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Methodist Camp Meeting 1819 |
Le
sociologue Pierre Prades (élève d’Alain Caillé) avait présenté sa thèse “De la
conversion à la guérison Puritanisme, psychothérapies, développement personnel”
en 2013. Il en avait fait un livre, publié en 2014, sous le titre “De la
sainteté à la santé. Puritanisme, psychothérapies, développement personnel”
(Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « La bibliothèque du MAUSS », 2014, 535 p.,
ISBN : 978-2-35687-339-2). Il a également publié une série d’articles « Y croire. » Retour sur l’« efficacité symbolique » et
Ses
recherches permettent aussi d’éclairer certains aspects de l’émergence et l’évolution du
phénomène de la “méditation” en général et de la pleine conscience en
particulier. Quoiqu’il en soit, il est vraisemblable que ce phénomène ait indirectement des origines puritaines.
Dans ces
publications, Prades montre l’influence du puritanisme sur la psychothérapie,
et, partant, sur les différentes formes du développement de soi. C’est le
psychologue américain William James qui avait fait la jonction notamment en
désécularisant/rationalisant l’« expérience religieuse » en « expérience
thérapeutique ». Pour en donner la preuve, Prades remonte à la théologie de “l’Alliance de grâce” (Covenant of Grace), propagée en
Angleterre par William
Perkins et William Ames,
qui prend le contre-pied de “l’Alliance des oeuvres” et qui servait de principe de
conversion aux puritains. On trouve sa première formulation dans la Confession de Westminster (The Westminster Confession of Faith) des
principaux théologiens anglais et écossais (1646).
“Le
chapitre VII traite de « l’Alliance de Dieu avec l’homme » (Of God’s Covenant
with Man). En voici les points essentiels :
« 1. La distance entre Dieu et la créature est si grande que les êtres doués de
raison, bien qu’ils lui doivent obéissance puisqu’il est leur Créateur, n’auraient
cependant jamais trouvé en lui leur bonheur et leur récompense s’il ne lui
avait plu de les leur accorder par le moyen d’une alliance.
2. La première alliance conclue avec l’homme a été une alliance des œuvres
(Covenant of works), dans laquelle la vie a été promise à Adam, et en lui à sa
postérité, sous la condition d’une obéissance parfaite et personnelle.
3. L’homme, par la chute, s’étant rendu incapable de vivre par cette alliance,
le Seigneur a bien voulu en conclure une seconde, généralement nommée “l’Alliance
de grâce” (Covenant of Grace). Dans cette Alliance, il offre gratuitement aux
pécheurs la vie et le salut par Jésus-Christ, requérant d’eux la foi en
celui-ci afin d’être sauvés, et il promet de donner son Saint Esprit à tous
ceux qui sont destinés à la vie, afin de les rendre désireux et capables de
croire.
4. Cette Alliance de grâce est fréquemment désignée dans l’Écriture par le nom
de Testament, en référence à la mort de Jésus-Christ, le Testateur, et à l’héritage
éternel qu’il lègue avec tous les biens qui le composent. » (Y croire).
C’est
uniquement par la grâce (Sola Gratia), que l’on peut entrer dans l’Alliance.
Après la chute d’Adam, l’Alliance des oeuvres n’étant plus possible, c’est
désormais uniquement la foi (Sola Fide) qui permet la conversion. C’est la
Révélation (écritures, Sola Scriptura) qui seule permet d’accéder au Salut. Ni
la raison, ni les sacrements (contrairement au catholicisme) en sont capables.
Voici les principes de l’Alliance de grâce, qui, selon Prades, a contribué à la
psychothérapie moderne à travers des interprétations successives.
Pour
Prades, sa contribution à la “guérison mentale” (mind-cure), apparue vers le
milieu du XIXème siècle aux Etats-Unis, s’est développée selon deux axes : le “calvinisme
sentimental”
du pasteur américain Jonathan Edwards et le méthodisme du prêtre anglican
britannique John Wesley.
Prades
résume l’évolution du puritanisme en cinq “dynamiques”. L’opposition du salut
par la grâce en opposition au salut (catholique) par les oeuvres (sacrements)
(1). La grâce qui sauve est accordée par Dieu, mais comme la foi dépend aussi
du croyant, c’est la foi qui devient la voie (2). “Y croire” vraiment, ce n’est
pas uniquement croire par l’esprit, mais aussi par le coeur et le corps
(sentiments et affects/émotions) (3). La voie (plus tard l’efficacité des
psychothérapies) devient une “réarticulation du sentir, du penser et du vouloir”.
