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jeudi 15 septembre 2016

Les héros solaires meurent-ils vraiment ?


La mort d'Hercule, gravure (1542–48) de Hans Sebald Beham.

Les héros solaires ne meurent pas de la même façon dans les épopées sumériennes/babyloniennes et chez les grecs. Gilgamesh et Enkidu meurent dans leurs lits. La mort d’Héraclès sur le bûcher est nettement plus spectaculaire. Gilgamesh ira dans les Enfers, où il retrouvera sa famille et Enkidu et où il participera au gouvernement[1]. Le conseil des dieux n'avait pas voulu l’admettre au ciel.

Héraclès, empoisonné par la tunique trempée dans le sang de Nessos, se fait porter sur le mont Œta « dans son appareil guerrier » et fait dresser un très grand bûcher. Personne ne veut ou n'arrive à l’allumer... Finalement, Philoctète accepte, mais la foudre tombant du ciel allume le bûcher et Héraclès est « immédiatement consumé ».
« Iolaso et ses compagnons cherchèrent à recueillir des ossements : ils n’en trouvèrent aucun. Ils conclurent que, conformément aux oracles, Héraclès était passé du monde des hommes au monde des dieux… »[2]
Cet épisode est cependant relativement tardif, il nous est raconté par Diodore de Sicile env. 90-30 av. J.C.), Ovide (43 av. J.C. – 17/18 ap. J.-C) et la Bibliothèque de (Pseudo-)Appolodore[3] (IIe siècle av. J.C). L’empire romain subissait des influences orientales certaines[4] et s’ouvrait à leurs mystères. Dans les Trachiniennes, Sophocle (495-406 av. J.-C.) mentionne bien le détail du bûcher du mont sacré de l'Œta, mais sans apogée.

Dumézil relève le thème du bûcher et l’apothéose, selon lui, propre à la Grèce. Un héros immolé vivant sur un bûcher, cela rappelle aussi le sage indien Calanos, qui s’est immolé volontairement sur un bûcher devant Alexandre le Grand et ses hommes, « exemple pour toute l’armée de dignité et d’impassibilité »[5], y compris pour les philosophes grecs enrôlés dans l’armée d’Alexandre.

Selon les tablettes racontant La mort de Bilgames (le nom sumérien de Gilgamesh), son tombeau fut édifié dans le lit de la rivière l’Euphrate, spécialement déviée à l'occasion pour les travaux. Son harem et son entourage y prennent place, le corps du roi postdiluvien y est installé, puis la rivière reprend son cours habituel. Héraclès par le feu, Bilgames par l’eau[6].

La mort héroïque par auto-immolation (combustion spontanée) fut aussi celle choisie par Dabba Mallaputta, disciple du Bouddha.
« Dabba le fils de Malla dit au Bouddha : « Le temps est venu pour moi d'entrer dans le Nirvana. » « Comme tu voudras », répondit le Maître. De même que brûlent et se consument le beurre et l'huile sans que reste cendre ou suie, de même Dabba le fils de Malla s'éleva dans les airs et s'y tint assis, entra dans le recueillement de l'élément igné, puis, sortant de ce recueillement, entra dans le Nirvana. De son corps incendié, il ne resta ni cendre, ni suie. Et le Bouddha prononça cette déclaration (udāna): « On ne reconnaît pas où va le feu qui s'est peu à peu éteint: de même est-il impossible de dire où vont les saints parfaitement délivrés, qui ont traversé le torrent des désirs, qui ont atteint le bonheur inébranlable[7]. »
Pour revenir sur la mort et l’apogée d’Héraclès, c’est Ovide qui « livre » le plus de détails. Arrivé sur le mont de l'Œta, il sacrifie d’abord aux dieux.
« Tout en priant, le héros versait de l'encens sur le feu naissant,
et à l'aide d'une patère répandait du vin sur les autels de marbre
. »[8]
Jupiter ainsi que les autres dieux, y compris Héra, décident de l’accepter comme un des leurs.
« Et comme il s'est acquitté de sa tâche sur terre, moi, je l'accueillerai
dans les rivages célestes et mon acte sera agréable à tous les dieux
. »[9]
Il ne restera plus rien de matériel (« de la figure de sa mère ») sur le corps d’Héraclès, qui « ne conserve que des traits de Jupiter », son père. Nous retrouvons le dualisme Esprit-Matière/Ciel-Terre, où l'Esprit est le Père et la Matière la Mère. Voir le billet A travers le miroir.
« Comme un serpent nouveau qui, une fois dépouillé de sa vieille peau,
retrouve d'habitude sa vigueur et brille de ses écailles neuves,
ainsi, le Tirynthien, une fois dégagé de ses membres mortels,
prend vie dans sa part la meilleure, commence à paraître plus grand
et, grâce à son auguste majesté, à mériter la vénération.
Son père tout-puissant l'enleva au creux d'un nuage
et, sur un quadrige, le transporta parmi les astres rayonnants
. »[10]
On pourrait dire qu’Héraclès avait ainsi atteint le « corps d’arc-en-ciel » et fut emporté au firmament (khecari tib. mkha’ spyod du gshegs pa). On pourrait dire aussi que tel Parménide dans son poème, il est transporté dans un char par les filles du soleil « sur la route fameuse de la Divinité ».[11] Ou que, tel Hénoch (Genèse 5:24, Hébreux 11:5), Elie (2 Rois 2:9-11), Jésus (Actes 1:9-11), Paul (2 Cor. 12:2-4) et Jean (Apoc. 4:1-2), il fut enlevé au ciel.

