lundi 26 juillet 2010

Réflexions sur le karma 2

Le premier sens du mot karma est "acte rituel" et s'inscrit dans la société védique basée sur le sacrifice. Tout homme est redevable aux dieux, aux ancêtres, aux voyant (S. ṛsi) et aux autres hommes. La "dette" envers les dieux acquittée par les sacrifices.[1]
« Les hommes eurent un désir : rejetons le manque, le mal, la mort. Grace au rite (S. karma), ils rejetèrent le manque, le mal, la mort.» śatapatha brāhmaṇa. X1,2,7
Ces sacrifices sont bien encadrés et s'ils sont bien exécutés techniquement, le succès est garanti. Puis, le sacrifice, "l'agir conformément à l'équilibre de l'ensemble", sort du contexte des rituels sacrificiels et devient d'ordre moral et individuel.
Le karma maintient l’animé (jîva) emprisonné dans l'inanimé (ajîva). La libération de l'état humain est difficile. Les Jaïns croient que le jîva continue à souffrir pendant toutes ses vies ou réincarnations, qui sont d'un nombre indéfini. Ils pensent que chaque action effectuée par une personne, qu'elle soit bonne ou mauvaise, ouvre les canaux des sens (vue, ouïe, toucher, goût et odorat), par lesquels une substance invisible, le karma, s'infiltre à l'intérieur et adhère au jîva, déterminant les conditions de sa prochaine réincarnation.[2]
Avec ce changement de la notion du karma, notamment dans le jaïnisme et le bouddhisme, ce n'est plus l'acte rituel qui est déterminant, mais l'acte moral. Il convient dorénavant de bien garder les trois portes (corps, parole et mental) ainsi que les portes des cinq sens (P. indriya-sanvara-sila) pour éviter le karma de s'infiltrer et de s'attacher au jīva ou à tout autre "support" recueillant les karma, de quelque nature qu'il soit. Le sacrifice n'est plus efficace et du même coup les dieux n'ont plus de rôle à jouer à ce niveau.

En effet, si c'est l'agir individuel (S. karma) qui est déterminant pour le manque, le mal et la mort à quoi servent les sacrifices aux dieux ? Pourquoi un bouddhiste qui a foi en la coproduction conditionnée (S. pratītyasamutpāda ) et en le karma ferait-il des sacrifices aux dieux ? D'un autre côté il est difficile pour un membre d'une société régie par la notion des quatre dettes mentionnées ci-dessus de ne pas s'acquitter de celles-ci ou, en ne s'en acquittant pas, de ne pas en ressentir de la culpabilité. On trouve dans les énumérations des vues erronées (P. (micchā-ditthi) de l'abidhamma que ne pas croire en la loi des kamma, en l'efficacité du don et du sacrifice, en les êtres spontanés (p.e. deva), les résultats d'une vie contemplative etc. est une vue erronée. [3] L'abidhamma ne contredit donc pas l'efficacité du sacrifice, mais celui-ci n'est pas encouragé dans le bouddhisme pāli, dans le sens qu'il ne fait pas partie des pratiques orthodoxes.

Dans le petit texte "Duties of the Sangha" écrit par Ajaan Lee Dhammadharo, on retrouve la notion de dette karmique ou dette morale envers ceux à qui nous sommes redevables ou à qui nous avons fait du tort.
Kamma: Actes d'intention conduisant à des états d'existence et la naissance. Les "dettes karmiques" sont des dettes morales envers les autres, soit parce qu'on a été une charge pour eux (l'exemple premier étant nos parents), soit parce qu'on leur a fait du mal.
L'intégration des tantra dans le bouddhisme était accompagnée du retour d'un rôle actif des dieux et des rites pour remédier au manque, au mal et à la mort. Dans le bouddhisme tantrique, on trouve donc côté à côté, les deux notions de karma : acte rituel ou sacrifice pour s'acquitter des dettes karmiques et acte moral conduisant à des états d'existence. Les deux notions sont assez opposés et capables de se saper l'une l'autre. Le kamma enseigné par le Buddha s'oppose au Karma védique. Et pris au premier degré, les rites tantriques capables d'influer sur la fortune, la fécondité, les réalisations spirituelles, l'élimination de karma négatif etc. peuvent sembler aller à l'encontre de la coproduction conditionnée. Si l'une domine c'est aux dépens de l'autre.

Au deuxième degré, d'autres interprétations plus symboliques et psychologiques sont possibles. La notion de dette/culpabilité et comment celle-ci peut constituer un empêchement à la réalisation spirituelle. Que représentent les dieux ("dons de la vie" ?) et les sacrifices faits à eux ? En parallèle, ce qui est effectué ou exprimé dans les rites aux dieux indiens, peut-il être effectué ou exprimé autrement ? Les maîtres quiétistes prétendent que oui.

***

[1] Féminité de la parole, Charles Malamoud, p.161
[2] Wikepedia
[3] Elles sont définies ainsi dans le “Dhamma Sangani”(premier chapitre de l'abidhamma) : "Il n'existe pas de telles choses que les aumônes, les sacrifices ou les cultes (
S. pūjā) ; il n'y a pas de fruit aux actes positifs ou négatifs. Il n'existe pas de telles choses que ce monde-ci, le suivant ; il n'y a pas de telles choses qu'une mère ou un père ; ou des êtres spontanés naissant sans eux ; il n'y a pas de renonçants ou de brahmanes dans le monde qui ont atteint la plus haute réalisation, qui ont compris et réalisés par eux-mêmes ce monde-ci ainsi que le suivant et qui l'ont proféré " Voir aussi le Samaññaphala Sutta : Les fruits de la vie contemplative DN 2 PTS. Le Brahmājala Sutta .(D.1) enseigne 62 vues erronées.

jeudi 15 juillet 2010

La petite sirène ou le "locus classicus" du subitisme

L'histoire de la fille du roi de nāga Sāgara, que l'on trouve dans le Sûtra du lotus de la bonne Loi (S. Saddharma Puṇḍarīka Sūtra T. 'phags pa dam pa’i chos pad ma dkar po), pourrait être un locus classicus de l'idée de l'éveil subite. De toute façon, elle a nourri les débats à l'époque de Chen-Houei. Comment se fait-il qu'une jeune fille de huit ans est capable de faire ce que le Bouddha avait mis des kalpas à accomplir ? Cette histoire est-elle un expédient (S. upāya) ou un fait réel ? Si cet accès instantané à la bodhi est possible en produisant la pensée de l'éveil (S. bodhicittotpāda), que cela implique-t-il pour les pratiques du chemin graduel ?[1]

Accessoirement, l'histoire nous apprend comment une naissance masculine est nécessaire à l'obtention du plein éveil, mais que cette condition est simplement passée outre par quelqu'un qui a accès à la bodhi. L'état d'éveil complet est à la portée des femmes, des jeunes filles, et même des jeunes filles non-humaines, et instantanément grâce à la production de la pensée de l'éveil (S. cittotpāda T. sems bskyed). Il s'agit dans ce cas évidemment de la pensée de l'éveil absolue telle que définie dans le le soutra du Dévoilement du sens profond (S. sandhinirmocanasūtra T. dgongs pa nges par 'grol pa'i mdo) :
"L'esprit d'Eveil absolu transcende le monde ; il est libre de toute élaboration conceptuelle et parfaitement lumineux ; ayant pour objet la vérité absolue, il est immaculé, immuable, extrêmement clair, telle la flamme continue d'une lampe dans un lieu sans vent."[2]
Chen-Houei :
"S'il en est qui, accroupis, figent leur esprit pour entrer en concentration, fixent leur esprit pour regarder la pureté, mettent leur esprit en mouvement pour qu'il illumine à l'extérieur, ramassent leur esprit pour avoir l'expérience intérieure, toutes ces pratiques font chez eux obstacle à la bodhi. Or, tant que l'on ne possède pas l'union avec la bodhi, d'où pourrait-on obtenir la délivrance ? Ce n'est certes pas en restant accroupi !"[3]
Ci-dessous l'histoire de la petite nāgī, traduit par Eugène Burnouf


[CHAPITRE XI. APPARITION D'UN STÛPA.]

