jeudi 7 mai 2020

Virūpanātha soumet Caṇḍika et Śiva (Viśvanātha)


Statue de Virūpa, Himalayanart 30034 

Dans la discussion sur les origines du « Haṭhayoga », il est clair que les discours associés et le cadre pointent plutôt vers une origine shivaïste, quelle que soit la chronologie exacte des influences mutuelles.

Le mahāsiddha Virūpākṣanātha, Virūpanātha, ou encore Virūpa semble (par l’intermédiaire de Vajravārahī) avoir joué un rôle important dans l’intégration du Yoga à six branches (skt. ṣaḍaṅgayoga) dans le bouddhisme ésotérique (indien et/ou tibétain). Virūpa est réputé pour avoir apporté la « mahāmudrā » à la lignée Sakyapa, telle est du moins l’opinion de la tradition tibétaine[1].

Abhayadatta (qui pourrait être le même que Abhayakāragupta), l’auteur de l’Histoire des 84 mahāsiddha, écrit dans la partie concernant Virūpa, que celui-ci avait trouvé les pouvoirs occultes (siddhi) par la pratique de Vajravārahī, et avait voyagé en Inde pour convertir les non-bouddhistes (tib. mu stegs pa skt. tīrthika[2]), et pour dompter des veṭālī mangeuses d’homme (tib. phra men ma), en les transformant en ḍākinī. En langage hagiographique, cela indique généralement une activité de transformation et de réintégration de pratiques non-bouddhistes.

Dans le bKa’ babs bdun ldan, Tāranātha (1575-1634) raconte comment Virūpa reçoit l’instruction de la déesse Caṇḍika (tib. gtum mo), un aspect de Durga, directement de Vajravārahī. Tāranātha parle encore avec plus de détails de son activité de conversions et d’appropriations en Inde. Chez Tāranātha, la statue que fait se fendre Virūpa est le liṅgam du dieu Viśvanātha[3] à quatre faces, que Virūpa se fait se briser en quatre. Les veṭālī sont des ḍākinī mangeuses d’hommes, qui requièrent des sacrifices humains. Cela se serait passé dans le cadre du culte de Caṇḍika. La déesse Caṇḍika est « domptée » par Virūpa, qui frappe un coup sur la tête d’une statue de la déesse, laquelle tête disparaît en s’enfonçant dans la poitrine de la statue. Ce qui a pour effet, que la statue se retrouve sans tête[4]. Tāranātha observe ici que d’autres disent que la déesse et la statue avaient été « domptées » par Goraknāth. D’autres cas de conversions sont encore mentionnés par Tāranātha. Le suivant dans cette transmission est un deuxième Virūpa d’Oḍḍiyāna, Kāla Virūpa, ou Virūpa le jeune. Ce qui est transmis dans cette lignée, ce sont les instructions de Vajravārahī, ou de la déesse Caṇḍika, qui transitent par Kuśalibhadra. Une première transmission.

Quand Tāranātha passe à Ḍombi Heruka, un roi devenu yogi, les instructions transmises changent de nature, et le yoga sexuel s’y ajoute, quand une mudrā apparaît spontanément au roi, et se transforme en une femme ḍombhī de caste inférieure. Tāranātha semble faire une distinction entre différentes transmissions de pratiques de Caṇḍika, yoguique « ascétique », et yoguique sexuel. La pratique de « mahāmudrā » que Virūpa apporte à la lignée sakyapa est une « mahāmudrā », faisant partie intégrante de la pratique de la série des quatre mudrā (caturmudrā). Néanmoins, la pratique plus ancienne de Caṇḍika semble avoir été plutôt de type « ascétique » (je reviendrai dessus, avec Abhayakāra[5] comme sujet d'un autre blog). Selon les hagiographes tibétains, il semble y avoir un lien entre Caṇḍika et Vajravārahī, entre le Yoga à six branches et Caṇḍika/Vajravārahī, et il y a eu une transformation/appropriation de la pratique du Yoga à six branches (quelle que soit son origine) par les bouddhistes ésotériques. Certes, pas d’argument suffisant pour l’instant, mais qui constitue une indication assez claire sur le sens de l’emprunt.

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[1] Keith Dowman, Masters of Mahamudra, Songs and Histories of the Eighty-Four Buddhist Siddhas, Suny Series (1986), p. 27

[2] Dowman traduit par « extreme Brahmanists ».

[3] Epithéte de Śiva, ainsi que le nom d’un temple à Vārāṇasī où se trouve son jyotirliṅga.

[4] Faut-il y voir une explication hagiographique pour l’aspect « dbu gcad ma », Chinnamastā, de Vajravārahī ?

[5] Abhayakāra était peut-être le premier à avoir reçu des transmissions de Vajravārahī. Il est de toute façon une référence, dont l’existence historique « humaine » ne semble pas pouvoir mise en doute.

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