mardi 24 novembre 2015

La réintégration universelle de la contemplation du tathāgata


Dans un passage du manuscrit Dunhuang IOL Tib J 710, traduit et publié par Sam van Schaik dans Tibetan Zen, il est question de la contemplation du tathāgata (sct. tathāgataṃ dhyāna tib. de bzhin gshegs pa’i bsam gtan ch. rulai chan ou encore zuò chán, 坐禪). Cette contemplation (sct. dhyāna) est présentée dans le Sūtra de l’entrée à Laṅka, comme la quatrième et sans doute ultime contemplation. Shenhui (Chen-Houei 668-760), disciple de Huineng (Houei-Neng), aurait présenté la contemplation du tathāgata comme la seule contemplation authentique, tout en critiquant la « contemplation de la pureté ».[1]

On trouve également dans le Sūtra de l’entrée à Laṅka le terme « yoga universel » ou « grand yoga » (sct. mahāyoga tib. rnal ‘byor chen po, que je traduis par réintégration universelle) ainsi que le terme « adepte de la réintégration universelle » (sct. mahāyogayogin). Dans le passage du manuscrit Dunhuang IOL Tib J 710, ces deux termes, « contemplation du tathāgata » et « yoga universel » (sct. mahāyoga) sont considérés comme des synonymes.

Voici deux passages traduits en français par mes soins.

« Tout comme un homme très riche empêche les voleurs de pénétrer chez lui, tout comme un grand vent chasse les nombreux cumulus, les concepts erronés doivent être sans cesse être diminués et réduits. Celui qui entre dans la réintégration universelle (sct. mahāyoga) fait l’expérience directe de l’essence de la pensée qui est par nature libre d’engendrement et de corruption. Si l’on comprend que ces deux concepts erronés [d’engendrement et de corruption] ne sont que de simples réalités nominales, quel besoin de faire quoi que ce soit à l’aide d’autres concepts ? [A cet égard], la pensée ne s’entraîne pas graduellement, mais simultanément.

Les auditeurs bien disposés s’appuient sur des méthodes particularisantes, où l’on [fixe[2]] des squelettes ou des corps en décomposition. Les bodhisattvas s’appuient sur des méthodes non particularisantes, telles les trois portes de la libération.[3] Ils neutralisent toutes les particularités par un seul remède, mais n’arrivent pas à se débarrasser de celui-ci. En revanche, ceux qui entrent dans la réintégration universelle du tathāgata subordonnent tout à la connaissance salutaire (sct. jñāna) et ne se fondent pas sur les notions (sct. samjñā), qui sont semblables à des mirages, et ne génèrent donc pas de dharma imaginés (sct. parikalpita-dharma). Comme ils ne sont pas générés, ils ne sont pas non plus détruits.

Pour donner un exemple, la connaissance salutaire d’un auditeur ou d’un bouddha-par-soi est comme un miroir dans un étui. Celle d’un bodhisattva comme un miroir dans un filet et celle d’un éveillé comme un miroir sans aucun étui. Rien ne la perturbe, elle n’est obscurcie par rien, même par le recueillement (sct. samādhi), et ses qualités inhérentes se déploient sans fin dans l’intérêt de tous. » [4]

Autre extrait ;

« Dans l’entraînement simultané, toutes les apparences à l’extérieur sont reconnues comme étant la pensée. Et la pensée à l’intérieur consiste en des concepts imaginaires qui ne sont que des réalités nominales. Quand on a appris que les apparences et la pensée sont sans substance, on peut les transformer en vacuité. Ce qui ne veut pas dire que rien n’existe. l’Éveillé qui est la nature des phénomènes (sct. dharmatā) dépasse l’engendrement et la corruption et se connaît lui-même de façon immuable. [Cette autoconnaissance] s’étend simultanément de l’intérieur à toutes les apparences à l’extérieur. Elle est irréversible et ne déclinera pas.