Mañdjuçrî répondit : J'ai exposé au milieu de l'océan, le Sûtra du Lotus de la bonne loi, et non aucun autre Sûtra. Pradjñâkûta reprit : Ce Sûtra est profond, subtil, difficile à saisir; aucun autre Sûtra ne lui ressemble. Est-il quelque créature qui soit capable de pénétrer ce Sûtra, et d'obtenir [par là] l'état suprême de Buddha parfaitement accompli ? Mañdjuçrî répondit : Il y a, ô fils de famille, la fille de Sâgara, roi des Nâgas, âgée de huit ans, qui a une grande sagesse, des sens pénétrants, qui est douée d'une activité de corps, de parole et d'esprit que dirige toujours la science; elle a obtenu la possession des formules magiques, parce qu'elle a saisi et les lettres et le sens des discours des Tathâgatas. Elle embrasse en un instant les mille méditations qui font reconnaître l'égalité de toutes les lois et de tous les êtres. Ayant conçu la pensée de l'état de Buddha, elle est incapable de retourner en arrière; ses prières sont immenses; elle éprouve pour toutes les créatures autant d'attachement que pour elle-même; elle est capable de donner naissance à toutes les vertus, et elle n'en est jamais abandonnée. Le sourire sur les lèvres, et douée de la perfection d'une beauté souverainement aimable, elle n'a que des pensées de charité, et ne prononce que des paroles de compassion. Elle est capable d'arriver à l'état de Buddha parfaitement accompli. Le Bôdhisattva Pradjñâkûta reprit : J'ai vu le bienheureux Tathâgata Çâkyamuni s'efforçant d'arriver à l'état de Buddha; devenu Bôdhisattva, il fit un nombre immense de bonnes œuvres; et pendant plusieurs milliers de Kalpas, il ne laissa jamais se relâcher sa vigueur. Dans l'univers formé d'un grand millier de trois mille mondes, il n'est pas un coin de terre, ne fût-il pas plus étendu qu'un grain de moutarde, où il n'ait déposé son corps pour le bien des créatures. C'est après cela qu'il est parvenu à l'état de Buddha. Qui donc pourrait croire que cette jeune fille ait été capable d'arriver en un instant à l'état suprême de Buddha parfaitement accompli ? En ce moment la fille de Sâgara, roi des Nâgas, apparut debout devant lui. Après avoir salué, en les touchant de la tête, les pieds de Bhagavat, elle se tint debout à l'écart, et prononça les stances suivantes :

49. Pur d'une profonde pureté, il brille de toutes parts dans l'espace ce corps subtil, orné des trente-deux signes de beauté, 50. Paré des marques secondaires, honoré par toutes les créatures, d'un abord facile pour les êtres, comme s'il était leur concitoyen. 51. J'ai acquis, comme je le désirais, l'état de Bôdhi; le Tathâgata m'en est ici témoin, j'exposerai avec tous ses développements la loi qui délivre du malheur.

En ce moment le respectable Çâriputtra s'adressa ainsi à la fille de Sâgara, roi des Nâgas : Tu n'as fait que concevoir, ô ma sœur, la pensée de l'état de Buddha, et tu es incapable de retourner en arrière; tu as une science sans bornes : mais l'état de Buddha parfaitement accompli est difficile à atteindre. Ma sœur est une femme, et sa vigueur ne se relâche pas; elle fait de bonnes œuvres depuis des centaines, depuis des milliers de Kalpas; elle est accomplie dans les cinq perfections; et cependant, même aujourd'hui, elle n'obtient pas l'état de Buddha. Pourquoi cela ? C'est qu'une femme ne peut obtenir, même aujourd'hui, les cinq places. Et quelles sont ces cinq places ? La première est celle de Brahmâ; la seconde, celle de Çakra; la troisième, celle de Mahârâdja; la quatrième, celle de Tchakravartin; la cinquième, celle d'un Bôdhisattva incapable de retourner en arrière.

En ce moment la fille de Sâgara, roi des Nâgas, avait un joyau dont le prix valait l'univers tout entier, formé d'un grand millier de trois mille mondes. La fille de Sâgara, roi des Nâgas, donna ce joyau à Bhagavat, et Bhagavat, par compassion pour elle, l'accepta. Alors la fille de Sâgara, roi des Nâgas, s'adressa ainsi au Bôdhisattva Pradjñâkûta et au Sthavira Çâriputtra : Le joyau que j'ai donné à Bhagavat, Bhagavat, par compassion pour moi, l'a bien vite accepté. Le Sthavira répondit : Donné vite par toi, il a été vite accepté par Bhagavat. La fille de Sâgara, roi des Nâgas, reprit : Si j'étais, ô respectable Çâriputtra, douée de la grande puissance surnaturelle, je parviendrais plus vite encore à l'état de Buddha parfaitement accompli, et personne ne prendrait ce joyau. Aussitôt la fille de Sâgara, roi des Nâgas, à la vue de tous les mondes, à la vue du Sthavira Çâriputtra, supprimant en elle les signes qui indiquaient son sexe, se montra revêtue des organes qui appartiennent à l'homme, et transformée en un Bôdhisattva, lequel se dirigea vers le midi. Dans cette partie de l'espace se trouvait l'univers nommé Vimala; là, assis près du tronc d'un arbre Bôdhi, fait des sept substances précieuses, ce Bôdhisattva se montra parvenu à l'état de Buddha parfaitement accompli, portant les trente-deux signes caractéristiques d'un grand homme, ayant le corps orné de toutes les marques secondaires, illuminant de l'éclat qui l'environnait les dix points de l'espace, et faisant l'enseignement de la loi. Les êtres qui se trouvaient dans l'univers Saha, virent tous ce Bienheureux qui était l'objet des respects de tous les Dêvas, des Nâgas, des Yakchas, des Gandharvas, des Asuras, des Garudas, des Kinnaras, des Mahôragas, des hommes et des êtres n'appartenant pas à l'espèce humaine, et qui était occupé à enseigner la loi. Et les êtres qui entendirent l'enseignement de la loi, fait par ce Tathâgata, devinrent tous incapables de se détourner de l'état suprême de Buddha parfaitement accompli; et cet univers Vimala, ainsi que l'univers Saha, trembla de six manières différentes. Trois mille êtres d'entre ceux qui formaient l'assemblée du Bienheureux Çâkyamuni, acquirent la patience surnaturelle de la loi, et trois mille êtres vivants eurent le bonheur de s'entendre prédire qu'ils parviendraient à l'état suprême de Buddha parfaitement accompli. Alors le Bôdhisattva Pradjñâkûta et le Sthavira Çâriputtra gardèrent le silence.

