute de mieux, la magie a permis d’alléger les souffrances des fidèles, à condition que ceux-ci y croient. Il me semble qu’à notre époque, nous n’avons plus besoin de passer par la magie et toute l’idéologie qui l’accompagne. Allons-nous passer à côté de quelque chose ? Quoi exactement, mettons-y des mots. Est-ce que comme le suggère van Schaik, d’autres thérapies (Pleine conscience, Thérapies Comportementales et Cognitives, pensée positive, …) peuvent prendre la place de la magie (bouddhiste) ? Toujours contre rémunération…

Le mot religieux par excellence “grâce” signifie un “don accordé sans qu'il soit dû”. “Grâcieusement” signifie “gratuitement”. Le bouddhisme “religieux” enseigne les pāramitā, la première étant la “générosité”, le don, la disponibilité. Le Dharma est enseigné “sans qu'il soit dû”, cela s'appelle "le don du Dharma". Ce ne fut pas le cas des services magiques rendus par les “bouddhistes” dans le passé et encore maintenant (voir aussi L'art d'enfumer) ni d’ailleurs pour les thérapies contemporaines mentionnées ci-dessus. Disons que l’absence de gratuité/grâce est ce qui sépare peut-être “la magie”/les initiations (les dīkṣā etc.)/les thérapies de l’aspect religieux du bouddhisme, en considérant ainsi la religion en ce qu’elle a de meilleur. Peut-être dû à un certain rapport entre l'offre et la demande.

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Imperfect Buddha Podcast avec Sam van Schaik

[1] Dans le cas d’une initiation, le disciple offre une redevance (skt. dīkṣā).

[2] La vie de Milarepa dans l’œuvre complet de Gampopa. yang dus gcig na bla ma la bal po'i rong kha bzhi mi zhig gis mi la bltar 'ongs tsa na/ khong bla ma la ma dad nas mi la rnal 'byor pa khyod sgra che la don chung ba zhig 'dug/ dge bshes bya ba ba ri lo ts+tsha ba la zer ba yin/ gdugs sam zangs dung ngam su phrad la gser ster lugs sam zer nas song*/

[3]If anyone does not accept my dhāranī, And troubles one who expounds the Dharma, His head will be split into seven pieces Just like a branch of the arjaka tree.” Buddhist Magic

[4] “... this is the idealized image of Buddhism as a rational religion, essentially free from superstition and ritual.” Voir aussi Think Again Before You Dismiss Magic de Roger R. Jackson

[5] "Il y a dans la croyance (Fürwahrhalten) les trois degrés suivants : l'opinion (Meinen), la foi (Glauben), et la science (Wissen)", Leçons sur la philos. de Kant, 1857, pp. 266-267

jeudi 11 juin 2020

Un jeune homme radical qui s'est bonifié avec l'âge ?


Jungle Wale Baba, mort (en 2019) par "Sallekhan vrat"

Selon la Légende du Bouddha, le Buddhacārita d’Aśvaghoṣa (IIème) ou Āryasūra (IVème), la famille de Bouddha avait un conseiller royal (mantradhāra) et un prêtre royal (purohito). Le poète Aśvaghoṣa, comme tout poète, se base sur la littérature existante (Mahābhārata, etc.), pour rendre immortel le Bouddha et sa famille, en le décrivant comme de sang royal. En faisant cela, Aśvaghoṣa et/ou Āryasūra reflètent néanmoins l’image du Bouddha de leur époque (II-IVème siècle), ou l’image qu’il aura par la suite grâce à leurs écrits, ou leurs éditions subséquentes.

Dans la Légende, le conseiller royal et le prêtre royal furent ceux chargés d’enseigner au prince les devoirs politico-religieux (dharma)[1] qui lui incombaient. Selon l'auteur de la Légende, pour chaque chef de foyer (gr̥hastha) le dharma se résumait à trois dettes. Envers les ancêtres pour avoir une descendance, aux saints (skt. ṛṣī) pour recevoir la tradition sacrée, et aux dieux en faisant leur culte (IX, 55).[2] Celui qui s’est acquitté de ses trois dettes peut s’appeler « libre » (mokṣa). En tant que prince, Siddharta a également le devoir de succéder à son père, qui s’apprête peut-être à entrer dans le dernier des quatre stades de la vie (āśrama), celui du renoncement (saṃnyāsa). La décision de son fils, l’empêche d’abdiquer et de se retirer. Le prince laisse également sa femme et son fils derrière lui.

