dimanche 16 avril 2017

Le sens d'équité est "inné" aussi


Ce que ressentent les animaux, Arte (vers 42:50)
Nous voyons depuis quelque temps beaucoup de publications sur des études scientifiques relatives à la présence naturelle de l’altruisme et de la compassion chez les enfants et les animaux. Le moine bouddhiste Matthieu Ricard a même écrit un plaidoyer pour l’altruisme, qui serait ce dont notre siècle aura besoin pour résoudre des problèmes de différent ordre (sociologique, écologique, économique…) « la pensée du XXIe siècle ».

Des études (dites d’équité)[1] plus récentes du primatologiste Frans de Waal, Sarah Brosnan, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig et de l’université Emory d’Atlanta montrent que le sens d’équité et de justice serait également « inné » dans certains mammifères (primats, éléphants, chiens, singes capucins…).

Les problèmes que Matthieu Ricard (voir article ci-dessus) présente comme pouvant être résolus par d’avantage d’altruisme, de compassion, voire de « care », pourraient également être résolus, et peut-être parfois même en amont, par plus d'équité. En évitant les inégalités créées par le système, certaines inégalités demandant réparation par « l’altruisme, la compassion et le care » n’apparaîtraient même pas et n’auraient pas besoin d’être réparées. Les inégalités sont souvent à l’origine d’un sentiment d’impuissance, d’abattement, de dépression, de ressentiment et de violence. Les inégalités sont productrices d’ « émotions perturbatrices » (kleśa) au niveau de la société, et ces émotions perturbatrices d’actes négatifs.

En fait, on peut considérer l’altruisme comme un dérivé du sens d’équité. Dans le cadre de l’étude d’équité et en cas de partage inégal, plusieurs réactions sont possibles transposées au niveau humain. Celui de l’individu avantagé : joie, éventuellement la notion que ce qui lui arrive lui est dû, et qu’il le mérite, voire que l’autre a démérité. Celui de l’individu désavantagé : déception, tristesse, abattement, colère, jalousie, dépression, la notion d’avoir démérité, de ne pas être à la hauteur… Mais un individu avantagé « au cœur noble » pourrait voir l’inéquité ou l’injustice de la situation, voir la souffrance qu’elle provoque chez l’autre, et vouloir réparer cette injustice, en donnant un peu du trop reçu pour compenser ce que l’autre a reçu en moins. Par altruisme, par compassion, par care… Peut-être aussi par un certain sens d’héroisme ("héros de l'éveil").

Vu d’une certaine distance, celle du scientifique[2], on sait qu’il y a une inéquité, une inégalité organisée, et que cette inégalité affecte autant l’individu désavantagé que l’individu avantagé même si ce dernier a « un noble cœur ». Certes, il peut laisser parler ce « noble cœur » et exprimer la compassion, l’altruisme, le care, et même le « développer » en le « pratiquant ». Mais si les véritables causes des inégalités perdurent et restent intact, le sens d’inéquité inné continuera à perturber la paix des uns et des autres par des émotions perturbatrices au niveau sociétal. Fierté et sens de mérite d’un côté, jalousie et sens de démérite de l’autre.
« Puissent tous les êtres posséder le bonheur et les causes du bonheur.
Puissent-ils tous être séparés de la souffrance et des causes de la souffrance.
Puissent-ils ne jamais quitter la grande félicité dépourvue de toute souffrance.
Puissent tous les êtres résider en la grande équanimité, dépourvue de toute aversion et de toute inclination partiales
. »
***

A revoir pendant 28 jours sur Arte : Ce que ressentent les animaux de Gabi Schlag, 2015, ZDF

Les chiens ayant subi des inégalités pendant une étude d'équité font grève... ("Hunde streiken bei ungerechter Behandlung" article en allemand)

[1] Frans de Waal (TED) « 12:54 Ce que nous avons fait c'est mettre deux capucins l'un à côté de l'autre. Encore une fois, ces animaux vivent en groupes, ils se connaissent. Nous les sortons du groupe, nous les mettons dans une pièce test.Et ils doivent accomplir une tache très simple. Et si vous leur donnez à tous les deux du concombre comme récompense, les deux singes sont l'un à côté de l'autre, ils sont parfaitement capables de le faire 25 fois de suite. Donc le concombre, même si à mon avis ce n'est que de l'eau, mais le concombre est parfait pour eux. Si vous donnez au partenaire du raisin — les préférences de mes capucins pour la nourriture correspondent exactement aux prix du supermarché — si vous leurs donnez du raisin — une bien meilleure nourriture — vous créez de l'iniquité entre eux. Voici donc l'expérience que nous avons faite.

13:37Récemment nous l'avons enregistrée avec de nouveaux singes qui n'avaient jamais accompli la tâche, en pensant qu'ils auraient peut-être eu une réaction plus forte, ce qui c'est avéré être vrai. Le singe sur la gauche est celui qui reçoit du concombre. Celui sur la droite est celui qui reçoit du raisin. Celui qui reçoit du concombre, veuillez remarquer que le premier morceau de concombre est parfait. Le premier morceau qu'il mange. Ensuite il voit l'autre qui obtient du raisin, et vous allez voir ce qui va se passer. Il nous donne un caillou. C'est la tâche. Et nous lui donnons un morceau de concombre et il le mange.L'autre doit nous donner un caillou. Et c'est ce qu'il fait. Il obtient du raisin et il le mange. L'autre voit ça.Il nous donne maintenant un caillou, il obtient à nouveau du concombre. (Rires) Il essaye un caillou contre le mur. Il doit nous le donner. Il obtient du concombre encore une fois. (Rires) En fait ce que vous voyez c'est en gros la manifestation de Wall Street. » Frans de Waal : Le comportement moral des animaux




[2] Du magicien qui sait qu’il s’agit d’un effet magique, comme diraient les textes bouddhistes.

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