MàJ 19102016  The Sūtra on Transforming the Female Form

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[1] Voir Entretiens du maître de dhyâna Chen-Houei de Jacques Gernet, p. 40-41
[2] Le Précieux ornement de la libération, Padmakara, p. 148
[3] Entretiens du maître de dhyâna Chen-Houei, Jacques Gernet, p. 57

mercredi 14 juillet 2010

Demeurer nulle part et non activité de l'esprit chez Chen-Houei

Maître Chen-houei/Shen Hui naquit à Siang-yang en 668. Il étudia Tchouang-tseu et Lao-tseu dans sa jeunesse "chez lesquels son esprit se trouvait à l'aise". Aux environs de 708, on le voit au Ts'ao-k'i parmi les disciples du maître Houei-neng, sixième patriarche de l'école du Ch'an. Chen-houei meurt en 760 et en 796 il fut établi septième patriarche à la suite d'une conférence de maîtres de Ch'au réunie sur l'ordre de Tö-tsong.
Jacques Gernet a publié les "Entretiens du maître de dhyâna Chen-Houei du Ho-Tsö (668-760)*"[1], un livre malheureusement épuisé et non ré-édité. L'école de dhyâna et le système d'Advayavajra faisant la part belle aux prajñāpāramitā, il est logique qu'on y découvre des parallèles.

Voici comment Chen-Houei parle de l'absence d'activité de l'esprit (S. amanasikāra) :
Sur l'absence de pensée (C. wou nien) qui est à la fois vue et connaissance. «Tous ceux qui étudient [le Chemin] savent, par ce qu'on leur dit, qu'ils ont en eux une nature de Buddha, mais ils ne sont pas capables de la voir par une pénétration parfaite». II faut ne pas avoir d'activité de l'esprit (S. manaskāra). Toute autre méthode est fausse.**
Ci-dessous le chapitre i,5 avec les notes de Jacques Gernet, où l'on découvre les interprétations de Chen-Houei des termes "apratiṣṭhāna/aṣṭhāna" et "amanasikāra", pratiqué pour atteindre "la pensée dans l'absence de pensée".

1.5

[101] Compte-rendu (1) de l'entretien du Maître du Ho-tsô" (2) avec le k'ai-fou [officier] T'o-pa (3) (4).

Dans son entretien d'aujourd'hui avec le che-lang (vice-président), le Maître [demanda] si, en cultivant les pratiques au moyen de son propre corps et de son propre esprit, il fallait avoir un esprit qui fût en union avec celui des Buddha et Bodhisattva. S'il l'était, on obtenait alors une part de la loi du Buddha. S'il ne l'était pas, tous ces exercices demeuraient vains.

T'o-pa demanda :
« Comment obtient-on la compréhension ?
— Obtenez seulement l'absence de pensée (5) et ce sera la compréhension.
— Qu'est ce que l'absence de pensée ?
— La non activité de l'esprit (S. manaskāra), c'est l'absence de pensée. Dans la substance de l'absence de pensée se trouve naturellement la sapience et la sapience foncière, c'est l'aspect véritable (C. tchen siang). Les Buddha et Bodhisattva se servent de l'absence de pensée pour parvenir au corps de loi (S. dharmakāya) de délivrance. Lorsqu'ils voient ce corps de loi, [chez eux] les samādhi nombreux comme les grains de sable du Gange et toutes les pāramitā sont présents au complet. Si vous étudiez dès aujourd'hui avec moi la prajñāpāramitā, vous obtiendrez un esprit identique à celui des Buddha et des Bodhisattva, dès aujourd'hui, dans l'océan des renaissances et morts, en une pensée instantanée (6), vous obtiendrez l'union (S. yoga) avec les Buddha et les Boddhisattva. Si, demeurant dans cette union née d'une pensée instantanée, vous cultivez les pratiques, vous connaîtrez le Chemin, vous verrez le Chemin vous obtiendrez le Chemin.
— Mais je suis un profane, j'ai une fonction. Comment pourrais-je étudier pour obtenir [le Chemin] ?
— Eh bien, dès aujourd'hui il vous est permis d'étudier la compréhension. Sans même avoir obtenu les pratiques, obtenez seulement la compréhension : grâce à elle, les imprégnations (S. vāsanā), toutes les implications (S. pargavasthāna) et les pensées erronées, toutes les lourdes [fautes], tout cela, de soi-même s'allège et se réduit peu à [102] peu. J'ai vu qu'il est dit dans le sūtra : «Les rois Kouang-ming (Raśmiprabhāsa),"Yue-kouang (Candraprabha), Ting-cheng (Mūrdhaja), les saints rois Tch'ouaa-louen (Cakravartin), Ti-che (Śakradevendra) et Fan (Brahmā), tous les rois [épris] des désirs des cinq sens (S. pañca-kāma) qui, si l'on compte jusqu'à nos jours, sont au nombre de mille myriades de koti, tous ces rois, dans la prajñāpāramitā, se sont bornés à étudier la compréhension. Sur le point de comprendre leur esprit propre, ils ont interrogé le Buddha et le Buddha leur a fait recevoir l'approbation de son sceau (S. mudrā). Ayant obtenu cette approbation, ils purent rejeter l'esprit des cinq désirs et devinrent des Bodhisattva à la position correcte (1). Ils accomplirent l'ornement (S. alaṃkāra) de la perfection de la générosité (S. dānapāramitā) et le corps de loi (S. dharmakāya) de délivrance.»
Dans notre école, on indique tout de suite que c'est la compréhension qui est essentielle et qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la multitude des textes (8). [On déclare] seulement [que] tous les êtres ont un esprit qui est foncièrement supraphénoménal. Tout ce qu'on appelle phénoménal est également esprit d'erreur. Qu'est-ce que l'erreur (S. viparyāsa) ? Fixer son esprit en ayant une activité de l'esprit (S. manaskāra), saisir la vacuité, saisir la pureté et enfin mettre son esprit en mouvement pour chercher à éprouver la bodhi et le nirvāṇa (9), tout cela est illusion, et erreur. N'ayez seulement pas d'activité de l'esprit, votre esprit sera de lui-même dépourvu d'objets particuliers, vous aurez l'esprit qui consiste en absence d'objets particuliers (10) et votre nature propre sera vacuité et quiétude. Dans la substance de la vacuité et quiétude se trouve naturellement la sapience foncière, c'est à dire le savoir, si l'on considère son activité de rayonnement. C'est pourquoi le Pan-jo king dit (11) : «Il faut produire l'esprit [de pureté] en ne demeurant nulle part.» « Ne demeurer nulle part» s'applique à la substance de la quiétude foncière. « Produire l'esprit [de pureté] » désigne l'activité de la sapience foncière (12). N'ayez seulement pas d'activité de l'esprit et, de vous-même, vous serez aussitôt éveillé et pénétrerez [l'absolu]. Efforcez-vous, efforcez-vous ! »

