C'est Achille que l'on voit trempé dans l'eau de l'immortalité par sa mère Thétis |
En 1762, JJ Rousseau publie Emile ou de l’éducation qui incorpore dans son chapitre IV la Profession de foi du vicaire savoyard, l’éducation religieuse, qui doit faire partie intégrale de l’éducation d’Emile. Le livre fera scandale (brûlé à Paris, saisi à Genève) dès son apparition, principalement à cause de la partie de l’éducation religieuse. Voltaire, chef autoproclamé du ‘parti philosophique’, celui-là même qui a écrit « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », publie Sentiment des citoyens, sous l’identité d’un calviniste indigné, qui appelle les autorités genevoises à la répression contre l’œuvre et l’auteur[1].
« Que peut donc contenir la Profession de foi pour provoquer un tel scandale? Une diatribe contre les miracles, la dénonciation des « absurdités » de tel dogme, la critique du célibat des prêtres, la remise en cause du principe d’autorité, la méfiance envers toutes les Églises, l’affirmation de la primauté absolue de la conscience, la dénonciation des dévots? Sans doute Rousseau est un remarquable polémiste, on l’ignore souvent, et bien des pages de la Profession de foi frappent par leur virulence. »[2]Quoi qu’il en soit, ce traité de l’éducation, avec sa partie sur la religion naturelle, sera une Bible pour les pédagogues ouverts aux « lumières de la foi », et pas seulement les pédagogues. Contrairement à l’animal, l’homme n’est pas parfait et doit être perfectionné par l’éducation. Au départ cela concerne évidemment surtout la jeunesse (Emile), mais la perfectibilité continue au-delà de la jeunesse, notamment dans le domaine de la religion naturelle[3] (la lumière intérieure qui nous guide, influence de Fénelon ?). La perfectibilité est un mot-clé pour Rousseau et pour ceux qui le suivent.
En 1776, le philosophe et théologien Adam Weishaupt fonde le Cercle des Perfectibilistes (Bund der Perfektibilisten) à Ingolstadt en Bavière, mieux connu sous son nom ultime l’Ordre des illuminés (les illuminés de Bavières). L’ordre sera rapidement interdit, mais on y trouve de très grands noms (Goethe, Herder). Début 1780, l’Ordre comptait 1500 à 2000 membres. Avec un tiers d’aristocrates, 12 pour-cent de clercs religieux. 70 pour-cent avait suivi une formation universitaire, 25 pour-cent était des travailleurs manuels et 10 pour-cent de marchands.[4] Leur objectif était le perfectionnement et progrès de l'humanité dans la liberté, l'égalité et la fraternité (discours de Weishaupt en 1782). Tous semblaient en avoir à découdre avec les jésuites... En 1785 l’Ordre fut interdit, suite à la dénonciation d’un franc-maçon écossais, John Robison, informé par un moine agent secret et le jésuite français Augustin Barruel. Alexander Fleming aurait dû en faire un livre. C’est ce groupe qui a inspiré les nombreuses théories de complot sur les Illuminati.
Un des membres du Cercle des Perfectibles fut le pédagogue suisse[5] Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827), qui cherchait à appliquer les principes de l’Emile de Rousseau dans les écoles qui’il avait fondées, et qui allaient servir de modèles en toute l’Europe.
« Tout effet a une cause. Tout effet intelligent a une cause intelligente. La puissance de la cause intelligente est en raison de la grandeur de l'effet. » |
Une de ses écoles était établie au château d'Yverdon, sur le lac de Neuchâtel. C’est là qu’un certain Hippolyte-Léon-Denizard Rivail (1804-1869), mieux connu sous le nom Allan Kardec, sera éduqué selon les principes de Rousseau. Léon Rivail deviendra lui-même un pédagogue et s’installera à Paris.
En 1848, les deux sœurs, Kate et Margaret Fox (dix et douze ans) font fureur aux Etats-Unis. Elles communiquent avec les âmes des morts par le biais de tapotements de la table de cuisine de la famille Fox, produits par Monsieur « Pied fourchu » (Split-foot). Une famille de quakers américaine les rendit célèbres et le nom « spiritualisme » tombait pour désigner le phénomène de communiquer avec les morts, qui allait occuper une bonne partie du XIX-XXème siècle. Le mode passe en Europe, et à Paris, où Léon Rivail le connaîtra en 1853. En 1857, il publie son Livre des Esprits, où l’on apprend l’existence du monde spirite. Le livre consiste en les réponses que les esprits ont soufflé à Allan Kardec (car tel était son nom réincarnationiste de druide dans une existence antérieure) suite à ses questions, et qui constituent le credo spiritiste, où l’on reconnaît un mélange de l’idée de réincarnation hardcore et de la palingénésie plus soft façon Lessing.
Voici le credo spiritiste tel que résumé sur le site Wikipédia consacré au Livre des Esprits. Je les ai numérotés pour pouvoir y référer plus facilement.
« 1. Dieu est éternel, immuable, immatériel, unique, tout-puissant, souverainement juste et bon. Il a créé l'univers qui comprend tous les êtres animés et inanimés, matériels et immatériels.
2. Les êtres matériels constituent le monde visible ou corporel, et les êtres immatériels le monde invisible ou spirite, c'est-à-dire des Esprits.