C’est un renoncement total, y compris à l’obligation des trois dettes religieuses traditionnelles. Le prince se met dans une situation, où il ne peut que sortir par le haut (la sortie du cycle des existences) ou échouer. Cela dépend de l’issu de son projet. Le prince ne veut pas de l’engagement tiède de grands rois légendaires du passé qui l’ont précédé (Buddhacārita, IX, 67). Son projet est de connaître « la vérité », le « Réel » (tattva, tathātā tib. de nyid), et ainsi de trouver la quiétude (skt. śama tib. zhi ba), qui n’est autre que le nirvāṇa, l’extinction du « feu » (Voir The mind like fire unbound de Thanissaro Bhikkhu). Il semble penser que cette entreprise et sa réussite exonérera de l’acquittement des trois dettes, ou que son objectif dépasse celui de l’acquittement des trois dettes. En fait, les trois dettes ne concernent que les membres de la société, dont le Bouddha et les autres Renonçants (śramaṇa) se sont retirés, en vivant « dans la forêt » jusqu'à leur mort. Ces dettes ne les concernent donc plus. Ils ont fait le premier pas pour réellement sortir du monde et du cycle des existences (saṁsāra).

Ils restent néanmoins moralement liés à la troisième dette, qui concerne les saints et leurs traditions. Ceux qui renoncent, au titre du principe de saṃnyāsa, sont dignes de respect et par conséquent des champs d’offrandes ou d’aumônes du point de vue de la société. Donner de la nourriture à un saint/renonçant, c’est s’acquitter d’une des trois dettes. Même sans être des « saints » appartenant à la tradition védique/brahmanique, les śramaṇa bouddhistes etc. profitent de la générosité des membres de la société. Du point de vue śramaṇa, cela ne constitue cependant pas un endettement envers les donateurs, puisqu’ils fournissent aux donateurs opportunité de se créer du bon karma (qu’ils définissent à leur manière), et de s’acquitter d’une des trois dettes. Un saint est un saint, quel que soit son appartenance, si celle-ci est tolérée par les rois, les conseillers royaux et les prêtres royaux.

Il n’est pas besoin de savoir si le « saint » spécifique, en lequel on investit, « réussit » ou non, pour participer au mérite (puṇya). Donner aux « saints » ou à ceux qui en ont l’aspect extérieur est un acte religieux. Recevoir des dons au titre de cette deuxième « dette », créé néanmoins une obligation pour le saint qui en est l’objet. Abandonner son projet est considéré comme une dette non acquittée et l’endommagement de son voeu, par le futur Bouddha (voir ch. IX, Buddhacārita). « Connaître la vérité » (l’éveil) semble effacer toutes les dettes, selon notre jeune prince, ou impliquer l’acquittement de toutes les dettes.

Surtout, si un Bouddha pratique le don du Dharma, ce qui ne semblait pas aller de soi pour le Bouddha fraîchement éveillé. La liberté, cela se mérite (acquittement des trois dettes), ou cela se prend tout simplement pour les intrépides. Quitter sa famille, son fils, ses parents, renoncer à son devoir royal, ignorer l’acquittement de sa triple dette envers la société, et après l’éveil ne pas se sentir obligé de faire le don du Dharma à autrui, c’est-à-dire à ceux qui vous ont nourri. Il faut avoir un sacré culot ! C’est une certaine idée de la liberté. « Seul Dieu n'a besoin de rien. Ni de nous, d'autant moins de lui-même.» V.Holan

Mais le Bouddha a finalement cédé à la demande d’un dieu (Śakra). Ce n’était pas un ordre, car le Bouddha n’obéit pas aux dieux. Puis, il s’est engagé dans le monde, en montrant la sortie du monde et du cycle des existences. Il y a une radicalité indéniable en tout cela.

Cela continue avec son premier enseignement qui portait sur le développement du dégoût (aśubha-bhāvanā), nécessaire pour quitter le monde. A la suite de son enseignement, cinq cents moines se seraient suicidés (Vesali sutta, Samyukta-āgama 809[3]), ce qui aurait conduit le Bouddha à modifier le code monastique (Vinaya), et à plutôt enseigner l’attention au souffle (donc pas son premier choix). Le « suicide lent » était pourtant une méthode utilisée pour mortifier le corps et purifier le mental par les Jaïns (mort par le jeûne, santhara). On en trouve encore des traces dans le bouddhisme même (p.e. Sokushinbutsu).

Quand, lors de sa pratique de mortification, le futur Bouddha est près de la mort, il endommage en quelque sorte le vœu du jeune prince en revenant sur sa décision. Ou plutôt, il juge que la méthode de libération utilisée par les Renonçants ne conduit pas à la connaissance de la vérité. Ses anciens compagnons, qui le voient toujours vivant, en tant que Bouddha, prennent ce changement comme une sorte de trahison de leur engagement et méthode. Comment peut-on être libéré quand le corps physique est toujours vivant ?

Cinq ascètes jaïns

Ce petit pas en arrière du futur Bouddha constitue la voie du milieu, entre la vie pleinement engagée et l’ascèse extrême[4], qui aboutit à la mort du corps physique. Il faut avoir un sacré aplomb, après ses trahisons en série, de se déclarer libéré, éveillé, et ne devant plus rien à personne, ni aux ancêtres, ni aux saints, ni aux dieux, ni aux Renonçants. On ne le voit même pas rendre hommage aux Bouddhas qui l’ont précédé, et qui auraient ouvert la voie, selon la tradition bouddhiste ultérieure.