Et pourtant, selon Homère (VIIIe siècle av. J.-C), qui composa ses vers avant ces influences orientales, Héraclès aurait eu un double sort. Sans doute sa part humaine fut recueillie dans le Tartare, où Ulysse le voit, et sa part divine emportée au ciel. Il précise qu’Ulysse ne voit que l’image d’Héraclès.[12]
« 601 » Après Sisyphe, je vois le vigoureux Hercule, ou plutôt son image (εἴδωλον); car ce dieu assis parmi les immortels goûte les joies du festin, et il possède Hébé aux jolis pieds, Hébé, la fille du puissant Jupiter et de Junon aux brodequins d'or. Autour de cette ombre les morts s'agitent avec bruit comme des oiseaux épouvantés qui fuient de toutes parts. Hercule, semblable à la nuit sombre, jette de farouches regards; il tient son arc et il appuie le trait sur le nerf comme un guerrier prêt à lancer une flèche : un baudrier terrible, formé d'un tissu d'or, étincelle sur sa poitrine ; sur ce baudrier sont tracés de merveilleux travaux, des ours, des sangliers sauvages, des lions aux regards terribles, des combats, des mêlées, des meurtres, des homicides. L'ouvrier habile qui mit son art à façonner ce magnifique bau­drier n'a jamais rien enfanté et n'enfantera jamais rien de sem­blable. Bientôt Hercule me reconnaît; il me contemple attentivement, et, plein de compassion, il m'adresse ces paroles :
617 « Noble fils de Laërte, ingénieux Ulysse, tu es donc aussi sous le poids du terrible destin, comme je l'étais moi-même lorsque je voyais encore la brillante clarté du soleil ! Moi, fils de Jupiter, je fus accablé de maux sans nombre : je servis un homme bien inférieur à moi, et ce faible mortel m'imposa les plus rudes travaux ; il m'envoya même en ces lieux pour enlever le chien gardien des enfers, car il ne connaissait pas d'entreprise plus périlleuse. Pourtant je saisis le monstre et je le conduisis hors des sombres demeures : Mercure et Minerve avaient guidé mes pas. »
627 En achevant ces mots, Hercule disparaît dans le ténébreux séjour. Moi je reste là pour voir s'il viendrait encore quelques-uns des vaillants héros morts autrefois. »
Cette double présence rappelle celle des bodhisattvas selon La Concentration de la marche héroïque (sct. Śūrāṅgamasamādhisūtra tib. dpa' bar 'gro ba'i ting nge 'dzin gyi mdo), qui sont présents dans les cieux, tout en oeuvrant sur la terre à travers des εἴδωλον.

***
[1] A. R. George-The Babylonian Gilgamesh Epic, introduction, critical edition and cuneiform texts, Volume 1, Oxford University Press (2003), p. 15

[2] Georges Dumézil, Mythe et épopée I, II et III, p. 789

[3] « La compilation de récits mythologiques qui lui a été attribuée, dite Bibliothèque, serait en réalité bien postérieure à lui : l’œuvre cite un auteur romain, Castor l’Annaliste, contemporain de Cicéron (Ier siècle av. J.-C.). On appelle généralement l’auteur de la Bibliothèque le « pseudo-Apollodore ». (Wikipédia)

