Nous avions déjà vu une famille de scribes influente au Tibet, Gayadhara et ses descendants. Dans ce billet, je parlerai de Ratnavajra et ses descendants, une lignée de brahmanes qui avait fait beaucoup pour le bouddhisme tibétain. Ce qui frappe dans ce qui suit est la transmission de père en fils, la fonction importante des laïques dans un milieu monastique, le rôle joué par des membres de la caste des brahmanes et la désignation par le roi des administrateurs de vihāra bouddhistes.
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Il retourna ensuite au Cachemire, où il triompha sur les non-bouddhistes et où il fonda des centres d’études spécialisés en les tantras de Vidyāsambhāra et Guhya-samāja, et en le traité (attribué à Maitreya) du intitulé Sūtrālaṃkāra (T. rdo sde rgyan). A la fin de sa vie il serait allé à Oḍḍiyāna dans l’ouest. Il est encore connu pour avoir converti au bouddhisme Guhyaprajñā, le fameux maître rouge. Il serait également allé à Tho-ling pour y assister Rinchen Zangpo (958-1055) dans ses traductions, puis à Samyé pour surveiller la construction d’une terrasse circulaire, qui avait été détruite par un incendie en 968. Il aurait encore enseigné la Mahāmudrā à Dampa Sangyé (Paramabuddha).
Son fils était Mahajana, un collaborateur de Marpa, et l’auteur d’un commentaire sur le Soutra du Cœur, intitulé Prajñāpāramitāhṛdayarthparijñāna. Il travaillait en collaboration avec des traducteurs tibétains et notamment avec Seng nge rgyal mtshan à la traduction tibétaine de La discrimination entre les propriétés et la substance des propriétés (S. Dharma-dharmatā-vibhaṅga T. chos dang chos nyid rnam par 'byed pa), que Maitrīpa aurait rédécouverte.
Son fils, et donc le petit-fils de Ratnavajra, fut Sajjana ou Satyajñāna. Il étudia auprès d’un maître, laïque aussi, très réputé au Cachemire, du nom de Śrī Bhadra ou encore Suryaketu, qui vivait dans la ville cachemirienne Anumapamapura[1] (T. grong khyer dpe med), où se trouva le monastère Ratnaguptavihāra[2]. Sajjana est considéré être à l’origine de l’anuttarayogatantra (RGV?) au Cachemire[3]. Sa spécialité était l’enseignement des Cinq traités de Maitreya (T. byams chos lnga) et notamment du Traité mahāyāna du continuum insurpassable (S. Mahāyanottaratantra-śastra ou encore Ratnagotravibhāga (RGV) T. theg pa chen po rgyud bla ma'i bsten chos), qui aurait également été rédécouvert par Maitrīpa. Toutes les lignées du RGV au Tibet se rattachent à Sajjana. Ensemble avec rNgog blo ldan shes rab (1059–1109), il traduit le RGV et le commentaire sur le RGV en tibétain.
Sajjana aussi eut un fils, Suksmajana[4] (Sūkṣma jñāna ?). Une lettre[5] que lui adressa Sajjana est préservée en tibétain. Ensemble avec le traducteur tibétain, le moine (pa tshab lo tsa ba) Nyi ma grags (1055-), Suksmajana traduisit Les 400 stances sur la conduite yoguique des bodhisattvas de Candrakīrti (T. slob dpon zla ba grags pa). Le colophon nous apprend que la traduction fut faite au temple du Ratnaguptavihāra (T. rin chen sbas pa'i kun dga' ra bar) dans la ville cachemirienne d’Anumapamapura (T. dpal grong khyer dpe med) avec l’abbé (T. mkhan po) indien Sūkṣmajāna (T. sukshma dz'a na), qui était né dans la longue lignée de pandits du grand brahmane Ratnavajra comme le fils de Sajjana (T. sad dz’a na)[6]. Si Suksmajana était l'abbé du monastère, et donc un moine, on peut présumer que la lignée familiale de Ratnavajra s'était éteinte avec lui, à moins qu'il n'ait eu des frères.
Ratnavajra ne fut pas le premier maître de Rinchen Zangpo, mais Śrāddhakaravarman, qu’il rencontra au Cachemire, et auprès de qui il étudia pendant 7 ans avant d’aller à Vikramaśila pendant quelques années. Il retourna au Cachemire, et au bout de 13 ans, il retourna au Tibet, probablement en 987. Il ferait trois voyages en Inde. Son maître Śrāddhakaravarman avait appris le système de Guhya-samāja selon la tradition de Buddhaśrījñāna auprès de Śāntipa/Ratnakāraśānti.[7] De Ratnavajra le cachemirien, Rinchen Zangpo apprit les yogatantras, de Nāropa le Guhya-samāja et de Karuṇa ? de Ratnadvīpa (T. nor bu gling pa) le Sarva-durgatipariśodhanatantra (T. dpal ngan song thams cad yongs su sbyong ba'i rgyud)[8]. Pour la liste complète voir le site Treasury of lives. Tout comme Ratnavajra, Śrāddhakaravarman l’avait rejoint à Tholing (T. thod gling) pour l’assister dans ses traductions.