Cette indépendance d’esprit, cette radicalité, cette liberté, cet aplomb, on ne les voit plus chez les descendants du Bouddha, qui se réclament de lui, de ses paroles, de ses méthodes. Le Bouddha aurait formulé des règles à suivre, une doctrine, une pratique, que ses disciples suivent conformément, pour devenir comme le Bouddha…

Le bouddhisme enseigne même ce qui est bien à penser (kuśala) ou pas bien à penser (akuśala). Il enseigne notamment comme une vue fausse (skt. mithyādṛṣṭi P. micchā diṭṭhi tib. log lta), celle que le bouddhisme pāli attribue au Renonçant « matérialiste »[5] Ajita Kesakambalin. C’est une vue qui précède apparemment le jaïnisme et le bouddhisme, et qui considère la perception directe, l’empirisme et les inférences conditionnelles comme des sources de connaissance valide (pramāṇa), pratique un scepticisme philosophique en rejetant le ritualisme et le surnaturel (longtemps avant l'orientalisme, Burnouf, le modernisme bouddhiste et les anthropologues pro-religions). Cette vue sera considérée par la tradition bouddhiste comme « extrême » et est appelée « annihilationisme » (ucchedavāda) par elle. Ce que condamne notamment la tradition bouddhiste dans la vue d’Ajita Kesakambalin[6], à en juger par la définition de la vue fausse, ce sont le rejet des devoirs religieux par rapport à la vie suivante, au culte des ancêtres, au mérite rattaché aux offrandes aux saints (prêtres, contemplatifs, …), au culte des dieux, très précisément l’objet des trois dettes mentionnées ci-dessus. La "générosité" dans ce contexte, n'est pas la perfection du don, mais plutôt les dons et les transferts de mérite aux morts, aux ancêtres, les dons pour des raisons religieuses, les dons aux clercs, les offrandes et les sacrifices du culte des dieux.

Le futur Bouddha semble, lors du grand départ du palais, dans une attitude de Renonçant nettement plus extrême que celle de la tradition bouddhiste après lui, qui a réintégré la pratique des trois dettes sous diverses formes.


Jeunes novices bouddhistes (Gandhara),
bien avant la recherche d'un corps immortel

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Should India's Jains be given the choice to die? Soutik Biswas, 21 August 2015, BBC


[1] Nous sommes dans une monarchie, où le roi tire son autorité de la religion, chargée entre autres du culte du roi dans le temps et dans l’espace du royaume.

[2] 55. ―A man discharges his debt to his ancestors by begetting offspring, to the saints by sacred lore, to the gods by sacrifices; he is born with these three debts upon him, — whoever has liberation (from these,) he indeed has liberation.
naraḥ pitṛṇāmanṛṇaḥ prajābhirvcdairṛṣīṇaāṁ kratubhiḥ surāṇam | utpadyate sārdhamṛṇaistribhistairyasyāsti mokṣaḥ kila tasya mokṣaḥ || 9.55 (9.65)
lha yi mchod sbyin drang srong rnams kyi rig byed dang //
pha yi bu lon med pa bu rnams kyis te mi//
gang gi zhe grol ba yod pa de yi thar pa zhes//
bu lon gsum po de dang lhan cig skyes pa'o// 55

[3] Voir The Mass Suicide of Monks in Discourse and Vinaya Literature, Anālayo

[4] Voir Comment les enseignements du Bouddha se distinguent du Brahmanisme et du Sramanisme

[5] Du mouvement des Cārvāka ou Lokāyata.

[6] « Ajita Kesakambalin me dit, 'Grand roi, rien n'est donné, rien n'est offert, rien n'est sacrifié. Il n'y a ni fruit ni résultat des bonnes ou des mauvaises actions. Il n'y a ni ce monde, ni le monde à venir, ni mère, ni père, ni êtres renés spontanément ; ni prêtres ni contemplatifs qui, se portant bien à juste titre et pratiquant à juste titre, proclament ce monde et le prochain après l'avoir directement connu et réalisé par eux-mêmes. Une personne est un composé de quatre éléments primaires. A la mort, la terre (dans le corps) retourne à et se fond dans la substance-terre (extérieure). Le feu retourne à et se fond dans la substance-feu extérieure. Le liquide retourne à et se fond dans la substance-liquide extérieure. Le vent retourne à et se fond dans la substance-vent extérieure. Les facultés des sens s'éparpillent dans l'espace. Quatre hommes, avec la bière pour cinquième, portent le cadavre. Ses éloges ne résonnent pas plus loin que le charnier. Les os deviennent couleur pigeon. Les offrandes finissent en cendres. La générosité est enseignée par des idiots. Les paroles de ceux qui parlent de l'existence après la mort sont fausses, bavardage vide de sens. A la dissolution du corps, les sages et les fous tout pareil sont annihilés, détruits. Ils n'existent pas après la mort.' » Samaññaphala Sutta, Les fruits de la vie contemplative