Le personnage principal de la pièce est le très zélé et fraichement gradué brahmane Sankarśana qui veut nettoyer le Cachemire en éliminant les sectes qui ne respectaient pas les Vedas. Excellant logicien il va débattre avec les chefs de chacun des sectes non védisantes pour démonter leurs arguments. Hormis le faste des temples avec des bouddhas dorés et des offrandes somptueuses présentées par des jeunes filles au buste généreux, le scrupuleux inquisiteur n’a pas grand-chose à leur reprocher. Le moine bouddhiste en chef Dharmottara semble suivre la doctrine vijñānamātra. Il n’y a pas de signe d’une pratique yoginitantrique bouddhiste, ou de moines débauchés à part les regards complaisants lancés aux jeunes filles qui les servent.
La discipline semble en revanche plus relâchée chez les jaïns. Mais c’est surtout parmi les shivaïtes que Sankarśana veut faire le ménage. L’appartenance des « robes sombres » n’est pas très claire, mais vu la ressemblance de leurs comportements avec ceux des shivaïtes dégénérés, on peut soupçonner qu’il y a un lien. Après leur exil, d’autres membres de sectes qui se sentent menacés quittent le pays. Parmi eux ceux qui suivent « la grande ascèse » (S. mahāvrata) et portent de noms significatifs « Cendres crématoires » (Maśāṇa), « Bannière de Squelette » (Kaṃkāla), « Flammes du feu la fin du temps » (Kālaggi). Sans doute des Kāpālika. Mais même les honnêtes citoyens adeptes de Śiva commencent à se sentir menacés et sont sur le point de s’enfuir. Il faut donc les retenir.
Les « mauvais shivaïtes » sont décrits comme des adeptes « accros à la bonne chère, l’alcool et aux rapports sexuels avec des servantes (déjà le fantasme des soubrettes ?) »[2].
« Que ne boivent-ils pas ? Sans doute uniquement ce qui n’est pas liquide. La seule chose qu’ils ne sont pas autorisés à manger, c’est ce qui est amère ou ce qui ne peut pas se casser avec les dents. S’il y a une seule créature avec des seins avec laquelle les rapports sexuels ne sont pas autorisés, ce serait bien parce qu’elle n’est pas encore née ou qu’elle est morte. Quel sanctuaire dans le monde se prêterait le mieux à leur ascèse ? Sans doute une taverne. »[3]D’où sort ce reproche ? Les bons shivaïtes sont dits « chastes ». Ils ont la peau couverte de cendres et boivent du nectar de fleurs (S. puṣp'āsavāḥ). Le roi lui-même est d’ailleurs un adepte de Śiva. Dans la pièce, Sankarśana impose deux règles à toutes les sectes. Elles ne doivent pas se mélanger ; il faut éviter la confusion. Il ne faut pas qu’elles acceptent des membres qui n’ont qu’une pratique extérieure et qui rejettent les écritures et le Dharma. Les sectes désapprouvées par Sankarśana et interdites par le roi Śānkara-varman viennent probablement juste d’arriver. Leurs membres sont exilés et s’exilent (certains au Tibet occidental), mais ce n’est pas la fin de ces nouvelles doctrines. Alexis Anderson[4] confirme qu’il y existait au Cachemire du dixième siècle des tensions entre les shivaïtes orthodoxes et dualistes (Śaiva Siddhānta) et des shivaïtes non dualistes. Il ajoute que les chefs de famille suivaient extérieurement le comportement orthodoxe tout en étant secrètement initié dans le Trika et pratiquant en secret (11éme-12ème s.) les rites Kaula (consommation de viande, de vin et pratiques sexuelles), reformés par Abhinavagupta (approx. 950 - 1020 AD).[5] Le bouddhisme tantrique connaîtra un développement similaire. Ce sera pour une autre fois.
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Illustration : sculpture de Durga à quatre bras, fin 9ème siècle, Cachemire
MàJ 020412 Article (en anglais) sur le blog d'Elisa Freschi
MàJ 20122015 Tolerance, Exclusivity, Inclusivity, and Persecution in Indian Religion During the Early Mediaeval Period, Alexis Sanderson
MàJ 020412 Article (en anglais) sur le blog d'Elisa Freschi
MàJ 20122015 Tolerance, Exclusivity, Inclusivity, and Persecution in Indian Religion During the Early Mediaeval Period, Alexis Sanderson
[1] Much ado about religion, Dezsö, Csaba, 2005, p. 15
[2] (Dezsö, 2005), p. 143
[3] (Dezsö, 2005), p. 141
[4] Śaivism : Śaivism in Kashmir, 1986, vol. 13, p. 16
[5] Kiss of the Yoginî, White, 2003, p. 159
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