samedi 11 mai 2024

La théologie lumineuse du vishnouïsme

Bouddha comme l'avatar de Vishnou entouré de deux disciples

Vishnou (Viṣṇu)[1] était à l’origine un dieu solaire mineur. Indra, Agni et Varuna formaient la triade divine (trimūrti) védique du cycle cosmique. Autour de l’époque des purāṇa (300 de l’ère commune), Viṣṇu, Śiva (anciennement Rudra) et Brāhma avaient pris leur place. Viṣṇu et Śiva sont actuellement considérés comme des dieux suprêmes, Brāhma étant le démiurge cyclique.

Viṣṇu peut être vu comme la Conscience universelle rayonnante, qui établit et maintient l’ordre (dharma) à l’aide de ses avatars-rayons Kṛṣṇa, Rāma, Kalki, Buddha, etc. (voir le Bhāgavata-Purāṇa 1.3.24). L’avatar Bouddha réussit à convertir les athées en dévots du Bouddha, ce qui était un pas dans la bonne direction pour les éternalistes (āstika).
Alors, au commencement du kālī-yuga et afin de confondre les ennemis des dieux (suradviṣām), un Bouddha du nom de Fils d’Añjana apparaîtra dans le pays de Kīkaṭa.[2]
En tant que Conscience universelle, Viṣṇu est comme l’Intellect cosmique d’Anaxagore et des platoniciens, la Lumière divine ou Noûs. Tout en brillant au sommet du cosmos, il s’étend partout dans le monde matériel et spirituel, et c’est à travers ses rayons descendants (avatāra) qu’il guide les humains. Ses avatars sont indissociables de lui-même, et tout (sarva) est pénétré de l’Intellect cosmique qui unifie tout. 
"A chaque fois que l'Ordre chancelle et que le désordre se répand, je me recrée moi-même.
Je renais ainsi d'âge en âge pour la protection des bons et la perte des méchants, pour la restauration de l'Ordre." IV.7-8, La Bhagavad-Gītā, trad. Emile Sénart et Michel Hulin. 
La descente des avatars n’est pas régie par la coproduction conditionnée ou le karma, mais dépend de la volonté divine, dans ce cas de celle de Viṣṇu. Dans le bouddhisme, les nirmāṇakāya se manifestent par les voeux passés du bodhisattva/Bouddha, ou sont la simple expression de “compassion” du Bouddha “cosmique”.

Pour les adeptes de Viṣṇu l’âme est éternelle et continue ses transmigrations jusqu’à sa libération (mokṣa). Viṣṇu accompagne et guide l’âme à travers ses avatars. La dévotion et l’amour inconditionnelle (bhakti) pour Viṣṇu ou un de ses avatars est un facteur de libération, plus fort que le karma. La grâce divine est indispensable pour la libération et le salut de l’âme. L’âme est distincte du divin, mais possède les mêmes qualités (voir Ramanuja). La libération n’est pas la sortie du saṃsāra (quelle que soit la carrière post-saṃsārique), mais la réunion de l’âme avec Viṣṇu, l’Intellect cosmique. Les quatre facteurs rendant possible ces retrouvailles sont la dévotion inconditionnelle (bhakti), l’abandon total (prapatti) à Viṣṇu, le respect de ses propres devoirs respectifs (svadharma), et la grâce (kṛpā/anugraha) de Viṣṇu.

Le concept de libération (mokṣa) diffère ainsi de celui dans le bouddhisme classique avec, par exemple, ses huit dissociations (aṣṭa vimokṣa), sans unification/identification divine ou autre. Dans le bouddhisme ésotérique cependant, ces quatre facteurs (ou équivalents) sont bien présents sous une forme ou une autre. Dans les sūtra du Mahāyāna, les tantras et dans d’autres sources mythologiques of hagiographiques, on voit un plérôme constitué d’un Bouddha cosmique entouré de dieux, de bodhisattvas, etc., prendre la décision d’envoyer un avatar, nirmāṇakāya ou autre sauveur avec une mission spécifique (voir p.e. le Dict de Padma), notamment l’enseignement de méthodes plus aptes aux besoins spécifiques de l’époque. Les “formes” (mūrti) mêmes des avatars s’adaptent à ces besoins. Ce qui ne change pas c’est l’approche top-down, la décision est prise en haut et a autorité divine, et celui qui est considéré comme avatar/nirmāṇakāya est porteur de cette autorité. N’ayant pas accès à la source eux-mêmes, les terriens doivent se satisfaire de ces intermédiaires.

