mardi 17 novembre 2015

Identité et violence


Les événements du 13 novembre à Paris sont en train de créer des nouvelles lignes de partage. Il y a une tendance à (re)serrer les rangs, à se rabattre sur le connu. Cela se traduit par des replis identitaires d’ordre différent. Comme le souligne Amartya Sen dans Identité et violence, nous ne sommes pas seulement citoyen d'un pays, membre d'une religion, homme ou femme, travailleur, chômeur ou sans emploi, nous sommes aussi urbain ou citadin, riche ou pauvre, etc. Et c'est ce complexe d'identités qui définit la singularité de chacun de nous.[1] Notre véritable identité est multiple. C’est lorsque nous choisissons d’adhérer à une seule de ces identités ou de la considérer prioritaire à toutes les autres, qu’elle peut devenir un facteur de violence.
« Violence is fomented by the imposition of singular and belligerent identities on gullible people, championed by proficient artisans of terror. »
Sen montre qu’une telle identité dominante est une question de choix et non de simple « découverte », contrairement à ce que veulent faire croire les penseurs communautaristes, comme s’il s’agissait d’un attribut naturel. Nous choisissons nos loyautés et priorités[2].

Si une appartenance identitaire requiert de nous, que nous sacrifions d’autres identités, elle ne respecte pas notre identité multiple, qui est véritablement naturelle, et elle irait également à l’encontre de notre intelligence, qui est tout aussi naturelle.
« La foi consiste à croire ce que l’entendement ne saurait croire; et c'est en cela qu’est le mérite.
Mais, monsieur, en étant persuadés, par la foi des choses qui paraissaient absurdes à notre intelligence, c'est-à-dire en croyant ce que nous ne croyons pas, gardons-nous de faire ce sacrifice de notre raison dans la conduite de la vie.
Il y a eu des gens qui ont dit autrefois : Vous croyez des choses incompréhensibles, contradictoires, impossibles, parce que nous l’avons ordonné; faites donc des choses injustes parce que nous vous l’ordonnons. Ces gens-là raisonnaient à merveille. Certainement qui est en droit de vous rendre absurde, est en droit de vous rendre injuste. Si vous n’opposez point aux ordres de croire l'impossible, l'intelligence que Dieu a mise dans votre esprit, vous ne devez point opposer aux ordres de malfaire, la justice que Dieu a mise dans votre cœur. Une faculté de votre âme étant une fois tyrannisée, toutes les autres facultés doivent l’être également. Et c’est là ce qui a produit tous les crimes religieux dont la terre a été inondée
. »
Voltaire, Questions sur les miracles
Si une de nos appartenances identitaires requiert donc de nous de renoncer à d’autres identités ou à notre intelligence, il serait prudent de s’en méfier.

***

[1] Denis Clerc, Alternatives Economiques n° 260 - juillet 2007

[2] « Many communitarian thinkers tend to argue that a dominant communal identity is only a matter of self-realization, not of choice. It is, however, hard to believe that a person really has no choice in deciding what relative importance to attach to the various groups to which he or she belongs, and that she must just “discover” her identities, as if it were a purely natural phenomenon (like determining whether it is day or night). In fact, we are all constantly making choices, if only implicitly, about the priorities tobe attached to our different affiliations and associations. The freedom to determine our loyalties and priorities between the different groups to all of which we may belong is a peculiarly important liberty which we have reason to recognize, value, and defend. »

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