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mardi 22 décembre 2015

Le dzogchen, atiyoga, est-il non-théiste ?



« Le dzogchen, ati yoga, n'est-il pas ce bouddhisme non theiste ? »

Cela dépend de chacun je suppose. Comme on dit que « hīnayāna » et « mahāyāna » ne sont pas une appartenance ou une affiliation, mais dépendent plutôt de notre motivation et pratique concrètes.

Il semblerait en effet qu’il y ait eu une brève période d’atiyoga comme un véhicule indépendant à partir de Nub Sangyé Yeshé (IX-Xème s.) jusqu’au retour en force du théisme/yoga au XIIème siècle. J’aime rappeler l’anecdote de l’hagiographie de Réchungpa, pour montrer que l’on reprocha au dzogchen/atiyoga d’être non-théiste, donc incapable de conduire aux siddhi.

Selon van Schaik, l’atiyoga était associé initialement à la réintégration du divin (devatāyoga), pas comme un véhicule indépendant, mais comme une des trois phases du devatāyoga : génération, perfection et grande perfection (ou encore yoga, anuyoga et atiyoga). Le mot « yoga » en soi est d’ailleurs une indication théiste, même si le devatā du yoga est un devatā de support. Faut-il passer par le devatāyoga/le théisme pour aboutir à la pleine expérience de la nature véritable (tib. bdag nyid kun tu myang byed na/ shin tu sbyor bas ‘grub par ‘gyur/) ? La nature véritable est-elle divine ? Pendant une période entre Nub Sangyé Yeshé (IX-Xème s.) et disons par exemple Gampopa (XIIème s.), on a pensé que non (sauf si divin est synonyme de naturel), bien que le devatāyoga était considérée comme une aide et un facteur de stimulation de « la voie de la connaissance ». Cela semblait aussi être le point de vue du « Zen tibétain », qui était cependant loin d’être dénué de rituels.

Mais à partir du XIIème siècle, l’atiyoga et la mahāmudrā, en tant que véhicules indépendants, furent réintégrés dans un cursus théiste/yoguique. Ils étaient bons pour la partie « sagesse » (sct. prajñā), mais pour la Science (sct. upāya) et les siddhis, il fallait quand-même une grâce différente, plutôt d’ordre divin. Dans le dzogchen actuel, l’aspect « prajñā » est bon pour déconstruire, pour faire une brèche dans l’illusion (tib. khregs chod), mais pour édifier les Corps formels d’un Bouddha/Dieu, il faut néanmoins se tourner vers les dieux/le Dieu (tib. thod brgal), dont la grâce passe par une transmission, et par le détenteur de cette transmission. Les approches théistes s’accompagnent d’ailleurs le plus souvent de toutes sortes de hiérarchies

Donc, pour faire court, non, je ne crois pas que le dzogchen/atiyoga, tel qu’il est enseigné et pratiqué de nos jours, soit un bouddhisme non-théiste. On dit que pour connaître les tours d’un prestidigitateur, il faut regarder ses mains. Peut-être en va-t-il de même pour les maîtres de dzogchen. À quoi passent-ils le plus gros de leur temps ?

Tel que je le vois, l’approche upāya avait permis au bouddhisme de s’implanter tout en réintégrant les pratiques théistes locales, et en les adaptant pour qu’elles puissent véhiculer la pensée du Bouddha. Mais une fois que l’on a accès à la pensée du Bouddha, pourquoi garder l’échelle ou le pont qui nous a aidé à traverser ? Si on a au départ une foi plutôt théiste, on pourrait peut-être bénéficier d’upāya théistes. Mais si on ne l’a pas, est-il nécessaire de « développer » d’abord artificiellement une foi théiste que l’on n’avait pas naturellement, afin que celle-ci puisse nous permettre de suivre une voie théiste, pour finalement nous conduire à prendre conscience de la nature véritable ? La même ( ?) nature véritable également accessible par d’autres voies contemplatives non théistes et (aussi) authentiquement bouddhistes ?