L’hagiographie de Niguma[9], que l’on trouve dans les textes canoniques de la lignée Shangpa[10], mentionne qu’elle fut née dans une famille de brahmanes, dans la ville d’Anumapamapura (Srinagar ?) au Cachemire. Selon l’hagiographie, les quartiers des marchands d’alcool y était très nombreux (3.600.000 quartiers T. 'bum tsho sum co so drug), ce qui laisse présager une sacrée consommation d’alcool… Un de ses quarties avait pour nom « Duna ». C’est là qu'auraient vécu les pandits Nārotapa et Ratnavajra. Niguma serait la fille du brahmane Śāntivarman et la sœur de Nāro panḍīta.
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Photo : "Group of famous brahmin pundits" Kamat Research Database
[1] L’actuel Shrinagar selon Jean Naudou.
[2] Selon Tarānātha construit par bhaṭṭāraka Saṃghadāsa (T. dge ‘dun ‘bangs) à l’époque du roi Mahāsamatta (T. mang pos bkur ba), fils de Turuṣhka (de Turkistan). (p. 177)
[3] Saints and sages of Kashmir, Triloki Nath Dhar
[4] Ce pandit avait collaboré à la traduction tibétaine d’un texte d’Aryadeva dans le temple de Ratnaguptavihāra, dont il était l’abbé dans la ville d’ Anumapamapura., byang chub sems dpa'i rnal 'byor spyod pa bzhi brgya pa'i rgya cher 'grel pa / (bodhisattvayogacaryācatuHśatakaṭīkā)
[A] zla ba grags pa / (candrakIrti.), [Tr] sukSmajAna (sUkSmajana)., [Rev] pa tshab nyi ma grags /
[P. No.] 5266, dbu ma, ya 33b4-273b3 (vol.98, p.183-?)
[D. No.] 3865, mdo 'grel, ya 30b6-239a7. [N] ya 34b1-264a6. [Kinsha] 3265, ya 40b1 (p.21-3-1)
[5] Brahmana sajjanena putraya presita lekha, Pratyabhijna Vimarshini (Laghvi)
[6] slob dpon dang slob ma rnam par gtan la dbab pa bsgom pa bstan pa zhes bya ba ste rab tu byed pa bcu drug pa'i 'grel pa'o// //bzhi brgya pa'i 'grel pa slob dpon zla ba grags pa'i zhal snga nas kyis mdzad pa rdzogs so// //dpal grong khyer dpe med kyi dbus rin chen sbas pa'i kun dga' ra bar/ rgya gar gyi mkhan po sukshma dz'a na zhes bya ba gdud rabs grangs med par pandi ta brgyud pa'i rigs su sku 'khrungs pa bram ze chen po rin chen rdo rje'i dpon po bram ze chen po sad dz'a na'i sras gcig tu bde bar gshegs pa'i bstan pa la gces sgras su mdzad pa bdag dang gzhan gyi gzhung lugs rgya mtsho'i pha rol tu son pa'i zhal snga nas dang/ bod kyi sgra bsgyur gyi lo ts'a ba dge slong pa chang nyi ma grags kyis bsgyur cing zhus te gtan la phab pa// //
[7] Saints and sages of Kashmir, Triloki Nath Dhar
[8] Non trouvé. En revanche on trouve le dpal ngan song thams cad yongs su sbyong ba'i rgyud las phyung ba spyan ma'i ngan song sbyong pa'i cho ga, traduit par notre ami l'avadhuti Vairocanavajra, dont le colophon lit : shi ba bde 'gror sbyar ba'i cho ga shin tu 'dod pa mchog tu gyur pa zhes bya ba'i ming can dpal stong nyid ting nge 'dzin rdo rje'i zhabs kyis mdzad pa rdzogs so// //rgya gar gyi mkhan po aa ba dh'u t'i bee ro tsa na badzra'i zhal snga nas dang/ bod kyi lo ts'a ba khams ba ldi ri chos kyi grags pas bsgyur ba'o//
[9] Ye shes kyi Dā ki ma ni gu ma’i rnam thar. Nigu-ma : cachée ou mystérieuse. niguh [ni-guh] v. [1] pr. (nigūhati) pp. (nigūḍha) couvrir, cacher, dissimuler — ca. (nigūhayati) cacher, dissimuler; mettre au secret.
[10] dpal ldan shangs pa bka' brgyud pa'i chos skor rnam lnga'i rgya gzhung, Delhi 1984
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