Urne funéraire |
La suite de mes explorations du quiétiste Malaval. Elles me serviront à faire des comparaisons idéologiques dans des blogs à venir.
La science infuse est la Science qu’Adam avait reçu de Dieu au moment de la création. La « scientia infusa » est la Science versée par Dieu dans l'âme, et non acquise. Le participe passé du verbe latin infundere signifie « verser dans, répandre dans (ou sur), etc. » CNRTL
Il y a un dialogue fort intéressant dans La belle ténébre de François Malaval sur l’état passif. Ce qui est bien dans les écrits spirituels du XVIIème siècle, c’est qu’ils aiment expliquer comment se produisent les divers états spirituels, parfois presque de manière Scientifique, en donnant toutes sortes de détails, comme si la foi seule ne suffisait pas, ou qu’il fallait lui donner un coup de main. L’avantage est que l’on sait ce qu’un auteur spirituel a derrière la tête, et à travers lui les chercheurs spirituels de son époque. Malaval ne cherche pas la facilité et semble faire de son mieux pour tout aborder, dans le cadre que la religion catholique de son temps lui impose.
Dieu est le créateur, qui regarde l’âme « comme un vase précieux où il verse tout ce qu’il lui plaît »[1]. Une petite citation qui annonce la couleur de la discussion sur la relation entre Dieu et l’âme humaine. D’un côté un principe actif, le plus grand moteur de l’univers, de l’autre un « vase précieux », qui, selon Malaval, est passive de deux manières : quant aux principes et quant aux actions. L’âme est passive au regard de la grâce, infuse, qui la fait agir. Il s’agit des puissances (inférieures et supérieures) de l’âme, avec lesquelles « l’âme produit les actions justes et agréables à Dieu ». L’âme est également passive au regard de la foi, « parce que la foi est une lumière infuse et non pas produite par son opération, à l’aide de laquelle l’âme croit ce qui est au-dessus de la nature et de la raison. » Ceci est selon Malaval de la théologie commune de base. La grâce et la foi, qui permet de « croire » les choses surnaturelles, sont donc des dons que Dieu « verse » dans le « vase précieux ».
Pour produire les raisonnements philosophiques, ou même pour raisonner sur Dieu (théologie), l’âme/l’esprit passe par une connaissance acquise, grâce à ses facultés. Dans ce sens, l’âme n’est pas passive.
« Mais quand Dieu, par sa libéralité, lui communique gratuitement un rayon qui passe, ou bien une lumière qui demeure, ou quelqu’autre don excellent, à l’aide duquel [l’âme] produit ensuite des pensées et des affections qui sont conformes à sa grâce, elle est passive pour ce principe, elle ne l’a pas produit de son fonds, elle l’a reçu. »[2]De même pour la foi, Dieu peut encore produire en l’âme « les actes propres par lesquelles elle croit, et si, outre la qualité surnaturelle de la charité, il produisait encore en elle les actes d’amour, alors l’âme serait passive, et pour les principes et pour les actions ».
Résumons, les âmes humaines sont des « vases précieux » dans lesquelles Dieu a versé sa grâce (les facultés) et la foi, leur permettant de produire « des actions justes et agréables à Dieu ». Mais, en plus de cela, Dieu peut encore intervenir de façon surnaturelle, pour verser des grâces et de foi supplémentaires dans des « vases précieux » dans le cadre de ses projets divins.
Un quiétiste mettra tout en œuvre pour se soumettre à la direction directe de Dieu, en s’abritant des puissances ordinaires, en se plaçant le plus près de Dieu possible, et en cédant sa volonté à la volonté de Dieu, prêt à avoir ses facultés dirigées surnaturellement par Lui. C’est la théopathie. Les grâces et les lumières que Dieu verse dans un « vase précieux », après la création de l'âme, sont surnaturelles. Ce que l’âme fait ensuite avec ces dons surnaturels, sont « purement des actions de l’âme ».
