dimanche 10 mai 2020

Un Bouddha sans pratique de l'immortalité est un simple saṃsārika




L’Energie, c’est la Nature (skt. prakṛti), la Déesse, la Femme. La magie classique macrocosmique est remplacée par une magie naturelle, qui invite à l’exploration microcosmique.
"Une nuit [Mogchokpa, rmog lcog rin chen brtson 'grus 1110-1170)] vit en rêve un corbeau. Ensemble ils allèrent à un endroit où se trouvait un ami. Mais comme cet ami n'était pas la, puisqu'ils étaient arrivés un jour où il y avait le marché (tib. tshong dus), ils sont retournés en bas pour atterrir à l'entrée de la grotte de méditation. À ce moment-là le corps du corbeau s'est transformé en la vénérable (tib. rje btsun ma = Vajravārahī. En un seul instant il vit tout l'univers, des enfers jusqu'aux champs de bouddhas. Et quand il regarda son propre corps, il y vit tous ces phénomènes. Il fit alors le chant suivant : 
De la sphère de la non-production le flot est incessant
Étant pure pensée, rien ne l'arrête
Pour celui qui qui ne s'y méprend pas, c'est le rêve cosmique (T. sgyu lus S. māyādeha)
Qui émerge de la sphère de l'expérience de la réintégration (yoga)
Les pensées relatives à sa propre personne s'évanouissent
Le Corps du Vainqueur est au sein même du corps individuel (S. karmavipāka)
Le précieux Seigneur me l'a révélé (tib. ngo sprod)
Le Corps réel (skt. dharmakāya) est au sein même du corps psychique
Le précieux Seigneur me l'a révélé
Le Corps du Vainqueur est au sein même du corps mnémique (S. vāsanā)
Le précieux Seigneur me l'a révélé."[1]
Qu’est-ce qui a fait qu’après le bouddhisme monastique, mahāyāna, les tantras classiques comme le Mahāvairocana-sūtra avec le mariage des maṇḍala (vajradhātu et garbhadhātu), la Déesse, la Matrice (garbha), Vajravārāhī s’émancipe ? Pourquoi, selon les hagiographies, des tantrikas bouddhistes accomplis comme Virūpa, Nāropa, Maitrīpa quittent-ils leurs monastères sur le conseil d’une Femme (jeune fille ou vieille dame) ? Que cherchaient-ils qu’ils ne trouvaient pas dans le bouddhisme ésotérique avec sa “métaphore impériale” ? On a vu un Abhayakāragupta encore décliner l'offre devant l’appel des jeunes filles, et de Vajravārāhī, de justesse...

Ce qui leur semblait avoir manqué, initialement, c’est une pratique Energétique/Pneumatique. D’abord surtout tourné vers les souffles (vāyu). Ce mental indomptable, seule la maîtrise du souffle semblait capable d’en venir à bout. D’où venait cette idée ? “Même un Bouddha, tant qu’il n’a pas perfectionné la pratique de l’immortalité (Amṛtasiddhi), est considéré comme un être du monde (skt. saṃsārika)[2]. Et Virūpa de conclure son Amṛtasiddhi :
“Puisque l’air (skt. vāyu) pénètre tout, c’est l’air qui confère les pouvoirs occultes (skt. siddhi). C’est à cause de l’air que l’on devient immortel. Voilà, pourquoi moi, Virūpa, a enseigné ceci, l’Amṛtasiddhi[3]
Était-ce donc cela, la raison pour laquelle l’hagiographe (Abhayadatta) raconte comment Virūpa, au bout de douze années de pratique de récitation de Vajravārāhī, craque, détruit son rosaire, et le lance dans les latrines ? Est-ce pour cette raison que le texte attribué à Virūpa affirme que “celui qui tente de maîtriser son esprit à l’aide de l’autoconsécration svādhiṣṭhāna yoga [du Guhyasamāja, Cakrasaṃvara etc.] ferait aussi bien de manger des pierres et boire le ciel ?”[4] Il est évident ce que ce texte pense d’un Bouddha sans maîtrise du souffle, ou du devatāyoga.

Mais cela ne durera qu’un temps, comme le non-engagement mental comme “méthode” par excellence n’a duré qu’un temps. La pratique monastique avec sa “métaphore impériale” finira par réintégrer, et les pratiques énergétiques, et le non-engagement mental, désormais bien encadré par le culte du maître et de la divinité.

***

[1] Extrait de l’hagiographie de Mokchogpa, volumes shangpa KA, p. 180 et suivantes.

skye med klong nas 'gags med 'phyo//
bsam pa tsam gyis thogs pa med//
gang gis bslur med sgyu ma'i lus//
rnal 'byor rig pa'i klong nas shar//
tshe 'di'i rnam rtog yal nas thal//
rnam smin gyi lus la rgyal ba'i sku//
ngo sprod kyi rje btsun rin po che//
yid kyi lus la chos kyi sku//
ngo sprod kyi rje btsun rin po che//
bag chags kyi lus la rgyal ba'i sku//
ngo sprod kyi rje btsun rin po che//

[2] “Even a Buddha, as long as [he remains] unperfected [by means of the practice taught in the Amr.tasiddhi], is considered a worldly man.” 32.3.ab tāvad buddho 'py asiddho 'sau narah. sām.sāriko matah. | Mallinson

[3] rlung gis yongs la khyab pa yis// rlung gis dngos grub thams cad sbyin// rlung gis ’chi ba med par ’gyur// de ni bdud rtsi grub par ni// bir ba nga yis yang dag bshad//

[4] “He who tries to master his mind by means of self-established yoga deludedly chews a rock and, thirsty, drinks the sky.” svādhiṣṭhānena yogena yasya cittaṃ prasādhyate | śilāṃ carvati mohena tṛṣitaḥ kaṃ pibaty api ||.|| Mallinson

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