[4] « Les juifs - ou plutôt, pour les Romains, des Iuadaei, "Judéens", habitants de la Judée - ont le droit de respecter leurs coutumes et de pratiquer leur religion, quand elles ne sont pas en contradiction avec les lois romaines. De plus, certaines mesures dérogatoires permettent aux juifs de respecter les impératifs de leur foi et de leurs pratiques cultuelles. Le monothéisme juif exerce même, pendant les deux premiers siècles de notre ère, une séduction réelle. Les conversions au judaïsme n'ont rien d'exceptionnel. Face à ce phénomène, dans une ville qui devient de plus en plus cosmopolite, l'élite intellectuelle et politique romaine manifeste son inquiétude. » Les Juifs dans l’Empire romain

[5] Marcel Conche, Pyrrhon ou l’apparence, p. 37

[6] A. R. George

[7] Udāna, viii, 10; version sanscrite dans Udānavarga XXX. 36, qui porte : « Séjour inébranlable, acalam padam. —La première ligne fait difficulté : ayoghanahatasyeha (hdi na) jvalate jātavedasas. J'ai établi une petite bibliograpbie du « recueillement de l'élément igné » dans la traduction de l'Abhidbarmakoça, iv, p. 229, Netti p. 66. Note de Louis la Vallée-Poussin

[8] Hercule désespéré et furieux sur l'Oeta (9, 159-210)

[9] Métamorphose de Lichas et apothéose d'Hercule (9, 211-272)

[10] Métamorphose de Lichas et apothéose d'Hercule (9, 211-272)

[11] Le poème de Parménide

[12] Odyssée, Livre XI 

lundi 9 septembre 2013

Un passage de relais entre héros solaires



Le dragon que combat Cadmos lors de la fondation de Thèbes[1], « son corps, si on l'apercevait en entier, est aussi grand que le Serpentaire entre les deux Ourses. » Le serpentaire (Ophiuchus) est aussi le nom d’une « constellation de l'hémisphère nord traversée par le Soleil du 29 novembre au 18 décembre » (Wikipedia) qui coupe en deux la constellation du serpent, la tête et la queue. « La Tête du Serpent se trouve principalement dans l’hémisphère céleste nord, la Queue du Serpent essentiellement dans l’hémisphère céleste sud. » (Wikipedia) Le serpent est le plus souvent représenté avec le serpentaire qui le porte. Ce serpentaire peut être Cadmos, Asclépios, Apollon (python) ou Héraclès...


« Les formes astronomiques que prenait le dieu Lumière et le chef des ténèbres, c’est-à-dire, le Taureau, et ensuite l’Agneau d’un côté, et le Serpent ou le Dragon de l’autre, formaient les attributs des chefs opposés de ce ce combat. Les constellations placées hors du zodiaque, qui se liaient à cette position céleste, et qui déterminaient cette importante époque, étaient aussi personnifiées et mises en scène. Tels sont ici le Cocher ou Pan, qui accompagne aussi Osiris dans ses conquêtes, et Cadmus ou le Serpentaire. »
« Ici Nonnus suppose que pendant l’hiver le dieu de la Lumière n’avait plus de foudres, qu’elles étaient entre les mains du chef des Ténèbres, qui lui-même n’en pouvait pas faire usage. Mais, durant le temps que Jupiter en est privé, son ennemi bouleverse et désorganise tout dans la Nature, confond les éléments, répand sur la Terre le deuil, les ténèbres et la mort, jusqu’au lever du matin du Cocher et de la Chèvre, et jusqu’au lever du soir du Serpentaire ; ce qui arrive au moment où le Soleil atteint le Taureau céleste dont Jupiter prit la forme pour tromper Europe, sœur de Cadmus. C’est alors que le dieu du jour rentre dans tous ses droits, et rétablit l’harmonie de la Nature, que le génie des Ténèbres avait détruite. C’est là l’idée qu’amène naturellement le triomphe de Jupiter, et que le poète nous présente en commençant le troisième chant de son poème sur les Saisons ou des Dionysiaques. »
« Dans les fables sur Hercule ou sur le Soleil, on prétend que ce fut ce héros qui bâtit Thèbes après avoir défait un tyran qui, comme Orion, poursuivait les Pléiades. Je fais ces remarques afin de rapprocher entre elles ces anciennes fables solaires, et de faire voir leur liaison avec cette partie du ciel où se trouvent le Taureau, le Bélier, les Pléiades et Orion opposé au Serpentaire ; Hercule, Cadmus, etc., qui par son lever du soir, annonçait tous les ans le rétablissement de l’harmonie du Monde, désigné ici sous l’emblème d’une grande ville : c’est la ville sainte de l’Apocalypse. Cadmus bâtit sa ville de forme circulaire, telle qu’est la sphère. Des rues la traversaient dans le sens de quatre points cardinaux du Monde, ou de l’Orient, de l’occident, du midi et du nord ; elle avait autant de portes qu’il y a de sphères planétaires. Chacune des portes était consacrée à une planète. La Jérusalem de l’Apocalypse, fiction du même genre, en avait douze, nombre égal à celui des signes, et fut bâtie après la défaite du grand Dragon. »
Pour connaître tous les détails, relire dans l’Abrégé le chapitre VII (Explication des Dionysiaques, ou du poème de Nonnus sur le Soleil, adoré sous le nom de Bacchus)

