jeudi 8 avril 2021

Un faux problème ?


"Wang Saen Suk Hell Garden", le parc d'attraction de la Transmigration (photos : Shane Hawke)

Comme d’autres religions, le bouddhisme expose le problème auquel il serait la solution, si ce “problème” n’est pas déjà généralement admis. À l’origine, ce problème était celui de toutes les sectes des Renonçants (śramaṇa) : la Transmigration incessante de “l’âme” ou du soi (ātman), ou de “ce qui passe d’existence à existence”, pour diverses raisons, sans définir davantage ce qui passe effectivement d’une existence à une autre, et en attribuant à ces facteurs suffisamment de réalité, pour s’en inquiéter et vouloir s’en libérer.


Ce qui mettait une fin définitive à cette Transmigration-là était ainsi considéré comme la solution au problème, et pour chaque secte la solution pouvait différer. L’ensemble des théories et des pratiques d’une solution constituait “la Loi” (Dharma), telle que le Bouddha l’aurait enseigné, après avoir (re)découverte cette “Loi” au bout de son ascèse et de ses investigations.


Pour tous ceux qui ont un problème de Transmigration, et qui ne veulent plus passer d’un monde à l’autre après leur mort, le bouddhisme, tout comme les méthodes des autres śramaṇa, proposent une solution. Venez essayer ma solution (Ehi passiko), elle marche ! aurait dit le Bouddha. La preuve, quand le Bouddha est mort, il n’a plus pris naissance, et n’a plus transmigré dans un autre monde…


Voilà, ce qui est enseigné comme la raison dêtre du bouddhisme. Comment la comprennent les bouddhistes, la prennent-ils au sérieux ? Certes, ils peuvent avoir peur de renaître dans un des mondes inférieurs, mais comment savoir si ceux-ci existent, que “le soi” transmigre, et qu’il est possible de mettre une fin à cette Transmigration, de la façon même dont cela est enseignée ? Si l’on croit tout cela, on a en effet un problème, notre présence ici-bas en étant la preuve. Cette croyance peut-elle se chasser par une autre qui en prendrait la place ? Comment être certain que le problème et sa solution soient “vrais”, et qu’il convient de passer à l’action pour résoudre le problème ?


La tradition bouddhiste dit que tout cela est vrai, même si nous ne le savons pas, et ce non-savoir (avidyā) est justement ce qui nous ferait transmigrer sans cesse, en oubliant nos existences précédentes, le problème et la solution. Voilà encore un autre élément qui s’ajoute au problème initial, et qu’un bouddhiste devrait ajouter à son crédo. D’ailleurs, comment les bouddhistes savent-ils tout cela ? D’autres bouddhistes avant eux le leur ont appris. C’est donc une question de confiance. Les générations précédentes de bouddhistes expliquent que nous avons un problème, qu’ils connaissent la solution, qu’il suffit de croire et faire ce qu’ils disent de croire et faire, et que cela se fait ainsi de génération en génération depuis la découverte du Bouddha. Dès que l’on fait le premier pas avec eux, on serait en voie de solutionner le problème, même si le Bouddha avait critiqué ce procédé de transmission d'une tradition dans le Tevijja sutta ("Où sont les vrais brāhmanes?") par rapport au brahmanisme[1].


Comment savoir que nous faisons du progrès et qu’après notre mort, nous ne transmigrons plus ? Du vivant du Bouddha, sa dernière existence, c’était lui, qui savait confirmer le passé et le progrès de chacun de ses disciples en prédisant le moment précis de leur sortie définitive du cycle des transmigrations. Mais comme il n’est plus là[2], il n’y a pas moyen de savoir. Tout ce que nous pouvons faire est de progresser, en compagnie du Sangha, en faisant un pas après l’autre et s’il faut, une existence après l’autre, en attendant le grand jour de notre parinirvāṇa. Ni nous, ni les autres bouddhistes ne saurons si nous ne transmigrons plus à partir de là, c’est une question de confiance. Le problème, dont nous n’avions peut-être pas conscience à cause de l’avidyā, peut être résolu, mais personne de ceux qui auraient pu le résoudre, et mettre fin à la transmigration, n’est là pour nous le confirmer. Et le problème, et la solution, et la réalisation de l’objectif ne peuvent être prouvés in fine et sont une question de confiance…


Les plus inquiets et précautionneux parmi nous feront peut-être le pari de Pascal, en faisant comme si ce qu’enseigne le bouddhisme était vrai. Il se peut que leur peur soit plus forte que leur confiance, mais par principe de précaution…

D’autres, qui ne voient pas “le problème”, à cause de leur avidyā et leur manque de confiance, s’accommoderont peut-être très bien de leur avidyā, et continueront à transmigrer dans l’insouciance, ou pas, qui sait ? Il y en a même pour qui la Transmigration est une bonne nouvelle, car la mort n’est pas la fin, et tant pis pour les inconvénients passagers dans les aventures transmigratoires de leur conscience immortelle.

Boîtes d'offrandes bleues

Le bouddhisme dans ses diverses formes a évidemment d’autres raisons d’être et autre chose à offrir, mais certains semblent vouloir présenter le problème de transmigration avec sa solution comme principale raison d’être, sans laquelle tout l’édifice bouddhiste s’effondrait. D'autres demandent de l'accepter par simple respect d'une autre tradition. Si vous voulez que l'on respecte vos croyances et avidyā, respectez celles des autres, et les vaches seront bien gardées.