Cette réarticulation n’est pas une affaire individuelle et passe par un
engagement dans la société (une Alliance entre hommes - Social Covenant) (4).
Le volontarisme optimiste (> optimisme thérapeutique) opposé au calvinisme
pessimiste (5).
La “guérison
psychique” qui résulte de cette voie ressemble à une “seconde naissance”
(Revivalisme).
“William
James explique que le catholicisme est bien adapté aux âmes optimistes, aux
healthy-minded et aux once born qui n’ont pas trop de problèmes. Aux sick
souls, en revanche, il faut des remèdes plus forts, ceux qui produiront les
twice born ; Pour ceux-là, toute guérison psychique ressemble à une seconde naissance.”
(Y croire)
La
dynamique volontariste-optimiste de l’Alliance pratiquée par les puritains de
la Nouvelle Angleterre a ainsi eu deux sorties (deux Réveils). Le
Perfectionnement de soi (1), “
premier jalon de l’évolution du protestantisme
libéral vers une éthique thérapeutique” (autour de 1740). “
La conversion du cœur
comme expérience émotionnelle de transformation de soi", à l’origine de la
tradition du «
revivalisme », “l’émotionalisme” (entre 1800 et 1850) (2).
Le
Perfectionnement de soi, qui peut-être considérée comme une recherche de “guérison”,
voire d’une “seconde naissance” avait reçu une impulsion “émotionaliste”
(Edwards et Wesley) au milieu du XIXème siècle, et se transforma par la suite
proprement en “Revivalisme”. Les “revivals” étaient “des expériences
individuelles et collectives de conversion publique, notamment lors de grands
festivals religieux, les camp meetings.” (voir l'illustration ci-dessus)
“Le
revivalisme peut être considéré comme une technologie de mobilisation des
affects, en groupe et individuellement, pour promouvoir une adhésion
volontaire, un acte de foi.” (Y croire).
Cette
tradition a nourri les diverses méthodes de “mind cures” ou guérisons
psychiques, qui allaient influencer les psychothérapies des deux rives de l’Atlantique.
Les deux Réveils ci-dessus ont eu lieu dans un cadre de “sécularisation”/”rationalisation”
(ou encore “déconversion”) progressives. Prades, en suivant Henri Ellenberger, donne l’exemple
de la transformation de “l’âme” en “psyché”.
“Dans le
cours de la « sécularisation » des sociétés européennes et nordaméricaines, un
processus de naturalisation-rationalisation a transformé l’âme en psychè : à la
grâce transmise par l’action du pneuma, le souffle divin, se sont substitués,
selon l’esprit du temps, le magnétisme animal puis l’hypnose, puis des modèles
« psychodynamiques », c’est-à-dire fondés sur la dynamique interne des
phénomènes psychiques, plus précisément sur le pouvoir moteur des
représentations mentales.” (Y croire)
C’est cette
évolution qui permet à Caillé et à Prades de parler d’une transformation de
conversion en guérison, de sainteté en santé, et d’une quasi-religion : “
la
religion séculière de l’individu”
, qui continue néanmoins de
se servir des ressorts de l’efficacité symbolique des religions qui les ont
inspirés. Prades tente d’établir les modalités du “
cercle vertueux de la foi
thérapeutique”. Il faut avoir le désir de guérir, croire en sa capacité de
guérir, et croire en les capacités du thérapeute. La foi doit être à la fois
corporel, affectif et intellectuel. Il faut réunir le “croire que”, le “croire
à”, et le “croire en”. Il faut “y croire” et le ressentir. Tant que “le corps” “ne
le sent pas”, rien ne peut changer. Il faut être “enthousiaste”
et “excited”...
La foi se
rapporte à l’efficacité symbolique, d’un système symbolique (culture) qui donne une
transcendance à nos buts de vie. “The sky is the limit.”
“Toutes les
cultures ont une fonction thérapeutique, dans la mesure où elles sont des
systèmes d’intégration symbolique, de type religieux, philosophique,
idéologique ou autre. Cette fonction thérapeutique consiste à « préserver un
certain niveau d’adéquation dans le fonctionnement social de l’individu, et à
prévenir son effondrement psychologique ».”