Dans l’Héracléide, qui raconte les douze travaux d’Hercule, au nombre des maisons que travers le Soleil au cours d’une année, on voit Hercule tuer l’hydre de Lerne, représenté comme un serpent à cent têtes. Dès sa naissance, on raconte qu’il étouffa deux serpents qu’Héra aurait envoyé pour le tuer, pour se venger de l’amour illicite de Zeus et Alcmène, une mortelle. Selon Dupuis, l’épisode du hydre correspondrait astronomiquement au « Passage du Soleil au signe de la Vierge, marqué par le coucher total de l’hydre céleste, appelé hydre de Lerne, et dont la tête renaît le matin avec le cancer. »[2] La longueur du serspent/hydre est telle que quand la tête du serpent ré-apparaît, la queue n’a pas encore entièrement disparu. C’est un ennemi redoutable.


Alors quand un héros solaire de l’occident rencontre un héros solaire de l’orient, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires de serpent ! Iconographiquement, l’image ci-dessus est très intéressante.

Il s’agit d’un fragment de sculpture de la période Kusana (1-2ème siècle). On y voit le Bouddha, avec un beau soleil autour de la tête, subjuguer un serpent noir, assisté de Vajrapāṇi/Hercule. « Hercule » tendant sa massue/clavicule (clava)/vajra au Bouddha qui la saisit. De l’autre main, Vajrapāṇi tient une épée (kadga).[3] 



Relire ici le billet sur la promotion fulgurante du yaksa Vajrapāṇi. Lire ici un article en allemand sur les origines grecques de Vajrapāṇi/Kongōshu.

Existe-t-il un lien entre les douze actes du Bouddha et les douze travaux d'Hercule, comme il semblerait  exister un lien entre les douze travaux d'Hercule et les douze tablettes de l'épopée de Gilgamesh ? A part le nombre douze, qui selon Dupuis correspond aux douze maisons que traverse le soleil en un an.




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Cliquer sur les images pour voir leurs sources

MàJ 16/10/2013


Article d'Andy Fergusson


[1] OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE III  Dans les textes grecs le mot est synonyme de "ophis" (serpent). Pour cette raison, dans cette traduction (Louis Fabre et Jacques Angiot, 1870) d'Ovide, la créature que combat Cadmos est nommée tantôt "dragon", tantôt "serpent". http://www.maremurex.net/ovide.html

[2] Dupuis sur la longueur du serpent/hydre

[3] Cette représentation est décrite dans Buddhist Art from Norther India de Janice Leoshko : « Typically, scenes relating to different stories are separated by pilasters. In the relief of figure 10 scenes from two stories are shown. On the left side the Buddha is depicted taming a serpent in the city of Rajgir. The story concerns a selfish rich man who buried his wealth in his backyard. After he died, he was reborn as a serpent who lived in the yard and terrorized the neighbourhood in order to protect the buried treasure. In response to pleas from King Bimbisara, who is perhaps the richly dressed figure on the right, the Buddha quells the serpent. Here the Buddha is holding his begging bowl, from which hangs the serpent, over a mound that symbolizes the garden. Vajrapani, a frequent attendant of the Buddha, appears behind him. The right side of the relief depicts another serpent tale. In this case the Buddha is presenting a serpent that he has calmed to some ascetics in the town of Uruvilva. One ascetic recoils in horror at the sight of this once fearsome snake now coiled up in the Buddha's begging bowl. Again Vajrapani stands behind the Buddha. Other ascetics, identifiable by their scanty dress, beards and hair in topknots, witness this amazing event. It is interesting that although these two stories appear fairly frequently in Gandharan art, they are rarely encountered elsewhere in the Buddhist world. »