L'apparition d’un avatar, son enseignement, etc., nous sont connus par des écrits humains, prétendument rédigés par des témoins directs. D’autres intermédiaires…
- Bien, ô Vāseṭṭha. Si ces brāhmanes versés dans les trois Veda montrent la voie pour s'unir avec quelqu'un dont ils ne savent rien, qu'ils n'ont jamais vu en disant : "Voici la voie directe, voici la véritable voie, la voie qui mène l'individu qui la suit à l'état d'union avec Brahmā", c'est un fait qui ne tient pas debout. Ô Vāseṭṭha, la parole des brāhmanes versés dans les trois Veda est semblable à une rangée d'aveugles attachés ensemble - le premier ne peut pas voir, celui qui est au milieu ne peut pas voir et celui qui est à la fin ne peut pas voir. Alors, la parole de ces brāhmanes versés dans les trois Veda s’avère une parole qui mérite d’exciter le rire, une prétendue parole, une parole insensée, une parole vide. » [Sermons du Bouddha, Môhan Wijayaratna, Sagesses, pp. 141-161]
Des intermédiaires considérés comme des avatars, porteurs de l’autorité divine, transmise d’une détenteur à un autre. Ce dont il s’agit au fond, c'est cette autorité qui reste indiscutable pour ceux qui croient en un dieu suprême ou équivalent. Tout peut changer, tout peut être un variable, mais l’autorité doit rester. L’autorité et la volonté (ou liberté/līlā) divines, de l’Intellect cosmique, du Bouddha cosmique, de la Lumière incommensurable, etc.

Dans le vishnouisme, l’âme (ātma), de nature divine, est dite être “lumineuse”, “radieuse”, “claire” (prakāśa). Cette âme possède déjà potentiellement les qualités de Viṣṇu, l’âme suprême (Paramātmā). Selon Ramanuja (11ème s.), les qualités naturellement présentes de l’ātma sont la gnose (jñāna, omniscience), la félicité (ānanda), la pureté (śuddha), la permanence (nitya), et la conscience (cit). Ces qualités sont celles de l’Âme suprême, Viṣṇu. Le Soi lumineux est naturellement doté de ces qualités divines. C’est d'ailleurs aussi le cas chez le tibétain Longchenpa[3] (14ème s.). Selon Ramanuja, ces qualités peuvent être actualisées par la dévotion, la purification, et la grâce divine. Selon Ratnākaraśānti (ca. 970-1045), la grâce divine est également requise pour actualiser toutes les qualités du parfait état de Bouddha (“bouddhification”).

***

[1] Rigveda 1.154 sur les trois pas de Viṣṇu couvrant les trois niveaux : terre, espace intermédiaire, cieux, y établissant ainsi ses décrets.

[2] Tataḥ kalau sampravṛtte sammohāya suradviṣām |
Buddho nāmnāñjanasutaḥ kīkaṭeṣu bhaviṣyati || 24 ||

Commentaire du Bhaktivedanta Vedabase :

Lord Buddha preached nonviolence, taking pity on the poor animals. He preached that he did not believe in the tenets of the Vedas and stressed the adverse psychological effects incurred by animal-killing. Less intelligent men of the Age of Kali, who had no faith in God, followed his principle, and for the time being they were trained in moral discipline and nonviolence, the preliminary steps for proceeding further on the path of God realization. He deluded the atheists because such atheists who followed his principles did not believe in God, but they kept their absolute faith in Lord Buddha, who himself was the incarnation of God. Thus the faithless people were made to believe in God in the form of Lord Buddha. That was the mercy of Lord Buddha: he made the faithless faithful to him.”

[3]Since self-arisen wisdom, great perfection (rdzog chen) itself, exists throughout beginningless time as the spontaneously present qualities of the Buddha's vast abundance [of treasures], the three kāyas are [already] complete as his own possession. Therefore, they do not need to be searched for once [the alayavijñana] has been turned back.” A Direct Path to the Buddha Within, Klaus-Dieter Mathes.

Klong chen pa: Grub mtha' mdzod, 329.5: rang byung gi ye shes rdzogs pa chen po nyid ye nas sangs rgyas kyi che ba'i yon tan lhun grub tu yod pas/ sku gsum rang chas su tshang ba'i phyir logs nas btsal mi dgos ....



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