jeudi 9 avril 2015

Dieu ou la vertu...



[Le néo-platonicien] Porphyre [234 – 305 ?] décrit les vertus « civiles » (ou « politiques ») de la manière suivante :
« Les vertus du politique reposent sur la metriopatheia ; elles consistent à suivre les principes rationnels du devoir dans les activités. C’est pourquoi elles sont appelées « politiques » par le fait qu’elles se rapportent à la vie en groupe et en communauté, puisqu’elles visent à une vie en commun qui ne nuise pas à autrui. Et dans ce cas, la prudence se trouve dans la partie de l’âme qui raisonne, le courage dans la partie « irascible » de l’âme, la tempérance dans un accord et une harmonie entre la partie « concupiscible » et la partie rationnelle de l’âme, la justice enfin dans le fait que toutes ces parties accomplissent leurs tâches propres. [...] La disposition fondamentale qui correspond à ces vertus a pour fin de vivre comme homme selon la nature. »[1]
On relève le sens de « vertus politiques ». « Politiques », car elles se rapportent à la vie en groupe et en communauté, et « vertus » puisqu’elles visent à une vie en commun qui ne nuise pas à autrui. Dans ce sens, le bouddhisme de Nāgārjuna et de Śantideva est « politique » et prône des vertus politiques.

Ces vertus néo-platoniciennes (cardinales) sont au nombre de quatre : prudence, courage, tempérance et justice. Les définitions de Prophyre sont intéressantes.

Prudence : « le fait de ne pas se conformer au corps dans ses jugements, mais d’exercer seul son activité propre, constitue la prudence, réalisée par l’acte de penser d’une manière pure. fait de ne pas s’associer aux passions du corps constitue la tempérance ».
Tempérance : « le fait de ne pas s’associer aux passions du corps ».
Courage : « le fait de ne pas craindre de tomber en quelque sorte dans une espèce de vide et dans le néant, pour l’âme séparée du corps ».
Justice : « elle est réalisée lorsque la raison et l’intellect dominent et que rien ne s’oppose. ».

Accessoirement, ce passage nous apprend que l'âme a une partie rationnelle, une partie concupiscible et une partie irascible, auxquelles correspondent des vertus respectives. la quatrième vertu étant commune aux trois. Cela évoque les trois guṇa.

« La disposition fondamentale qui correspond à ces vertus se voit dans l’apatheia, dont la fin est la ressemblance avec Dieu. » (I&P Hadot)

L’apatheia est quelquefois traduit par « impassibilité » ou « absence de passions ». On pourrait peut-être comparer cette vertu magistrale à l’équanimité bouddhiste, ou l’absence de kleśa, donc une attitude dépassionnée (akliṣṭa-buddhyā). Et l’affirmation de vertus qui ont pour fin « la ressemblance avec Dieu » me font penser aux quatre « états divins » (brahmavihāra), qui sont également quatre « vertus politiques », à savoir la bienveillance (maitrī), la compassion (karunā), la joie altruiste (muditā) et l’équanimité (upeksā). Elles sont aussi connues sous le nom de quatre incommensurables (apramāna). Ces quatre vertus constituent la voie, enseignée par le Bouddha au jeune brāhmane Vāseṭṭha, conduisant à l'état d'union avec Brahmā.

Ces quatre vertus appliquées « politiquement » au sein d’une communauté contribueront sans doute à une meilleure harmonie. Plutôt que de chercher à s’unir à un « Dieu » hypothétique dans les cieux ou au-delà, et après la mort « de l'enveloppe physique »..., ces vertus pratiquées au niveau d’une communauté/société auraient de tels bénéfices, que ce serait comme si « Dieu » demeurait parmi nous. En cela, dans l’effet produit, ces vertus ressemblent certainement à Dieu.

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[1] Apprendre à philosopher dans l’Antiquité, Ilsetraut et Pierre Hadot, pp. 80-83

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