Sur le tournage de La passion selon Saint-Matthieu de Pasolini |
Au commencement fut le Bouddha… Un personnage, historique ou non, qui a inspiré ceux qui se réclament de lui, les bouddhistes. Sous la légende (Aśvaghoṣa etc.) et une déification plus ou moins développée, il est impossible d’avoir accès à la réalité historique (si toutefois il a existé) de celui qui rejoint le mouvement ascétique des renonçants (śramaṇa[1]) au début de sa carrière spirituelle (Ve siècle av. J.-C..), comme « un jeune homme aux cheveux noirs ».
Dans ce mouvement on trouva différentes doctrines, parmi lesquelles les six que le bouddhisme pāli mentionne sous la forme des « six maîtres hérétiques », soit des jainas, des ājīvika, des déterministes, des matérialistes (cārvāka) et des sceptiques (ajñāna)[2]. Ces six maîtres et leurs « écoles » avaient des objectifs similaires, ils se fréquentent. Le canon pāli montre qu’ils eurent de nombreux échanges (fréquentant souvent les mêmes lieux) et allaient voir les uns chez les autres s’il n’y avait pas des théories et des méthodes plus efficaces. On soupçonne une certaine inclinaison pour l’expérimentation parmi les renonçants. Ainsi les premiers maîtres du futur Bouddha, Ālāra Kālāma et Ūdraka Rāmaputra lui auraient enseigné les exercices de l’extase et l’entrée dans des « sphères supradivines et mystiques » (samāpatti).[3] C’est lorsque le futur Bouddha continua lui-même ses propres expérimentations, qu’il atteint « l’éveil ». Le « bouddhisme » commence, quand il accepte d’enseigner sa méthode à d’autres renonçants.
On peut donc dire qu’il y a une certaine parenté entre ces jainas, ājīvika, déterministes, matérialistes et sceptiques. Sariputta fut d’ailleurs d’abord le disciple du maître sceptique Assaji l’Ancien, avant que quatre vers du Grand Renonçant (mahāśramaṇa)[4] lui firent changer d’avis. Un autre changement d’avis célèbre est celui de Devadatta, le cousin du Bouddha, qui se sépara du Bouddha avec un groupe de mendiants « bouddhistes », créant ainsi les premières « divisions » ou « schismes » dans le Sangha. Selon Hiuan-tsang, il y eut encore des moines vivant selon les ordonnances de Devadatta au VIIème siècle (Lamotte, Histoire, p. 572). Nous considérons déjà tout cela du point du vue du bouddhisme en tant que religion établie. L’idée de « religion », d’ « orthodoxie », de « hérésie » et de « schisme » n’existait pas parmi les renonçants. Si on n’était pas heureux, on allait voir ailleurs (Ehi passiko, viens voir), tels le Bouddha, tel Sariputta, tel Devadatta etc. Cette terminologie pour décrire l’histoire des bouddhistes et des autres renonçants est très probablement le fruit de points de vue de type histoire des religions.
Quelles étaient les idées générales de la sphère d’influence ascétique śramaṇa) ? Une vie de mendicité aux marges de la société, l’ascétisme comme moyen principal de se libérer (mokṣa) et de sortir du saṁsāra. Certains pouvaient être nus, d’autres portaient des habits de récup, avec différents degrés de régime ascétique, non-violence etc. Certains croyaient en l’existence de l’âme (ātma), ou admettaient l’existence des devas etc., d’autres non. La pluralité des points de vue śramaṇa et l’apparente facilité avec lesquelles les śramaṇa pouvaient changer de doctrine et de méthode sont une indication de leur détachement d’une orthodoxie et orthopraxie définies, la libération (mokṣa) étant l’objectif. L’histoire Jaina des 7 aveugles et de l’éléphant (repris par le bouddhisme) et le non-absolutisme (anekāntavāda) des Jainas en sont une autre indication. Le bouddhisme se présente souvent comme une voie du milieu entre les extrêmes, ce qui reflète une opinion similaire. Eviter les extrêmes est une donne vitale pour le bouddhisme. Il existe bien une tendance sceptique, plus ou moins radicale, parmi les renonçants concernant les vérités métaphysiques.