3. Le monde spirite est le monde normal, primitif, éternel, préexistant et survivant à tout.
4. Le monde corporel n'est que secondaire ; il pourrait cesser d'exister, ou n'avoir jamais existé, sans altérer l'essence du monde spirite.
5. Les Esprits revêtent temporairement une enveloppe matérielle périssable, dont la destruction, par la mort les rend à la liberté.
6. Parmi les différentes espèces d'êtres corporels, Dieu a choisi l'espèce humaine pour l'incarnation des Esprits arrivés à un certain degré de développement, c'est ce qui lui donne la supériorité morale et intellectuelle sur les autres.
7. L'âme est un Esprit incarné dont le corps n'est que l'enveloppe.
8. En quittant le corps, l'âme rentre dans le monde des Esprits d'où elle était sortie, pour reprendre une nouvelle existence matérielle après un laps de temps plus ou moins long pendant lequel elle est à l'état d'Esprit errant.
9. L'Esprit devant passer par plusieurs incarnations, il en résulte que nous tous avons eu plusieurs existences, et que nous en aurons encore d'autres plus ou moins perfectionnées, soit sur cette terre, soit dans d'autres mondes.
10. Les différentes existences corporelles de l'Esprit sont toujours progressives et jamais rétrogrades ; mais la rapidité du progrès dépend des efforts que nous faisons pour arriver à la perfection.
11. Les qualités de l'âme sont celles de l'Esprit qui est incarné en nous ; ainsi l'homme de bien est l'incarnation du bon Esprit, et l'homme pervers celle d'un Esprit impur.
12. Les Esprits incarnés habitent les différents globes de l'univers.
13. Les Esprits non incarnés ou errants n'occupent point une région déterminée et circonscrite ; ils sont partout dans l'espace et à nos côtés, nous voyant et nous coudoyant sans cesse ; c'est toute une population invisible qui s'agite autour de nous.
14. Les relations des Esprits avec les hommes sont constantes. Les bons Esprits nous sollicitent au bien, nous soutiennent dans les épreuves de la vie, et nous aident à les supporter avec courage et résignation ; les mauvais nous sollicitent au mal : c'est pour eux une jouissance de nous voir succomber et de nous assimiler à eux.
15. La morale des Esprits supérieurs se résume comme celle de Jésus en cette maxime évangélique : Agir envers les autres comme nous voudrions que les autres agissent envers nous-mêmes ; c'est-à-dire faire le bien et ne point faire le mal. L'homme trouve dans ce principe la règle universelle de conduite pour ses moindres actions. »
Nous y trouvons l’article de la foi du Vicaire savoyard sur la volonté meut l'univers (1). En revanche, les lois de l’article deux du Vicaire (« La matière mue selon certaines lois me montre l'intelligence ») deviennent ici des œuvres divines (à découvrir par la théosophie), le monde spirite préexistant (au monde dit matériel, et qui est finalement sa vraie nature (primauté de l’esprit 2, 3, 4). Numéros 5 à 12 définissent l’idée de la réincarnation spirite. Je m’attends à ce que beaucoup de personnes croyant en la réincarnation puissent s’y retrouver. Le numéro 10 correspond à l’idée de la réincarnation façon Lessing en tant que le progrès de l’humanité vers l’Harmonie, ou à l’idée de progrès. On ne peut que progresser, pas rétrograder. Numéros 13 à 15 sont rassurants, enfin, les Esprits cohabitent et interagissent avec nous (13-15). Il n’y a donc pas de lieu de perdition particulier (Enfers, purgatoire, limbes…), et ils peuvent nous guider ainsi. Plus besoin de lumière intérieure (Rousseau).
Numéro 12 laisse la possibilité de l’existence de l’Atlantide et la Lémurie ou d’autres endroits fréquentés par les Esprits. Il est évident que ces Esprits peuvent nous renseigner sur les divers mondes imaginaux et apporter beaucoup en matière de théosophie. Nous sommes (presque) tous des Esprits qui s'ignorent.
Scène de Spirited Away (d'où le titre du billet, puisqu'ici ce sont les Lumières qui sont "spirited away"), en français Le voyage de Chihiro |
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Article sur l'influence de Kardec au Brésil.
Sur l'invention du Chos nyid bardo L'ingénierie du bardo pour finir l'année
[1] Profession de foi du vicaire savoyard, GF Flammarion poche, introduction de Bruno Bernardi, p. 12-13
[2] Bruno Bernardi, p. 14
[3] Par la bouche du vicaire, Rousseau propose trois articles de foi :
- Je crois qu'une volonté meut l'univers.
- La matière mue selon certaines lois me montre l'intelligence.
- L'homme est libre dans ses actions et comme tel animé d'une substance immatérielle.
[4] Données du sociologue Eberhard Weis sur le site Wikipedia allemand.
[5] Pestalozzi fut proclamé citoyen français par l’Assemblée législative le 26 août 1792 (wikipedia).
[2] Bruno Bernardi, p. 14
[3] Par la bouche du vicaire, Rousseau propose trois articles de foi :
- Je crois qu'une volonté meut l'univers.
- La matière mue selon certaines lois me montre l'intelligence.
- L'homme est libre dans ses actions et comme tel animé d'une substance immatérielle.
[4] Données du sociologue Eberhard Weis sur le site Wikipedia allemand.
[5] Pestalozzi fut proclamé citoyen français par l’Assemblée législative le 26 août 1792 (wikipedia).
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