Mes interrogations partent d’un point de vue « occidental » et concernent le bouddhisme en occident. Et dans ce cadre, les thèses 5 et 6 de Stephen Batchelor me conviennent très bien.
5. Le dharma répond aux besoins des gens en fonction de l’époque et de la situation géographique. Chaque forme que prend le dharma est une création humaine transitoire, qui dépend des conditions historiques, culturelles, sociales et économiques qui l’ont généré.
6. Le pratiquant honore l’enseignement du dharma qui a été transmis par le biais des diverses traditions, tout en les appliquant de façon créative dans le monde d’aujourd’hui.

dimanche 10 juin 2012

Définitions et ruminations




Dualisme : "Système de croyance ou de pensée qui, dans un domaine déterminé, pose la coexistence de deux principes premiers, opposés et irréductibles". (Atilf)

Par exemple l'esprit/la pensée et la matière, le corps et l'âme, le sujet et l'objet, ... Les croire opposés, distincts et irréductibles, c'est déjà au départ les réifier, les transformer en choses.

Monisme : "Tout système philosophique qui considère l'ensemble des choses comme réductible à l'unité: soit au point de vue de leur substance, soit au point de vue des lois (ou logiques, ou physiques), par lesquelles elles sont régies, soit enfin au point de vue moral." (Atilf)

Il y a toujours deux principes co-existants, p.e.  le principe de l'intelligibilité et le principe de l'existence, mais ils peuvent être réunis et ramenés à une unité. On peut ensuite spéculer (ou pas) au sujet de cette unité, qui est une substance ou pas. Si la pensée est un épiphénomène de la matière, seule la matière existe réellement et le monisme est matérialiste. Ou bien la pensée préexiste dans la matière et le monisme est dit panthéiste. 

Panthéisme : "Doctrine philosophique ou religieuse qui, rejetant ou minimisant l'idée d'un dieu créateur et transcendant, identifie Dieu et l'univers, soit que le monde apparaisse comme une émanation nécessaire de Dieu (panthéisme stoïcien, panthéisme émanatiste des néo-platoniciens, philosophies de l'Inde, doctrine de Spinoza, etc.), soit que Dieu ne soit considéré que comme la somme de ce qui est (panthéisme naturaliste ou matérialiste; synon. pancosmisme)." (Atilf)

Dans le panthéisme, et le dieu et sa création (émanation) sont dilués. Ni Dieu ni les choses sont ce qu'ils pourront paraître être à première vue. La réalité en prend un coup. Contrairement au monothéisme. 

Monothéisme : "Croyance en un seul Dieu; doctrine qui admet l'existence d'un Dieu unique, personnel, distinct de l'Univers dont il est le créateur et le maître." (Atilf)

Dans cette croyance et Dieu et sa création sont bien réelles et distinctes. Le monothéisme est donc un dualisme.  Descartes était un dualiste monothéiste, Spinoza un moniste panthéiste, ou immanentiste ?

La nature du "divin" panthéiste peut varier. La constante dans le panthéisme est l'esprit, la pensée, l'intelligibilité, qui peut avoir des dégrés de "pureté" (degré de mélange) et des modes différents. Le divin, la pensée préexistante, peut alors s'incarner dans l’existence, en se mélangeant avec la matière pour finalement s'en séparer. Ou bien, il peut s'émaner en une existence dont la nature est indéfinie ou projeter un monde qui est pur idée[1].

A partir de là, qu’il y ait un symbole divin ou pas et quelque soit la teneur du divin, il y a une intelligence qui s’émane, et qui en se « mélangeant » ou en « créant » la « matière » (qui peut être pure māyā), est à l’origine de l’existence ou l'habite.

Le shivaïsme non duel est clairement un monisme panthéiste, centré autour du dieu Rudra/Śiva/Bhairava, avec sa mythologie et son évolution. Śiva est un dieu qui contient en lui toute la création sous forme d’essences (tattva). Les choses (S. bhāva) sont ce qu’elles sont grâce à leur essence (tattva)[2].

