mercredi 13 mai 2020

Pratique spirituelle et pratique pneumatique



Schloß Nymphenburg, München, détail, Johann Baptist Zimmermann

Dans son livre Exercices spirituels et philosophie antique (2002), Pierre Hadot définit le terme « spirituel » dans « exercices spirituels », comme relatif a l’esprit. Les exercices spirituels incluent ainsi les pratiques « philosophiques », « destinées à opérer une modification et une transformation dans le sujet qui les pratiquait ». Ces exercices pouvant être « d’ordre physique, comme le régime alimentaire, ou discursif, comme le dialogue et la médiation, ou intuitif, comme la contemplation ».

Cela ouvre le champs des exercices « spirituels » à des « matérialistes », ou des nāstika (comme les bouddhistes), sous la forme de méditations sur l’impermanence et la mort, sur les quatre nobles vérités, sur les quatre brahmavihāra (ou incommensurables) etc. Des « matérialistes » et des « nāstika » peuvent ainsi pratiquer de façon « spirituelle ». C’est assez ridicule d’avoir à affirmer cela, mais c’est l’éternelle dualité esprit-matière (« Mind-Body Problem ») qui nous impose ces catégories, à mon avis, nuisibles et surtout au service d’un « spiritualisme » extrême (pneumatisme).

En matière de religion et de « spiritualité », nous n’avons pas beaucoup bougé depuis Platon, qui pose la primauté de « l’esprit » ou « l’âme » par rapport à la matière, les quatre éléments de certains matérialistes Présocratiques.

D’un point de vue « matérialiste », comme celui de Marx et Althusser, on parle plutôt d’idéologie et d’infrastructure et de superstructure. D’un point de vue scientifique, on a abordé jusque là « le problème corps-esprit » plutôt par la théorie de l’évolution, et donc d’un point de vue matérialiste. Pas d’esprit sans corps, pas de conscience sans corps.

Si on veut à tout prix résoudre le « problème corps-esprit » (déjà en le considérant comme un problème...) en choisissant un camp, on se trouvera forcément confronté à des paradoxes insurmontables. Le néobouddhiste orientaliste, élitiste, non-théiste etc. que je suis, dirait que le Bouddha, et « le bouddhisme » avaient cherché à éviter de trancher le « problème corps-esprit », pour se consacrer à la pratique « spirituelle » comme définie ci-dessus. Il n’est pas besoin ni de croire en la primauté de l’un ou de l’autre. On se place alors néanmoins dans une position de « ne pas oser savoir », un peu en contradiction avec notre époque. Veut-on alors réellement continuer les rencontres « Mind & Life » ? La science finira-t-elle un jour par admettre les réalités Pneumatiques ?

Si les « matérialistes » croient plutôt à une infrastructure (« matérielle »), avec l’idéologie (« l’esprit ») comme superstructure, pour les « spiritualistes » qui croient à la primauté de l’esprit, c’est l’esprit qui est l’infrastructure réelle du monde, de « la création », de « l’illusion ». Celle-ci n’est qu’une « superstructure » (pendant vers le bas), rendue possible par l’ignorance (avidyā). En effet, par un réductionnisme « spiritualiste », le monde est en réalité « spirituelle ». C’est la Gnose, le véritable Savoir, qui permettra de remettre toutes les pendules à l’heure. C’est là qu’entre en jeu la science de la Pneumatique. Elle aidera à édifier une médiostructure qui servira de pont pour réintégrer les égarés dans l’Esprit, par un monde ou une structure toute faite de Gnose, qui ne serait ni l'un ni l'autre, et donc une sorte de "Milieu" (apparences et vacuité), mais qui est en fait entièrement spiritualiste.

Comme tout est inversé par rapport au « matérialisme », notre corps Pneumatique est notre corps « réel », et notre corps physique une simple illusion. C’est en travaillant sur et avec notre corps Pneumatique, que nous pourrions rejoindre les sphères Pneumatiques, et qui sait ultimement le Pneuma, l’Esprit, Dieu, ou se trouver face à Lui pour les théologiens moins téméraires. Le corps Pneumatique est un corps symbolique, reflétant le monde symbolique (ou idéologique) éternel dont il est l’extension connaturelle, et la version microcosmique. « Pratiquer » est alors réintégrer (yoga) le corps Pneumatique dans les sphères Pneumatiques.

Certains diront que cette pratique est « spirituelle », mais l’est-elle vraiment dans un sens bouddhiste ? A quoi sert-il de méditer sur la mort, si la mort n’est pas réelle et ne concerne que le corps physique, une simple enveloppe charnelle ? A quoi sert-il de méditer sur l’impermanence d’un corps et d’un monde, qui de toute façon ne sont que des illusions, tandis qu’un Royaume réel et permanent est prêt à accueillir les corps Pneumatiques qui veulent bien voir et savoir ? A quoi sert-il d’aimer des corps physiques et psychiques, et de ressentir de la compassion envers ceux-ci, puisque cette compassion ne peut concerner que leurs corps physiques et psychiques, sans réalité Pneumatique ? Leurs souffrances sont-elles même « réelles » ? A quoi bon de prendre soin d’un monde et ses habitants, impermanents, incapables de perfection et de bonheur permanents ? Le seul véritable service qu’on peut alors leur rendre serait de les guider vers les sphères Pneumatiques, et de les aider à se tourner vers leurs corps Pneumatiques qui trouveront le salut après la mort (tib. tshe phyi ma'i don la).

Ce « spiritualisme » là n’est il pas le négatif exact du matérialisme tant conspué ? Un bouddhisme Pneumatique et non « spirituel » (comme défini ci-dessus) est-il toujours un bouddhisme du Milieu, entre être et non-être ?

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