De ce fait, si elle est faible, les idiots s’en saisissent en l’appréhendant par des particularités erronées[5] qu’ils conçoivent comme le mahāparinirvāṇa. La pensée (sct. citta) et les événements mentaux (sct. caitta) sont alors préjudiciables, car ils ne sont pas conformes à la réalité de l’adepte de la réintégration universelle. La contemplation du tathāgata sublime toutes les représentations (sct. kalpana) sans concevoir l’existence ou la non-existence des particularités, en s’appuyant sur l’expérience directe (sct. vidyājñāna), libre d’imprégnations résiduelles (sct. vāsanā). La grâce de l’Éveillé n’est pas progressive comme la croissance de la végétation ou le développement d’une mélodie, mais simultanée comme les reflets d’objets dans un miroir ou comme le soleil éclairant le monde dès qu’il se lève. Elle éclipse instamment toutes les imprégnations résiduelles. Cela est expliqué dans toutes les écritures. »[6]

***

[1] Source : Chronique sur le trésor de la Loi (Lidai fabao ji, 歷代法寶記), composé entre 774 et 779. Manuscrit retrouvé à Dunhuang (Pelliot 2125 et Stein 1635). Il s’agit d’un texte qui doit mettre en exergue les enseignements de Wuzhu (714-774), le fondateur de l’école Bao Tang de Sichuan.

[2] 'jig tsogs la lta ba = view of a transitory collection

[3] Sct. vimokṣamukham tib. rnam thar sgo gsum) : vacuité (śūnyatā), absence de particularités (animitta) et l'absence d'objectif (apranihita). Les absorptions des trois portes de la libération correspondent aux seize aspects des quatre vérités. (Vasubandhu, Lopez, p. 89)

[4] nor bdag chen po'i dung tu rkun pos myi chud pa dang rlung che pos sprin gyi chogs mang po gtor ba bzhin tu phyi na ci log gi rtog pa yang nas yang nas yang tu nyung zhing 'bri bar 'gyur ro// rnal 'byor chen po la 'jug pas//sems gyi ngo bo nyid rang bzhin gyis myi skye myi 'gog par rang gis rig ste// rtog pa 'di dag khrul pas brtags tsam du shes na// rtog pa'i lhag mas ji zhig byas te// sems rims gyis myi sbyong gi cig car sbyong ngo//

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[5] Car incomplètes ou partielles.

[6] cig car sbyong ba ni phyi rol gyi snang ba thams cad sems tsam du shes// nang gi sems log pa'i rtog pas brtags pa tsam du zad gyi// dngos po myed par mkhas nas de gnyis stong pa nyid du byas kyang/ / thams cad gyi thams cad du myed pa ma yin te// chos nyid gyi sangs rgyas ni skye ba dang 'gog pa las 'das pha myi 'gyur nyid du rang gis rig pa ni nang nas phyi rol gyi snang ba thams cad cig car sbyong bas na phyir myi ldog ste/ myar ba yin no// de lta bas na chung du na glen ba gang gis dmyigs pa'i log pa'i mtshan ma nas bzung ste// mya ngan las 'das pa chen po'i bar du spyir bsam nas// sems dang sems las byung ba'i chos thams cad skyon te// rnal 'byor chen po pa'i don ma yin no// de bzhin gshegs pa'i bsam gtan ni mtshan ma yod pa dang/ myed pa'i thabs la myi rtog par rtog pa thams cad zil gyignon pa 'phags par gis rig pa'i ye shes gyi rjesu 'gro bste gnas ngan pa'i bag chags dang/ bral ba / sangs rgyas gyi byin kyis brlabs pa la 'jig rten gyi rtsi shing skye ba dang rol mo rgyud sbyar bltar rims kyis ma yin gyi// mye long gi ngos gyi gzugs brnyan dang nyi ma'i dkyil 'khor 'dzam bu gling du snga phyi myed par 'char ba ltar bag chags cig char sbyong ba yod do zhes/ / lung kun las kyang gsungs pa yin te/

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