Le premier texte du canon de l’école tibétaine des Anciens (rnying ma), et le premier tantra de la Section de la conscience (T. sems sde) du système Dzogchen, est le Discours du roi pancréateur. Le nom complet du tantra est le Roi pancréateur, la conscience éveillée qui est la complétude universelle de toutes les choses (T. chos thams cad rdzogs pa chen po byang chub kyi sems kun byed rgyal po, le titre en sancrit Sarvadharmamahāśāntibodhicittakulayarāja). Quelles que soient ses origines, le texte, classé parmi les discours du bouddha (buddhavacana) dans l’école des Anciens, entre sur scène au 11ème siècle[3]. C’est l’intuition spontanée (T. rang byung ye shes) qui s’adresse directement à l’être vajra (vajrasattva), on n’y trouve donc pas d’introduction. On y retrouve tout le monisme panthéiste du shivaïsme, tous les attributs du dieu créateur ou de la source dont tout s’efflue, mais sans référence à un dieu créateur, ni même à son nom. Ici c’est l’intuition spontanée qui contient toutes les essences, qui ne s’appellent pas tattva, mais « entourages » (T. ‘khor). La méthode suivie est celle de la dernière voie, la non-voie (S. anupāya), qui correspond à l’Atiyoga. Comme le texte fait référence aux neuf véhicules, et au terme « complétude universelle » dans son acceptation nouvelle, il peut être daté par rapport à ces éléments. La méthode Atiyoga suit donc la même méthode moniste panthéiste ou absence de méthode que la non-voie du shivaïsme, ou ce n’est pas par l’effort mais par la « grâce divine » (S. anugraha[4] T. rjes su gzung ba) qu’on se libère. C’est une voie de reconnaissance (S. pratyabijñā-upāya) en dehors du cadre d’une consécration (dīkṣā)[5]. Le Roi Pancréateur, que l’on pourrait classer dans la catégorie dzogchen primitif, ne fait pas référence à une consécration, mais dans le Dzogchen tel qu’il est pratiqué actuellement, l’Atiyoga est pratiqué dans le cadre d’une consécration,[6] où l'on est pris en charge (anugraha T. rjes su gzung ba) par un lama.

Une des difficultés de l’utilisation de symboles et de symboles du divin est qu’il semble être une constante que c’est celui-ci qui est pris pour l’objectif et que les méthodes pour l’atteindre (sadhāna) deviennent de plus en plus premier degré. L’intuition spontanée (rang byung ye shes) est symbolisée par un symbole déiforme Samantabhadra, qui est traité comme tout autre dieu, à qui on adresse des prières et des offrandes et de qui l’on reçoit la grâce. L’accès à ce dieu est encadré dans un culte, auquel on accède par le biais d’une consécration et par l’intermédiaire d’un Fournisseur d’Accès Divin.   

Photo : Flying Spaghetti Monster


[1] Idéalisme : "Toute philosophie qui ramène l'existence à l'idée, à la pensée considérée en particulier ou en général." (Atilf)
[3] Le roi zhi ba ‘od accuse (bka’ shog) un certain Drang nga Shag tshul (shakya tshul khrims) de l’avoir composé. E.K. Neumaier-Dargyay P. 7
[4] Gérard Huet : anugraha | phil. [śaiva] la délivrance par Śiva «qui vous prend sous son aile»
[5] Moti Lal Pandit, The Trika Shaivism of Kashmir, p. 268, se référant à K.C. Pandey, Abhinavagupta, An Historical and Philosophical Study, p. 315, C. Sharma, A Critical Survey of Indian Philosophy, p. vii
[6] « Les consécrations (dbang) sont indispensables à l’entrée dans la Voie des Tantras et dans celle de l’Atiyoga… L’obtention préalable des consécrations est la condition impérative qui permet de comprendre la nature de l’esprit (sems kyi gnas lugs), d’en expérimenter la réalité, avant de pouvoir en appliquer les principes au cours de la pratique. Sans ces consécrations, l’entrée dans la Voie n’a strictement aucun sens. » Les Spécificités desConsécrations de la Grande Perfection, par Jean-Luc Achard. Khyung-mkhar 2012.