Dans une telle conception, l’homme et l’âme créées sont considéré « naturels » (dans l'ordre "naturel" des choses dans un cadre (mono)théiste), les facultés et autres grâces, ainsi que les actions de l’âme produites grâce à elles, sont « naturelles », dans la mesure qu’elles ne constituent pas une intervention « surnaturelle » de Dieu, et participent au déroulement « naturel » de la création. Les « lumières » versées par Dieu dans le « vase précieux » à la création sont appelées des « lumières naturelles ». Celles qu’un croyant reçoit en supplément pendant son parcours spirituel sont des « lumières surnaturelles ».
Le parcours spirituel, « l’élévation de l'âme », a lieu par des actions propres à l’âme (connaissance, amour, adoration, louages, glorification,…). Au niveau de la contemplation, Malaval estime qu’elle est seulement « acquise » (et non « infuse »), s’il s’agit d’une « habitude de se tenir en la présence de Dieu avec plus ou moins de facilité, selon le progrès d’un chacun ». L’âme n’est alors pas passive, même si la grâce (qui attire vers Dieu) et la foi (qui nous maintient en sa présence) sont opérationnelles.
La contemplation surnaturelle, évidemment due aux vertus surnaturelles de la grâce et de la foi, l’est aussi à l’habitude, « qui est une qualité infuse de Dieu, indépendante de l’âme tant en sa production qu’en sa manière d’agir ». Si l’âme n’a pas encore l’habitude, elle peut recevoir « un secours surnaturel qui l’élève ».[3] L'élévation est toujours due à une grâce.
Le concept des grâces, des lumières et de la foi reçues, ont évidemment aussi pour objet de rester humble. Rien de « surnaturel » n’est dû aux efforts de notre « néant ». Le parcours spirituel n’est « ascétique », voire héroïque bien qu’à la gloire majeure de Dieu, qu’au regard de la maîtrise des puissances inférieures de l’âme. Pour le reste, l’âme ne peut que produire des « actions justes et agréables à Dieu », en attendant ses grâces, lumières et foi surnaturelles. Les « fruits » surnaturels ne sont de toute façon pas les fruits des actions et efforts du néant humain.
Cela fait dire à Philotée « si la contemplation est un don de Dieu, c’est une témérité d’y aspirer avec des méthodes ».[4] Son directeur explique que Dieu se cache des hommes, ses voies sont impénétrables, sa grâce n’est pas toujours perceptible par ceux qui la reçoivent. « Il ne faut pas présumer que la contemplation surnaturelle soit connue avec une évidence nécessaire par ceux à qui Dieu la communique »[5]. Il ne faut donc pas se demander si la contemplation est acquise ou surnaturelle/infuse. Ce faisant, les mêmes effets peuvent se produire. Il ne faut pas non plus se demander par quelles causes ces effets sont produits.
« Les uns obtiennent toutes leurs grâces par l'oraison, les autres par la fréquentation du très Saint sacrément, quelques-uns par l'exercice fidèle d'une vertu particulière, comme de la charité, de la patience, de la douceur, de la charité envers les pauvres, ou de quelqu’autre qui attirent toutes les bénédictions sur eux ».Ne se posant plus ces questions, on ne s’en inquiète plus. Ne s’inquiétant plus, on est quiet, tout en continuant de produire des « actions justes et agréables à Dieu ». D’ailleurs, les signes de la contemplation acquise et de la contemplation surnaturelle ne diffèrent pas, et une contemplation infuse peut être aussi facilement donnée que reprise, pour notre bien.
Néanmoins, selon le « procédé ordinaire » de Dieu, les âmes passent de la méditation à l’oraison d’affection, de l’oraison d’affection à la contemplation ordinaire et de la contemplation ordinaire à la contemplation infuse. « Une oraison servant ainsi de degré et de disposition à l’autre ».[6]
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[1] Malaval, p. 165-166
[2] Malaval, p. 165
[3] Malaval, p. 167
[4] Malaval, p. 168
[5] Malaval, p. 170 « Ceux qui sont mus et agis de l’Esprit de Dieu sont les enfants de Dieu ». Romains, 8,14.
[6] Malaval, p. 172
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