Ce scepticisme s’exprime par rapport à la « religion » établie que fut le brahmanisme. Les renonçants en général et le Bouddha en particulier étaient critiques de la société sacrificielle des brahmanes. Contrairement à certains « maîtres hérétiques », le Bouddha ne disait pas que les deva n’existaient pas, et s’il leur attribuait un rôle dans le saṁsāra, comme la plupart de ses contemporains, cela n’implique pas que tout ce que croyait le Bouddha devenait automatiquement une sorte de dogme. Il conseillait plutôt d’éviter ce type de questions (métaphysiques) ne conduisant pas à la dé-passion. Comme les autres renonçants, cherchant avant tout la sortie du saṁsāra (ce qui n’est pas identique à la sortie du monde), le Bouddha pāli ne cherchait en théorie pas à intervenir dans le monde.
Seulement, « le Bouddha » n’est pas mort en atteignant l’éveil. Il eut des disciples et devint le gérant et le premier législateur du Sangha. Il organisa les rapports entre les membres du Sangha et les laïcs qui le soutenaient. Du moins selon la tradition bouddhiste. Les Paroles du Bouddha ont-elles réellement été dites par le Grand Renonçant ? Même si nous assumons que oui, les Paroles du Bouddha ne sont pas une Révélation (śruti), et devaient être considérées avec le scepticisme nécessaire digne d’un renonçant et du Grand Renonçant.
Quand on lit, dans la légende du Bouddha, qu’il était omniscient[5], connaissant les trois temps, voyant dans l’esprit des autres, on pourrait avoir l’impression que chaque acte, chaque parole prononcée, fut ou bien mûrement réfléchi ou spontanément dans le mille pour les siècles à venir. La réalité est autre. Le Vinaya, qui souvent ne manque pas d’humour, montre une autre réalité. La bande des mendiants du Bouddha n’était pas une congrégation de saints. Le Vinaya (voir Léon Wieger) semble s’être construit à coup des bêtises de ses adeptes, le Bouddha corrigeant à chaque fois le tir. Trial and error. Idem pour sa « doctrine ». Quand le Bouddha résida à Kūṭāgārasālā près de Vesalī, de nombreux moines se tuaient suite à son instruction sur la méditation sur les aspects repoussants du corps (asubha). Le Bouddha corrige le tir et enseigne la méditation sur la respiration (Vesali sutta).
A quand un film sur la vie de ces renonçants, ces mendiants vivant avec le Bouddha, à la façon de Pasolini ou Sergio Leone ?
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Voir aussi Les bouddhistes avant de l'être
[1] Le mot sanskrit śramaṇa est dérivé de la racine verbale śram "'exercer, effort, travail". Śramaṇa signifie donc "une personne qui s'efforce". Wikipédia
[2] Histoire du bouddhisme indien, Lamotte, p. 21
[3] Lamotte, p. 17
[4] « De tout ce qui est produit par une cause.
Le Tathâgata en a dit la cause
Ainsi que la cessation;
Telle est la doctrine du Grand Renonçant. »
[5] Le Bouddha sur sa propre "omniscience"
Kannakatthala Sutta MN 90.8
Then King Pasenadi Kosala said to the Blessed One, "Lord, I have heard that 'Gotama the contemplative says this: "It is not possible that a brahman or contemplative would claim a knowledge and vision that is all-knowing and all-seeing without exception."' Those who say this: are they speaking in line with what the Blessed One has said? Are they not misrepresenting the Blessed One with what is unfactual? Are they answering in line with the Dhamma, so that no one whose thinking is in line with the Dhamma would have grounds for criticizing them?"
"Great king, those who say that are not speaking in line with what I have said, and are misrepresenting me with what is untrue and unfactual."
Tevijja-Vacchagotta Sutta.
« ‘Venerable sir, I have heard this said: The recluse Gotama is all knowing and all seeing and
acknowledges remainderless knowledge and vision in this manner, ‘while walking, standing, lying or awake, constantly and continually knowledge and vision is established, to me’.Venerable sir, those who say, these words, ‘The recluse Gotama is all knowing and all seeing and acknowledges remainderless knowledge and vision:while walking, standing, lying or awake, constantly and continually.’ Are they saying the words of good Gotama and are they not blaming the Blessed One falsely? Vaccha, those who say, the recluse Gotama is all knowing and all seeing and acknowledges remainderless knowledge and vision, while walking, standing, lying or awake, constantly and continually. They, do not say my words, they blame me falsely. »
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