(1) La traduction de chou par lettre n'est pas satisfaisante, puisqu'on a affaire ici à une véritable conversation.
(2) C'est le monastère de la Reconnaissance des bienfaits impériaux, à Lo-yang ou Chen-houei vint résider en 745. On pourrait donc penser que ce passage est postérieur à cette date. Il est plus probable que l'on a ici une rédaction tardive d'une conversation restée sans doute mémorable.
(3) Inconnu.
(4) Cette phrase se trouve plus bas dans le manuscrit. Elle a été reportée à juste titre par M. Hou Che en tête de ce passage.
(5) Wou nien, expression de l'école du dhyāna. On la retrouve dans l'apocryphe chinois du Vajrasamādhi, T. 273. Les patriarches de l'école du Sseu-tch'ouan, qui nous sont connus surtout par le Li tai fa pao ki (Histoire des sutra des cinq générations successives), T. 2075, et qui, comme Chen-houei se prétendent les successeurs de Bodhidharma, pratiquent et prêchent le wou nien. Cf. biographie de Wou-siang (684-762), p. 185a et biographie de Wou-tchou (712-774), passim. On trouve plus tôt l'expression wou sin, absence d'esprit qui paraît en être un équivalent sauf dans le cas où elle sert à rendre les termes " sanskrits acitta ou acittaka qui s'appliquent aux recueillements d'inconscience nommés asamjñisamāpatti et nirodhasamāpatti (Cf. L. DE LA VALLEE POUSSIN, Abhidharmakośa, t.1, p. 21).
Tout l'effort des maîtres de dhyāna ne tend qu'à détacher les auditeurs de l'esprit ' d erreur, qui consiste à croire qu'il est possible et nécessaire d'avoir recours à des notions et de définir ce qui en fait est indicible (S. avaktavya). Il n'y a pas en effet de commune mesure entre l'absolu et notre stade de raisonnement logique fondé sur de vaines oppositions de concepts. C'est donc par un saut brusque que l'on doit « voir en soi la nature de Bouddha » (cf. i, 29, comparaison de la terrasse à neuf gradins avec la nature subite). On ne peut y parvenir que par une absence complète de toute activité de l'esprit (S. manaskāra), en rejetant d'un coup tout le causal (S. pratyaya), le fabriqué (S. samskṛta), le relatif. On atteint alors cet état d'esprit d'un caractère transcendant qu'est le wou nien. « La pensée dans l'absence de pensée, dit Chen-houei (i, 28), c'est la manifestation, l'activité (S. prayojana) de l'absolu ». Il y a une analogie entre cette démarche du dhyāna et celle des philosophes taoïstes. Le Sage taoïste ne tend en effet qu'à se dépouiller de tout ce qui a été ajouté à la Nature (C. t'ien), rites et devoirs sociaux (C. li yi), vertu d'humanité (C. j'en), pour retrouver le fondement de son être, le tien. On sent bien dans les définitions que Chen-houei donne du wou nien que la conception taoïste du Sage libre de toute entrave, autonome, impassible et actif seulement par le rayonnement de sa Vertu, n'est pas étrangère à sa doctrine : « Il en est, dit-il (i, 12), comme d'un miroir clair... » « S'il est question de son rayonnement, peu importe ce qui est ou n'est pas devant lui : dans tous les cas, le miroir rayonne constamment (ibidem). » « ... le miroir doit à sa seule clarté cette nature de rayonnement. De même, c'est à cause de la pureté foncière de l'esprit des êtres que ceux-ci possèdent naturellement la grande lumière de sapience qui projette ses rayons sur tous les mondes sans exception (ibidem). » « Lorsqu'on voit l'absence de pensée, on est maître de toute chose, lorsqu'on voit l'absence pensée, on embrasse toute chose (i,20). » Cette Vertu, comme celle des Sages taoïstes, s'accommode bien du contigent. Cf. Tan king, T. 2007, p. 338c5 ; « L'absence de pensée, c'est, au sein de la pensée, demeurer sans pensée. » Ibidem, p. 340c21-23 : «Restant au milieu des six poussières (S. rajas), ne pas s'éloigner d'elles et cependant ne pas en être souillé, être autonome dans l'allée et venue, voilà le samādhi de prajñā. Cette délivrance d'autonomie s'appelle pratique de l'absence de pensée.» Ce que Chen-houei nomme « égalité entre concentration et sapience » n'est qu'un corollaire de cette doctrine du wou nien : lorsqu'on possède une véritable concentration de l'esprit, qui n'est pas celle du moi intéressé et se définit négativement par l'absence de toute activité de l'esprit (i, 48, p. 159 et 151), on possède du même coup la grande lumière de sapience qui illumine tous les mondes sans exception, et inversement. En ce sens, concentration et sapience ne sont que deux aspects d'une idéalité unique qui est le wou nien.
(6) Cf. i, i, note 2.
(7) Stade préparatoire mais non essentiel de la carrière du Bodhisattva.
(8) Cf. à ce propos l'objection soulevée dans le T'an king, T. 2007, p. 343c6 7 et 2008, p, 360b23.-29 ; « Que vos paroles soient directes, dit Houei-neng, n'ayez pas recours à la lettre. Mais, dira-t-on, si l'on n'a pas recours à la lettre, on ne devrait pas parler, car les mots sont encore des lettres. On dira encore ; « Soit dans le Chemin direct, il ne faut pas établir la lettre. Mais ces deux mots « ne pas établir », pou li, sont encore des lettres. » Houei-neng donne alors ce conseil à ses disciples,: «Voyant ce que quelqu'un vous dit, reprenez-le en lui disant qu'il s'attache à la lettre. »
(9) Sur ces formules, attribuées aux maîtres gradualistes P'ou-tsi et Hiang-mo, cf. i, 23 et note 3;k. iii, p. 175(8-9).
(10) Wou mou, absence d'êtres particuliers. L'expression est sans doute inspirée par le Tchouang-tseu : « Ce qui fait êtres les êtres particuliers, c'est ce qui n'est pas être particulier, fei wou ».
(11) Vajracchedikā, T. 235, p. 749c22-23.
(12) La quiétude foncière n'est autre chose que la concentration foncière de notre esprit propre. Sur la doctrine de l'égalité entre concentration et sapience voir i, 12, 27, 37.


*Publications de l'école française d'extrême orient, Hanoi, 1949
** Complément aux Entretiens du maître de dhyāna Chen-houei (668-760) de Jacques Gernet

D'autres extraits du livre de Jacques Gernet accessibles sur l'Internet.
Complément aux Entretiens du maître de dhyāna Chen-houei (668-760)
Anâchâryakajnâna, la connaissance sans maître
Chen-houei du Ho-tso — Les Six Facultés sans Souillure

mardi 13 juillet 2010

Quelques précisions sur le Jnanalokalamkara

A la fin du chapitre sur le perfectionnement de la lucidité, Gampopa souligne l'importance de l'attention à la vacuité et comment celle-ci contient tous les autres vertus à un degré supérieur, sans vouloir remplacer les autres vertus par la seule attention à la vacuité. Pour appuyer ce point de vue, il fournit de nombreuses citations, parmi lesquelles figure un passage particulièrement quiétiste dit être extrait de "L'Ornement de la lumière de la connaissance qui introduit l'objet de tous les Bouddhas" (S. Jñānālokālaṃkārasūtra T. ye shes snang ba rgyan gyi mdo), dont David Dubois a traduit une sélection d'extraits.

Gampopa dans Le précieux ornement de la libération :
"Si la culture de l'essence ou du principe conscient (S. cittatva), comprend toutes [les pratiques], pourquoi [le Bouddha] a-t-il enseigné tant de méthodes graduelles ? Pour guider les êtres de moindre fortune qui sont confus quant au mode réel des choses (S. tathatva). Extrait du Jñānālokālaṃkārasūtra :

"L’exposition des causes et des conditions
Et l’enseignement sur l’approche (‘jug pa) graduelle
Ont été énoncés comme des expédients (upāya) destinés aux êtres confus.
Comment pourrait-on approcher graduellement
Ce dharma spontané ?"[1]
David a indiqué n'avoir trouvé rien de semblable à cette citation dans le texte en sanscrite publié par la bibliothèque universitaire de Goettingen.