Une
idéologie
est un système symbolique.
Le niveau d’adéquation d’un individu se rapporte aussi au système symbolique,
ou à l’idéologie. Si un individu est “inadéquate” ou autrement en “non-santé”
par rapport au système symbolique, un thérapeute pourrait aider à le guérir ou
le perfectionner, à condition que le patient “y croie”. Non au système
symbolique dans son ensemble, mais, selon Prades, aux représentations que le
thérapeute/tradipracticien partagera avec le patient, et qui agiront “sur le
corps et l’âme en mobilisant affects et sensations si elles sont mobilisées
dans un cadre rituel approprié” (Y croire). Prades rappelle (Norbert Elias) que
les conflits se jouant autrefois entre les individus et les autres se sont
progressivement intériorisées et se passent désormais plutôt entre la
représentation qu’a un individu de lui-même et sa représentation des autres.
Les deux types de conflit doivent donc être formulés, pensés et résolus dans un
même discours cohérent. Ce n’est cependant pas intellectuellement et discursivement
que le conflit est résolu. Tant que de nouvelles sensations et de nouveau
sentiments ne s’y attachent, le conflit restera en place. C’est le transfert
qui servira de levier. Il semblerait que le transfert soit même le principe
actif des
thérapies cognitivo-comportementales (TCC), qui déterminerait leur “efficacité
symbolique”.
Même les thérapies TCC qui se veulent
davantage scientifiques seraient donc redevables à des principes actifs “quasi-religieux”...
Pour les détails voir l’article de Pierre Prades.
On voit
bien qu’il existe des points communs (“principes actifs”) entre les thérapies,,
y compris les thérapies neurologiques et cognitivo-comportementales, qui
veulent “guérir par l’esprit” et le discours symbolique. En tant qu’êtres
sociaux conscients nous sommes condamnés à vivre en société dans des systèmes
symboliques ou des idéologies. Ces systèmes ont pu être plus ou moins
sécularisés, rationalisés, “déconvertis”, même si le religieux refoulé peut
avoir des retours inattendus, mais ils peuvent véhiculer des éléments
religieux, philosophiques, dualistes (esprit-corps, ciel-terre ...) anciens. “Derrière
une couche symbolique, on trouvera encore d’autres couches symboliques”
(Ricoeur), et quand une tradition véhicule différentes couches symboliques dans
ses discours, rituels, imaginaire … leur influence perdure. L’idéologie a une
fonction d’intégration symbolique qui est constitutive de tout groupe social
selon Ricoeur.
Selon le
marxisme, les systèmes symboliques et les idéologies peuvent être de type
dominant, faisant partie intégrante de la domination. L’idéologie est une
superstructure, qui pour exister ne peut que se développer sur une
infrastructure. Cette superstructure peut se modifier et ne constitue pas d’ordre
idéal éternel comme chez Jung et sa théorie des archétypes. Nous retrouvons ici
un peu les termes du débat entre Platon (“spiritualiste”) et les “matérialistes”
dans Les Lois.
« Tout
d'abord mon bienheureux ami, ils prétendent que les dieux n'existent point par
nature, mais par art et en vertu de certaines lois, et que ces dieux diffèrent
suivant que chaque peuple s'est entendu avec lui-même pour les imposer dans sa
législation ; que la morale aussi est autre suivant la nature, et autre suivant
la loi ; que la justice non plus n'existe pas du tout par nature, mais que les
hommes sont toujours en contestation à son sujet et y font des changements
continuels, et que les dispositions nouvelles qu'il ont adoptées s'imposent
aussitôt avec l'autorité qu'elles tiennent de l'art et des lois, et non de la
nature. Voilà, mes amis, ce que nos sages débitent à la jeunesse, soutenant que
les prescriptions que le vainqueur impose par violence sont d'une justice
parfaite. De là les impiétés qu'on voit chez les jeunes gens, quand ils pensent
que les dieux ne sont pas tels qu'ils doivent se les représenter pour obéir à
la loi ; de là les séditions, parce qu'ils sont attirés vers une vie conforme à
la nature et qui consiste à dominer véritablement les autres et à ne point les
servir conformément à la loi. » Les Lois, traduction d'Emile Chambry
Pour
Platon, «
l’âme commande et le corps obéit ». Dans une idéologie dualiste et
avec des discours symboliques dualistes, il est difficile de poser les termes
du débat autrement.
