samedi 6 mars 2021

Salut obligatoire pour tous


Amitābha, essayant de sauver un moine récalcitrant, en le tirant dans sa Terre Pure la corde au cou (photo via Jeffrey Kotyk) 

L’univers de la Marche héroïque est peuplé de Bouddhas et bodhisattvas protéiformes. Quelle est leur substance ? C’est difficile à dire, elle est inconcevable, on pourrait aussi dire que tout est leur substance. Quoi qu’ils soient en substance, ils sont indifférenciés du dharmadhātu, la “dimension absolue”, et ils opèrent de cette dimension.

L’imaginaire du mahāyāna aime représenter tous ces “personnages” quelque part réunis dans une grande assemblée de Bouddhas et de bodhisattvas[1], tout en étant continuellement en mission, un peu partout et en même temps. Les auteurs des sūtra n’ont cependant aucun mal à identifier chacun des “descentes” (avatars) de ces personnages. Là, où des êtres ordinaires voient “un noble roi cakravartin, un banquier (śreṣṭhin), un maître de maison, un roitelet (koṭṭarāja), un grand roi (mahārāja), un kṣatriya, un brahmāna, un śūdra etc., les auteurs savent exactement de quel personnage il s’agit. Un tel c’est Mañjuśrī, tel autre Vajrapāṇi, etc., il n’y a que les personnages du véhicule des auditeurs (śrāvakayāna), qui jouent toujours leur propre rôle ingrat, car ils n’ont pas les pouvoirs des bodhisattvas de la marche héroïque[2]. C’est comme si tous ces avatars étaient reliés par des fils invisibles à leurs originaux dans le dharmadhātu. Telle métamorphose d’un brahmāna, śūdra “serait” alors plutôt Mañjuśrī que Dṛḍhamati, etc. Pourquoi continuer cette individualisation de Bouddhas et de leur activité après leur nirvāṇa ou sortie du nirvāṇa[3]. Que leur reste-t-il d’individuel ?

Rien, explique la doctrine du triple Corps. Les Corps formels d’un Bouddha sont la perception des êtres ordinaires. Les Bouddhas n’y seraient pour rien… Ce seraient comme les algorithmes de leur Intelligence Artificielle qui opèrent encore spontanément, sans une once de volonté nouvelle de la part des Bouddhas. Cette “faculté” de perception des Corps formels et de la continuation de l’activité post-nirvāṇa des Bouddhas ici-bas - appelons-la “imaginaire mahāyāna” par facilité - doit bien jouer un rôle dans la représentation “symbolique” d’une assemblée de Bouddhas là-haut, et dans tout ce qui s'ensuit en doctrines, pratiques, rituels, etc.

On voit donc les sūtra du mahāyāna jouer continuellement sur deux plans : le dharmadhātu, et tout ce qui en sort et qui s’y jouerait de symbolique. Le symbolique étant relié au dharmadhātu par un fil tellement fin et invisible que l’on peut se demander s’il est réellement là. Ce fil, ce n’est que vous qui le percevez, les Bouddhas ne le perçoivent pas... Une fois ce “lien” établi, le mahāyāna bascule entièrement dans le symbolique, et tout ce qui se passe d’inconcevable est attribué à ce lien, qui est la caution bouddhiste de l’édifice. Au début fut la vacuité, le dharmadhātu, et tout en se manifestant de ceux-ci, les épiphanies de l’Intelligence Naturelle fictive restent indissociables de ceux-ci. Ce que vous percevez est de votre création, votre karma.

On peut concevoir assez facilement comment l’univers vécu, qui est présenté comme une sorte de triple Corps macrocosmique, devrait représenter notre expérience la plus intime. Nous sommes déjà ce Bouddha cosmique, et tout le spectacle de la marche héroïque est une description de l’expérience spirituelle accessible à un être humain. Ce qui se passe ici-bas, se passerait là-haut et vice versa. Chaque chose devra alors logiquement avoir sa correspondance.

Et pourtant ce n’est pas le biais par lequel les sūtra du mahāyāna abordent la chose. L’étage supérieur de cet univers est bien présenté comme le locus, où des bouddhistes pieux veulent aller après leur mort, peu importe par quel moyen théologique. Les sūtra mahāyāna jouent à fond sur la perception des Corps formels, et l’enseignent jusque dans les moindres détails, le dharmadhātu servant de clause de non-responsabilité. Toute cette création est vide, si vous y voyez quelque chose de substantiel, c’est entièrement votre perception et de votre responsabilité. Cependant, sūtra après sūtra, c’est le même type de création qui est enseigné. Quand les fidèles perdent le fil du dharmadhātu dans cette abondance d’images, c’est à cause de leur ignorance et karma. Comme si le bombardement symbolique systématique n’y était pour rien dans cette “erreur” de perception.

Sans ce fil, Tuṣita devient un plérôme religieux ordinaire, d’où des avatars, des anges, des immams, des tulkus sont envoyés ici-bas en mission pour sauver des âmes des griffes des forces du mal, et par tous les moyens. Le mahāyāna, qui a connu son essor au Gāndhāra et sur la route de la soie, a-t-il subi les influences de son époque, ou a-t-il cru pouvoir les intégrer et détourner habilement, en allant jusqu’à détourner les thèses essentielles des śramaṇa bouddhistes d’origine ? Trahir pourrait-on dire, s’il n’y avait pas ce fichu fil.

Les actes du Bouddha étaient déjà une création de bouddhistes brahmanes, mais deviennent une formalité. L’objectif ultime du bouddhisme, le nirvāṇa, devient l’entrée dans un plérôme, et dans une vie éternelle “spontanément” active, du moins pour ceux qui n’ont accès qu’à cette perception…

La création du mahāyāna devient alors une simple routine religieuse, avec seule une petite élite qui polémique encore sur la nature du fil du dharmadhātu. La grande majorité est toute occupée à faire le culte de tous ces Bouddhas et bodhisattva, à faire des rituels pour leurs ancêtres, à sauver leurs propres âmes en accumulant du mérite, etc., bien encadrés par le clergé bouddhiste.

On peut lire La concentration de la marche héroïque (Śūraṃgamasamādhi T642) de plusieurs façons. Dans le passé, c’étaient les propos du type dharmadhātu qui attiraient mon attention, maintenant, la tête à l'envers, je constate comment ces propos là se perdent dans le vacarme symbolique. Et quand on regarde la religionisation du bouddhisme, et le fétichisme de “la pratique” et ses avortons (Mindfulness, etc.), on peut se demander où diantre est passé ce fil du dharmadhātu, et en arriver à se demander s’il a jamais existé...

***

[1] Tuṣita est le quartier général traditionnel mahāyāna des futurs Bouddhas.

[2] Śgs, pp. 132-140

[3] C’est le cas de Mañjuśrī, qui en tant que pratyekabuddha nirvāṇé, ressort aussitôt pour poursuivre sa carrière de bodhisattva. Śgs. p.242

4 commentaires:

  1. dharma
    artha
    dharta

    obrigado

    bravo !!!

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  2. Thank you, I recited your mantra and it made me feel good :-)

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  3. Dans le sillage ...
    je laisse des shabada
    chez david et josé

    shambala
    chamboul

    aum

    (le loup hullule sous la lune
    pour ap les poto)

    k(id°

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  4. Salut à toi aussi ô Shabada, parleur en langues nocturne !

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