Ce même même passage est cité également dans l'Entrée simultanée dans la non-différenciation (T. cig car 'jug pa'i rnam par mi rtog pa'i bsgom don) de Vimalamitra avec la suite des vers cités.
"Qui pourrait voir une image accidentelle
Dans leur être qui transcende les extrêmes ?
On ne peut en affirmer la moindre chose.
A cet instant le mental est comme l’espace
Et son domaine (S. gocara) est identique à celui du buddha[2].
Gampopa n'a pas cité la suite que l'on trouve dans la citation par Vimalamitra. Il a choisi un extrait d'un tantra, mais qui a la même portée que le passage cité par Vimalamitra.
Extrait du Mahāsaṃvarodayatantrarāja (T. bde mchog sdom pa 'byung ba)
"Ainsi, moi, tel l'espace,
J'ai trouvé la liberté permanenté."
En vérifiant la version tibétaine du Sarvabuddhaviṣayāvatārajñānālokālaṃkāra, je ne trouve pas non plus ni le passage cité par Gampopa et Vimalamitra, ni la suite citée par Vimalamitra. Ce passage n'existe donc ni dans la version sanscrite de Goettingen, ni dans la version tibétaine du Kangyur de Dégé. Il est possible que Gampopa l'ait cité directement du texte de Vimalamitra et qu'il ait remplacé la deuxième partie de l'extrait par une citation équivalente issue d'un tantra. S'il disposait d'une traduction tibétaine de ce sūtra, ce n'était pas la version du Kangyur de Dégé, mais peut-être la même que celle dont disposait Vimalamitra. Il faut préciser qu'à l'époque de Gampopa, il n'existait pas encore de Tripiṭaka (Kangyur et Tengyur) tibétain.

La version tibétaine du Sarvabuddhaviṣayāvatārajñānālokālaṃkāra nāma mahāyānasūtra[3], intitulé 'phags pa sangs rgyas thams cad kyi yul la 'jug pa ye shes snang ba'i rgyan ces bya ba theg pa chen po'i mdo, avait été traduite par l' upādhyāya indien Surendrabodhi et une équipe de traducteurs tibétains parmi lesquels figurait Yéshé Dé (T. zhu chen gyi lo tsa ba ban d+he ye shes sde la sogs pas). Yéshé Dé vivait à la fin du 8ème et au début du 9ème siècle. Disons que la traduction tibétaine date du début du 9ème siècle. Vimalamitra aurait vécu au 8ème siècle avant la traduction officielle de ce sūtra.

En revanche, il existe encore une version chinoise du même sūtra, intitulé Ta ch'eng ju chu fo ching chieh chih kuang ming chuang yen ching, traduit par Dharmarakṣa/Fa-hu d'origine yuezhi (indo-scythe), qui était actif d'environ 266 à 308. Il était né à Tunhuang autour de 230[4] dans une famille de commerçants capable d'offrir à leurs enfants une éducation chinoise (bouddhisme et taoisme). Parti à la recherche de textes dans l'ouest, il apprit 36 langues. Il traduisit environ 150 œuvres en chinois, parmi lesquels le sūtra du lotus.

Il n'est pas exclu que Vimalamitra eut accès à la version chinoise. Il faudra rechercher les passages cités dans celle-ci pour vérifier. Mais l'existence de différentes versions en sanscrite ou en tibétain n'est pas exclue non plus.

Klaus-Dieter Mathes mentionne le commentaire (Sekanirdeṣapanjikā[5]) de Ramapala (un disciple d'Advayavajra) dans lequel celui-ci cite le Jñānālokālaṃkārasūtra :
" Les facteurs mentaux du non-engagement mental sont efficaces/vertueux, ceux de l'engagement mental ne le sont pas "
Advayavajra cite le même passage dans son Amanasikāroddeśa[6]. En sanscrite cela donne : "amanasikārā dharmāh kusalāh / manasikārā dharmā akusalāh"[7]. Klaus-Dieter Mathes précise que le seul passage, dans la version de Goettingen qui puisse lui correspondre est : "saṃkṣiptena sarve 'kuśalā manaskārāḥ saṃkleśasya hetuḥ, sarve kuśalā manaskārā vyavadānasya hetuḥ //" (JAAS 94,14-15).
Ramapala cite un deuxième passage du Jñānālokālaṃkārasūtra :
" Hommage à toi qui est libre de constructions mentales, dont l'intellect ne s'appuie [sur rien], qui est libre de remémorations, qui ne s'engage pas mentalement et qui est libre de tout connaissable."[8]
Ce passage contient dans un seul verset les trois termes clés du système d'Advayavajra : apratiṣṭhita (T. rab tu mi gnas pa), asmṛty (T. dran pa med pa) et amanasīkāra (T. yid la mi byed pa).
Il est évident que ce sūtra est d'une importance capitale dans les systèmes d'Advayavajra et Gampopa.


***

[1] Dans l'édition de Padmakara cela se trouve à la page 272
[2] « Bouddho » signifie : « Ce qui sait et qui est éveillé » Ajahn Liem dans Sans inquiétude http://www.dhammadelaforet.org/sommaire/liem/liem_questions_reponses.html
[3] http://www.sub.uni-goettingen.de/ebene_1/fiindolo/gretil/1_sanskr/4_rellit/buddh/jnalokau.htm
[4] Buddhist Conquest of China the Spread and Adaptation of Buddhism ..., Volume 2
Par E. Zucher p. 5
[5] Klaus-Dieter Mathes, Can Sutra Mahamudra be justified? C'est un commentaire sur texte n° 24. dbang nges par bstan pa d'Advayavajra.
[6] yid la mi byed pa ston pa
[7] On le retrouve encore dans le commentaire su les distiques de Saraha : yid la byas na mi dge ba yin la/ yid la ma byas na dge ba yin pas/ dge ba nga yis nges par yang dag mthong*/ p. 276:2
[8] (JĀA 71) avikalpitasaṃkalpa apratiṣṭhitamānasa / asmṛty amanasīkāra nirālamba namo 'stu te // 12 //


Textes tibétains correspondants

Tibétain Wylie Gampopa :
'o na ngo bo'am sems nyid gcig pur bsgom pa la de dag thams cad 'dus na/thabs kyi rim pa mang du gsungs pa dag 'byung ba ci ltar yin zhe na/gnas lugs la rmongs pa'i skal pa dman pa rnams 'khrid pa'i phyir te/ye shes snang ba rgyan gyi mdo las/rgyu rkyen 'brel par bshad pa dang*//rim par 'jug pa bstan pa yang*//rmongs pa rnams la thabs su gsungs//lhun gyis grub pa'i chos 'di la//rim gyis ong ba ci zhig yod//ces gsungs so//

Tibétain 2ème citation Gampopa:
bde mchog sdom pa 'byung ba las kyang*/'di ltar bdag nyid mkha' mtshungs ltar//rtag tu grol ba'i bdag nyid thob|/ces gsungs so/