On semble donc condamné à faire avec les oppositions “matérialisme” et “spiritualisme”,
“infrastructure” et “superstructure”, où la superstructure commande et l’infrastructure
obéit… Il faudrait donc partir du principe (a priori) que la superstructure (l’idéologie,
le système symbolique …) n’est pas un ordre idéal éternel, mais peut se
modifier, un biais que les spiritualistes taxeront sans doute de matérialiste.
Mais comme de plus en plus de religions et spiritualités déclarent aimer la
science, et même d’avoir précédé certaines théories scientifiques dans leurs
doctrines, cela pourrait être acceptable. Ne serait-ce que pour la discussion
sur l’adaptabilité des systèmes symboliques.
***
[1] Nommé ainsi en opposition du calvinisme ascétique.
[2] Le développement personnel est « la foi des sans foi » selon Christopher Lasch.
[3] “Le mot enthousiasme (du grec ancien : ἐνθουσιασμός enthousiasmós) signifiait à l'origine inspiration ou possession par le divin ou par la présence d'un dieu ; le terme sous-entend une communication divine.”
Wikipedia [4] “Toutes les cultures sont des systèmes symboliques basés sur un équilibre entre interdiction et rémission, exigence et relâchement.” Philip Rieff,
The Triumph of The Therapeutic “Système de signes. La langue, la peinture, la musique, les langages non-verbaux sont des systèmes symboliques. Une culture est formée des systèmes symboliques propre à une société donnée.”
source [5] Thèse Pierre Prades,
De la conversion à la guérison, p. 36, citant Philip Rieff, The Triumph of The Therapeutic.
[6] “Lorsque Ricœur parle à cet effet de « fonction positive de l’idéologie », il se place dans une perspective anthropologique, proche de celle de Cl. Geertz. Il s’agit de penser l’idéologie comme un ensemble de médiations symboliques par lesquelles se structure la réalité sociale et politique. Ce qu’il y a de « positif » ici n’est autre que la nécessité pour tout groupe de recourir à ces médiations (mythes, légendes, récits historiques, valeurs structurantes…) pour se fabriquer une identité collective, pour se mettre en scène, pour se raconter. Le tort finalement de Marx et des marxistes, selon lui, est de prétendre accéder à une « réalité à nu », à une pure praxis désymbolisée. Or il ressort des analyses anthropologiques que « l’action est immédiatement réglée par des formes culturelles, qui procurent matrices et cadres pour l’organisation de processus sociaux ou psychologiques, de la même manière peut-être que les codes génétiques … procurent de tels cadres pour les processus organiques ».
C’est pourquoi il est sans doute illusoire de vouloir démasquer derrière un système symbolique une réalité qui ne le serait pas : derrière une couche symbolique, on trouvera encore d’autres couches symboliques. Ainsi la fonction négative, dissimulatrice de l’idéologie, au sens marxiste, ne peut-elle prendre sens que sur fond d’une fonction plus primitive, constitutive de tout groupe social, une fonction d’intégration symbolique : « Si l’on n’accorde pas que la vie sociale a une structure symbolique, il n’y a aucun moyen de comprendre comment nous vivons, faisons des choses et projetons ces activités dans des idées, pas le moyen de comprendre comment la réalité peut devenir une idée ou comment la vie réelle peut produire des illusions ; elles ne seront toutes que des événements mystiques et incompréhensibles. Cette structure symbolique peut être pervertie, précisément par des intérêts de classe etc., comme l’a montré Marx, mais s’il n’y avait pas une fonction symbolique déjà à l’œuvre dans l’action la plus primitive, je ne pourrais pas comprendre, pour ma part, comment la réalité pourrait produire des ombres de cette sorte ». Reste à savoir ce qui permet d’affirmer qu’un système symbolique devient distordant, dès lors que l’accès à la « réalité à nu » est déclaré illusoire par Ricœur.”
Le paradoxe de l'idéologie revisité par Paul Ricœur, Johann Michel, Dans Raisons politiques 2003/3 (no 11), pages 149 à 172
[7] Jonathan Shedler, The Efficacy of Psychodynamic Psychotherapy paru en février-mars 2010 dans The American Psychologist.
[8] "Je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler : car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies…"
Montaigne, Apologie de Raymond de Sebonde