Ceci concerne plutôt les nouveaux convertis bouddhistes occidentaux. Pour les bouddhistes natifs, il s’agit simplement de la religion de leurs parents, qu’ils héritent peut-être ensemble avec une monarchie dharmarājique ou une théocratie. Ils peuvent alors adhérer à cet héritage, l’accepter, l’ignorer ou se rebeller contre, en ignorant tout du problème et de sa solution, et en vivant simplement au rythme du calendrier bouddhiste national avec son cérémoniel et ses jours fastes. Ils feront éventuellement une année de service monastique, comme on faisait son service militaire dans le passé, et pour se divertir, ils iront rire de leurs peurs en famille dans un parc de Transmigration, en prenant des selfies et des photos de souvenir.

MàJ 27042021 Pour échapper à une mauvaise réincarnation et pour accéder à une réincarnation d'un niveau spirituel supérieur, un moine thaïlandais de 68 ans, se tranche la tête avec une guillotine faite maison, pour l'offrir au dieux Indra.  

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[1] "Y a-t-il, ô Vāseṭṭha, un seul brāhmane, parmi les brāhmanes versés dans les trois Veda, qui ait vu Brahmā face à face personnellement ?
- Il n’y en a pas, honorable Gōtama.
- Y a-t-il, ô Vāseṭṭha, un seul maître des brāhmanes, parmi les maîtres des brāhmanes versés dans les trois Vedas, qui ait vu Brahmā face à face personnellement ?
- Il n’y en a pas, honorable Gōtama.
- Y a-t-il, ô Vāseṭṭha, un seul précepteur ou maître des précepteurs, parmi les précepteurs ou maîtres des brāhmanes versés dans les trois Vedas, qui ait vu Brahmā face à face personnellement ?
- Il n’y en a pas, honorable Gōtama.
- Y a-t-il, ô Vāseṭṭha, un seul brahmane parmi les brāhmanes versés dans les trois Veda, pendant les sept dernières générations jusqu'à la grande époque des premiers maîtres, qui ait vu Brahmā face à face personnellement ?
- Il n'y en a pas, honorable Gōtama.
- Est-ce que, ô Vāseṭṭha, les anciens sages des brāhmanes versés dans les trois Veda, les auteurs de formules sacrées, qui ont énoncé des formules sacrées, dans lesquelles des formes anciennes de mots sont chantées, émises ou composées, que les brāhmanes de nos jours chantent encore et encore après eux, récitent après eux - à savoir Aṭṭhaka, Vāmaka, Vāmadeva, Vessāmitta, Yamataggi, Aṅgīrasa, Bhāradvāja, Vāseṭṭha, Kassapa, Bhagu -, ont jamais dit : "Nous savons qui est Brahmā. Nous savons d'où il vient et où il va" ?
- Non, honorable Gōtama.
- Ainsi, ô Vāseṭṭha, vous admettez qu'aucun des brāhmanes versé dans les trois Veda n'a jamais vu Brahmā face à face personnellement. Vous admettez qu'aucun des maîtres des brāhmanes versés dans les trois Veda n'a jamais vu Brahmā face à face personnellement. Vous admettez qu'aucun précepteur ou précepteur des précepteurs des brāhmanes versés dans les trois Veda n'a jamais vu Brahmā face à face personnellement. Vous admettez qu'aucun des brāhmanes pendant les sept dernières générations jusqu'à la grande époque des premiers maîtres n'a vu Brahmā face à face personnellement. Également, vous admettez que les anciens sages des brāhmanes versés dans les trois Veda, qui étaient des auteurs de formules sacrées, des faiseurs de formules sacrées, d'anciennes formes de mots que les brāhmanes de nos jours chantent encore et encore après eux, récitent après eux - à savoir Aṭṭhaka, Vāmaka, Vāmadeva, Vessāmitta, Yamataggi, Aṅgīrasa, Bhāradvāja, Vāseṭṭha, Kassapa, Bhagu -, n'ont jamais dit : "Nous savons qui est Brahmā. Nous savons d'où il vient et où il va." Cependant, les brāhmanes versés dans les trois Veda, en disant : "Voici la voie directe, voici la véritable voie, la voie qui mène l'individu qui la suit à l'état d'union avec Brahmā", disent en réalité ceci : "Nous montrons la voie de l'union avec quelqu'un dont nous ne savons rien, que nous n'avons pas vu." Maintenant, qu'en pensez-vous, ô Vāseṭṭha? Selon les faits, la parole des brāhmanes versés dans les trois Veda ne s'avère-t-elle pas un propos stupide ?
- Certainement, honorable Gōtama, selon les faits, la parole des brāhmanes versés dans les trois Veda s'avère un propos stupide.
- Bien, ô Vāseṭṭha. Si ces brāhmanes versés dans les trois Veda montrent la voie pour s'unir avec quelqu'un dont ils ne savent rien, qu'ils n'ont jamais vu en disant : "Voici la voie directe, voici la véritable voie, la voie qui mène l'individu qui la suit à l'état d'union avec Brahmā", c'est un fait qui ne tient pas debout. Ô Vāseṭṭha, la parole des brāhmanes versés dans les trois Veda est semblable à une rangée d'aveugles attachés ensemble - le premier ne peut pas voir, celui qui est au milieu ne peut pas voir et celui qui est à la fin ne peut pas voir. Le premier ne peut pas voir, celui qui est au milieu ne peut pas voir et celui qui est à la fin ne peut pas voir. Alors, la parole de ces brāhmanes versés dans les trois Veda s’avère une parole qui mérite d’exciter le rire, une prétendue parole, une parole insensée, une parole vide
. » [Sermons du Bouddha, Môhan Wijayaratna, Sagesses, pp. 141-161]

[2] Selon le bouddhisme des auditeurs.

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