Tibétain citation de Vimalamitra:
rgyu rkyen rten 'brel bshad pa dang/ /rim gyis 'jug pa bstan pa ni/ /rmongs par nams la thabs su gsungs/ /lhun gyis grub pa'i chos de la/ /rim du sbyar ba ci zhig yod/ / mtha' las 'das pa'i rang bzhin la//gong bur 'du shes su zhig lta/ /cung zad du yang khas blangs med/ /de tse sems ni nam mkha' ste/ /sangs rgyas dang ni spyod yul gcig/ /

dimanche 11 juillet 2010

Retracer le rayonnement/les représentations






Géshé Chakriwa (T. lcags ri ba), un des maîtres de Gampopa, lui avait donné trois instructions[1] pour travailler avec les représentations (S. vikalpa), qui se résument en les trois slogans suivants.
1. Surmonter dés qu'elle se présente (T. phrad 'joms)
2. La retracer (T. phyi bsnyag)
3. Son absence serait un défaut (T. med sprul)
1. Surmonter la représentation dés qu'elle se présente c'est la neutraliser (T. chod pa S. ācchedya) dans le non-né.
2. Si on ne la surmonte pas dès qu'elle se présente, il faut alors la retracer (T. snyog ). D'où est-elle apparue ? Comme elle apparaît de la conscience (S. citta) et qu'elle se fonde dans la conscience, elles n'est pas différente de la conscience. On appelle cela "retracer"
3. Pour expliquer que son absence serait un défaut, Géshé Chakriwa commence par expliquer que l'absence de mal-être (T. (mi bde ba cig) serait un défaut, parce que sans mal-être on ne sera pas motivé pour le renoncement (T. rab tu byung ba). Dans ce cas précis, il s'agit des représentations. Les représentations sont la conscience (S. citta). Et la conscience est le non-né (S. anutpāda T. skye med).
"Prenons l'exemple d'un feu dans une forêt. Un petit feu dans un bosquet serait éteint par le vent. Mais dans un grand forêt le même vent nourrirait le feu. [si l'on accumule beaucoup de bois propre et que l'on y met le feu, le feu flamboie. Si on y entasse encore davantage, autant on en ajoute, autant il flamboiera[2]. De même de nombreuses représentations nourriront la lucidité (S. prajñā).] Il s'allierait (T. grogs su 'gro) même avec de la terre et des pierres qui le nourriront. Ainsi, il est dit que toutes les représentations nourriront la lucidité (S. prajñā).

C'est comme de la neige tombant sur un lac : dès que les flocons de neige tombent [sur la surface du lac], ils deviennent identiques (T. ro gcig tu 'gyur) [au lac]. De la même façon, dès que les représentations se produisent, elles sont identiques/identifiés (S. ekarasa) à la part connaturelle (S. Sahaja).

C'est comme rencontrer une personne familière (T. 'dris pa'i mi) : quand on la rencontre, pas besoin de se demander si c'est elle ou non[3]. De la même façon, pas besoin de se poser des questions au sujet des représentations, quand on les reconnaît comme [le] non-né."
On retrouve la méthode ou l'image de retraçage dans d'autres traditions. Ainsi le Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad : “Parmi tout ceci, seul le Soi doit être connu et réalisé, car c'est à travers Lui que tout ceci peut être connu, [et nous pouvons Le connaître] de la même manière que l'on retrouve un animal perdu en suivant ses traces.”

On le trouve encore dans le bouddhisme Ch'an, chinois et coréen. Chez le maître chinois Lin-tsi (mort en 866 ou 867) d'abord :
"Si l'on est capable de 'retourner sa vision' (§11e : Essayez donc de retourner votre vision vers vous-mêmes) et de voir les choses de façon "définitive" (S. nītārtha), la nature de la concupiscence, de la colère et de la déraison n'est autre que la nature de Buddha; il n'y a point de nature de Buddha hors de la concupiscence, de la colère et de la déraison".[4]
Chez le maître coréen Chinul (1158-1210), un représentant du bouddhisme Huayan (Mahāvaipulya Buddhāvataṃsaka Sūtra), qui enseigne une méthode appelée "retracer le rayonnement" ("tracing back radiance")[5].
Question: Qu'est-ce que cette conscience qui est vide, apaisée et experience numineuse ?
Chinul: Ce qui vient de me poser cette question est justement votre conscience qui est vide, apaisée et conscience et expérience numineuse. Pourquoi ne pas retracer son rayonnement plutôt que de chercher à l'extérieur ?[6]
Chinul explique ensuite sa méthode. C'est une méthode "d'introduction à la nature de l'esprit (T. ngo sprod)". Une partie de sa méthode est ce Buswell appelle "entrer le noumène". Une des approches consiste à retourner à la source, le cœur-esprit, à l'aide de sons. Chinul l'appelle "La méthode d'Avalokiteśvara pour entrer le noumène
"[7]
Ramana Maharshi (1879-1950) , le sage de la colline sacrée Arunāchala, donne des instructions similaires à partir d'un état de "sommeil éveillé" :
Ramana Maharshi : Si vous savez ce qu'est cette conscience de veille, vous connaîtrez la conscience qui se tient comme témoin dans les trois états. Cette conscience peut être trouvée en cherchant la conscience telle qu'elle était durant le sommeil profond.
Q. [Mrs Piggot] : Dans ce cas, je m'endors.
RM : Aucun inconvénient !
Q. : C'est un vide.
RM : Pour qui est le vide ? Cherchez Vous ne pouvez vous nier vous-même à aucun moment. Le Soi est toujours présent et subsiste dans les trois états [veille, sommeil, rêve].
Q. : Devrais-je alors rester comme en état de sommeil profond et en même temps être vigiliante ?
RM : Oui. Le fait d'être vigilant est l'état de veille. Ce ne sera donc pas un état de sommeil, mais celui d'un sommeil éveillé. Si vous suivez vos pensées, vous serez entraînée par elles et vous vous trouverez dans un labyrinthe sans fin.
Q. : Alors je dois remonter à la source de mes pensées.
RM : Tout à fait ; c'est ainsi que les pensées disparaîtront et que seul le Soi demeurera. En fait, pour le Soi il n'y a ni intérieur ni extérieur. De plus, ce sont des projections de l'égo. Le Soi est pur et absolu.[8]




>Relire dans ce contexte le chant Caryāgīti de Śavaripa (le siddha chasseur) sur "la chasse".


***

Images : 1. Peinture rupestre à Renegade Canyon 2. Milarepa et le chasseur (flickr)

[1] rnam rtog don dam ngo sprod p. 211
[2] litt. bdag dga' (sa propre joie) ba yin zer.
[3] Abhinavagupta semble utiliser un exemple similaire sur la reconnaissance d'un visage familier et la joie qu'accompagne cette reconnaissance. Abhinavagupta, David Dubois p.85
[4] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, p122
[5] Tracing Back the Radiance, Chinul's Korean Way of Zen, Robert E. Buswell jr.
[6] Pojo Chinul's Secrets on Cultivating the Mind p 353, Jin Y. Park, Buddhist Philosophy Essential Readings
[7] La méthode pour retourner à la conscience nouménale
[8] L'enseignement de Ramana Maharshi, Albin Michel, p43



Tibétain Wylie :

/dge bshes lcags ri ba'i bla ma rnam gnyis kyi gdams ngag yin te/ sgom chen de bsgom pa'i dus su/ rnam par rtog pa 'byung ste/ phrad 'joms pa/ phyi bsnyags/ med sprul pa rnam pa gsum mo/ /dang po rnam rtog byung ma thag skye med du chod pa ni/ phrad 'joms pa bya ba yin/ phrad ma thag ma choms na/ phyi bsnyag gsung / rnam rtog de gang nas byung / de sems las byung / sems su thim/ sems dang gnyis tha mi dad de/ phyi bsnyag bya ba yin gsung / med sprul pa ni/ gang shes pa la lci ba/ nyams la mi bde ba cig med sprul pa yin te/ 'o skol rab tu byung ba la rtsa bzhi shes dgos pa lci ste/ de nyid med sprul te/ de rnam par rtog pa yin/ rnam rtog de sems yin/ sems skye med yin gsung / dper na/ nags la me shor na/ me chung ngu rlung gis 'chi ba yin/ nags tshal chen po tshig tsam na/ rlung yang grogs su 'gro /shing mang po yang dag pa tshogs nas me la dmag 'dren pa la/ me na re/ da rung khyed rang mang du spungs dang / khyod ji ltar mang ba bzhin/ bdag dga' ba yin zer la/ de bzhin du rnam rtog mang ba bzhin/ shes rab kyi grogs su 'gro gsung ngo // sa rdo tshun chad grogs su 'gro/ de bzhin du/ rnam rtog ji ltar mang ba bzhin shes rab kyi grogs su 'gro gsung / mtsho la kha ba bab pa dang 'dra ste/ babs ma thag tu ro gcig tu 'gyur ro/ /de bzhin du rnam rtog byung ma thag tu lhan cig skyes par ro gcig /sngar 'dris pa'i mi phrad phrad pa dang 'dra ste/ sngar 'dris kyi mi dang phrad tsa na/ yin min rtog dpyod bya mi dgos/ de bzhin du/ rnam rtog la rtog dpyod bya mi dgos par skye med du ngo shes gsung / de ni dge bshes lcags ri ba'i yin/

mardi 6 juillet 2010

Le flot incessant de la Nature


Il y avait une grande effervescence au Tibet du 12ème siècle. Les moines et yogis avaient la fièvre du voyage et passaient voir un maître après l'autre en collectionnant les enseignements.

Voici par exemple Phamodrupa (T. phag mo gru pa 1110-1170), qui avait étudié avec de nombreux lamas. Parmi ceux-ci un certain Lama A seng (ou kham pa A seng)[1] et Brag dkar po ba, qui enseignait le Dzogchen (tradition Aro). Une expérience décevante pour Phamodrupa, car selon lui ces instructions consistaient uniquement en la concentration mentale (S. śamatha et vipaśyanā). Il avait donc continué son chemin pour passer huit mois avec Bur sgom nag po[2] afin de recevoir de lui les instructions de Réchungpa (Lo ro pa). Il devait ensuite rester plus longtemps auprès du Sakyapa Sachen Kunga Nyingpo (1092-1158) qui l'appréciait énormément et qui considérait presque comme une trahison d'être abandonné au profit de Gampopa. Phamodrupa voyageait en compagnie de Lama Zhang (bla ma zhang btson 'grus grags pa 1123-1193), pour rencontrer Gampopa. Dès la première entrevue avec Gampopa, Phamodrupa se rendit vite compte que toutes les instructions reçues jusqu'alors avaient peu de consistance. Gampopa lui donna alors les instructions sur la réintégration de la part connaturelle (S. sahajayoga T. lhan cig skyes sbyor) puis mourra pas trop longtemps après (1153).

Tout comme Phag mo gru pa, Mogchokpa (T. rmog lcog rin chen brtson 'grus 1110-1170) avait lui aussi étudié avec A seng[3] et Bur sgom. Grâce à ce dernier il avait obtenu la maîtrise sur les rêves et vu la face de Vajravārahī. A un certain moment, Bur sgom nag po, détenteur des enseignements de Réchungpa, lui fit produire une tempête de grêle qui causa la mort à des voleurs de bétail. Mokchogpa se sentait très mal, mais l'ingénieux lama lui dit de ne pas s'en faire, car il détenait aussi des préceptes aptes à produire l'éveil même en ceux qui avaient commis les cinq actes aux effets immédiats (S. anantarika-karma T. mtshams-med lnga). Mogchokpa le quitta pour étudier avec Khyung po rnal 'byor (±1050 - 1135/1140), fondateur de la lignée Shagnpa (T. shangs pa bka' brgyud). Il médita à sDing ma pendant deux ans et réalisa les yogas du corps illusoire, du rêve et de la claire lumière. Khyoungpo neldjor mourra pendant la retraite de Mokchogpa qui avait besoin d'être débriefé. Il décida lui aussi d'aller voir Gampopa. Sur son chemin, il rencontra Phagmodrupa[4] avec qui il "échangeait des initiations".

Dans la biographie de Mogchokpa[5], celui-ci rencontra Gampopa environ deux ans après la mort du yogi de Khyungpo (1135/1140)[6]. C'est une rencontre émotionnelle, puisqu'ils auraient été maître et disciple pendant plusieurs vies et que Gampopa commença à se demander s'il allait encore le revoir... (p. 181).
« Mogchok présente une offrande (T. phyag rten) dans la chambre de Gampopa et lui dit : "Quand mon maître, le grand Shangpa, est mort, j'ai pratiqué (T. dge sbyor) et j'ai eu telles expériences du chemin des techniques, corps illusoire, rêve et claire lumière. Je suis venu demander si j'étais arrivé au bout ou pas. Mais comme le maître de Shang est décédé et que vous n'êtes pas mon maître, je ne peux pas vous demander (T. bla ma khyed min pa zhu sa mi bdog). Il me faut maintenant demander la transmission complète (T. khrid tshar gcig) des six yogas." Gampopa repondit : "Vous avez eu de bonnes expériences. Mais je dois ajuster (T. thag chod) votre vue." Et il lui donna les huit vers de la Mahāmudrā (T. phyag rgya chen po'i tshig rkang brgyad[7]) et les Cinq introductions (T. ngo sprod lnga pa)[8], suite à quoi Mogchokpa eut confiance en sa perspective de la vue (T. lta ba'i phyogs). Ensuite Gampopa dit : "Etudiez plutôt le cycle des six yogas (T. chos drug tshar gcig) avec Gomtshul (T. sgom pa tshul khrim snying po 1116-1169) . J'ai personnellement fait le vœu de ne pas enseigner les sādhana et les six yogas[9] »




Ensuite, par la grâce du maître, il obtient la certitude sur toutes les vues. Il développa graduellement la maîtrise sur la Māyā (T. sgyu ma). Une nuit il vit en rêve un corbeau. Ensemble ils allèrent à un endroit où se trouvait un ami. Mais comme cet ami n'était pas la, puisqu'ils étaient arrivés un jour où il y avait le marché (T. tshong dus), ils sont retournés en bas pour retomber à l'entrée de la grotte de méditation. À ce moment-là le corps du corbeau s'est transformé en la vénérable (T. rje btsun ma = Vajravārahī. En un seul instant il vit tout l'univers, des enfers jusqu'aux champs de bouddhas. Et quand il regarda son propre corps, il y vit tous ces phénomènes. À ce moment-là il fit le chant suivant :
De la sphère de la non-production le flot est incessant
Etant pure pensée/intention (T. bsam pa), rien ne l'arrête
Pour celui qui qui ne s'y méprend pas, c'est le rêve cosmique (T. sgyu lus S. māyādeha)
Qui émerge de la sphère de l'expérience de la réintégration (yoga)
Les pensées relatives à sa propre personne s'évanouissent
Le corps du Vainqueur est au sein même du corps individuel (S. karmavipāka)
Le précieux Seigneur me l'a révélé (T. ngo sprod)
Le corps qualitatif (S. dharmakāya) est au sein même du corps psychique
Le précieux Seigneur me l'a révélé
Le corps du Vainqueur est au sein même du corps mnémique (S. vāsanā)
Le précieux Seigneur me l'a révélé
La biographie ajoute "A partir de ce moment-là, il n'a plus jamais eu des pensées qui se rapportaient à sa vie individuelle".

MàJ0602014 L'expérience de Mogchok semble s'aligner sur l'idée du corps-univers tel qu'exposé par exemple dans le Siddha Siddhanta Paddhati attribué à Goraknath.

***
Photographie : Cleveland Museum, Vajravārahī sculpture du 11-12ème siècle

[1] Blue Annals p556
[2] Blue Annals p556
[3] Blue Annals p.733, édition Chengdu p. 859
[4] Blue Annals p. 737
[5] volumes shangpa KA, p. 180 et suivantes
[6] Chronological Conundrums in the Life of Khyung po rnal ’byor: Hagiography and Historical Time, Matthew T. Kapstein
[7] Très probablement les huit vers de Marpa, dont le commentaire fait partie de l'oeuvre complet de Gampopa (W23439-1750-eBook.pdf p. 35) mar pa'i tshig bcad brgyad ma'i 'grel pa
[8] 1. les apparences sont la conscience en s'appuyant sur l'analogie du sommeil et du rêve
2. l'indissociabilité des apparences et de la vacuité à travers l'analogie de l'eau et de la glace
3. le principe conscient (T. sems nyid) étant vide en s'appuyant sur l'analogie du ciel vide
4. la revelation de la saveur unique de la multiplicité à travers l'analogie de la saveur d'un gateau sucré
5. la revelation de la continuité du corps qualitatif (dharmakāya) par l'analogie de la continuité d'un fleuve
ngo sprod lnga ste/
gnyid dang rmi lam gyi dpes snang ba dang sems su ngo sprad/
chu dang chab rom gyi dpes snang stong dbyer med du ngo sprad/
nam mkha' stong pa'i dpes sems nyid stong par ngo sprad /
bu ram ril bu'i dpes du ma ro cig tu sno sprad/
chu bo rgyun chags kyi dpes chos sku rgyun chags par ngo sprad do//
[9] ngas sgrub thabs dang chos drug 'di mi bshad pa'i dam bca' gcig byas yod gsungs pas p. 182


Texte tibétain en Wylie

skye med klong nas 'gags med 'phyo//
bsam pa tsam gyis thogs pa med//
gang gis bslur med sgyu ma'i lus//
rnal 'byor rig pa'i klong nas shar//
tshe 'di'i rnam rtog yal nas thal//
rnam smin gyi lus la rgyal ba'i sku//
ngo sprod kyi rje btsun rin po che//
yid kyi lus la chos kyi sku//
ngo sprod kyi rje btsun rin po che//
bag chags kyi lus la rgyal ba'i sku//
ngo sprod kyi rje btsun rin po che//

vendredi 2 juillet 2010

La mahamudra Kadampa


Comme vu précédemment, quand Atiśa commença à enseigner les distiques de Saraha en public, son entourage lui en avait empêché. La lignée Kadampa qui prend sa racine en les enseignements d'Atiśa et de 'brom ston pa, s'est divisée en trois transmissions. 'Brom ston pa (1004 /1005-1064) eut trois disciples principaux, appelés les "trois frères" (T. sku mched gsum) qui étaient à la source des trois transmissions. Po to ba (1027/1031-1105) et les Adeptes des textes canoniques (T. gzhung ba pa), sPyan snga ba (1038-1103) et les Adeptes du chemin graduel (T. lam rim pa) et Phu chung ba (1031-1106) qui était à l'origine des Adeptes des Instructions (T. gdams ngag pa/man ngag pa), parmi lesquels on trouve des maîtres de Gampopa. Il est très possible que le nom "Adeptes des Instructions" fasse référence aux instructions particulières des distiques de Saraha et de l'approche d'Advayavajra, qu'Atiśa n'avait pas pu enseigner en public.

Je rappelle l'anecdote racontée par Gampopa qui lui avait été rapportée par son maître Géshé lcags ri ba.
"Le guide (Gampopa) avait demandé à Géshé lcags ri ba si ces instructions pour valoriser (T. lam khyer) [les représentations] n'étaient pas en contradiction avec celles de l'école Kadampa. lCags ri ba lui avait répondu que lorsque Géshé gLang ri thang pa avait posé cette question à géshé Phu chung ba, ce dernier avait hésité et dit "oui, mais je ne peux pas le répéter."
Les instructions qui valorisent les représentations (S. vikalpa) ne sont autres que la Mahāmudrā d'Advayavajra basée sur les distiques de Saraha, qui ne pouvaient pas être enseignées en public. Et pourtant elles ont été enseignées au sein même de la lignée Kadampa. Elles étaient en contradiction avec l'approche officielle de cette lignée, notamment celle de Po to ba, qui s'appuyait sur les traités canoniques. Les traités canoniques enseignent le renoncement ou sinon du moins la transmutation des représentations (S. vikalpa). L'anecdote de Gampopa nous montre que les instructions s'appuyant sur les distiques de Saraha étaient initialement enseignées plus discrètement et que cela causait une certaine gêne à Géshé Pu chung ba.

Sahajavajra, le disciple principal d'Advayavajra, a expliqué dans son commentaire sur les Dix versets sur le Réel, que les instructions du non-engagement mental (S. amanasikāra) ne sont autres que la Mahāmudrā. Advayavajra affirme d'ailleurs la même chose à plusieurs endroits. Pour justifier cette affirmation, Sahajavajra cite le Samādhirāja sūtra.

Nous avons maintenant le contexte pour comprendre à quoi faisait référence Po to ba quand il disait : "Ce que l’on appelle « Mahāmudrā » s’accorde avec le sens du Samādhirāja sūtra. Nous ne devrions ni la déprécier, ni la pratiquer.[1]" Il semble accepter ici que son "frère" Pu chung ba et ses disciples suivent les "Instructions", Mahāmudrā". Il conseille à ses propres disciples, "nous", c'est-à-dire les Adeptes des textes canoniques, de ne pas les pratiquer et de ne pas déprécier ceux qui les suivent et pratiquent, car elles se justifient dans le Samādhirāja sūtra.
que l'on appelle "

Cette Mahāmudrā devait même être assez populaire car Po to ba écrit dans une lettre :
"Les stades de l'entrainement spirituel, qui étaient enseignés en secret[2],
Sont aujourd'hui divulgués au grand public
Tandis que des stades des méditations graduelles à commencer par la méditation sur la mort
Même les noms n'existent plus.
"[3]
Tout ceci se passe bien avant que Gampopa diffuse à son tour la "Mahāmudrā". Le Samādhirāja sūtra sera d'ailleurs de nouveau utilisé plus tard pour authentifier Gampopa et sa Mahāmudrā. Tout comme cette dernière s'appuie sur le Samādhirāja sūtra, Gampopa sera considéré comme le jeune bodhisattva Candraprabha kumāra (T. zla 'od gzhon nu) qui l'avait reçu du Bouddha.

***
Image : géshé Potowa

[1] Blue Annals, p. 268-269. Deb sngon p. 240
[2] Mind Training, The gReat Collection, Thubten jinpa p. 7, Cette lettre se trouve en entier dans "Treasury of Gems de Yeshé Döndrup (p169)
[3] Il s'agit sans doute des instructions que Gampopa donne dans son Introduction au sens ultime des représentations, autrement dit les instructions de géshé lcar ri ba pour valoriser les représentations (rtog pa lam du kyer bas rtog med 'char)