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samedi 25 septembre 2021

Le Bouddha a-t-il révélé des dogmes ?


Le mot dogme est la traduction du mot grec dogma, qui signifie doctrine (“thèse admise dans une école philosophique particulière” source : cnrtl), ou dans la religion “article de foi, opinion affirmée catégoriquement, sans réflexion ni critique” (source Dictionnaire de la philosophie, Armand Colin). La différence est donc entre une “thèse admise” et “un article de foi”.

Dans les dialogues philosophiques entre Socrate et ses étudiants (tels que “rapportés” dans les écrits de Platon), Socrate est certes une figure d’autorité, mais il n’impose pas avec autorité ses thèses. Les thèses admises ont été réfléchies, critiquées, débattues, et finalement admises, jusqu’à ce que de nouveaux éléments apparaissent, qui feront de nouveau l’objet de réflexions et débats.

Il en va autrement dans les religions, où une “Vérité” est révélée par une entité surnaturelle, dont les articles de foi sont les dogmes. D’un côté, nous avons des dogmes provisoires[1], “de travail”, de l’autre des dogmes éternellement vrais, révélés par une entité surnaturelle. Le terme “dogme” dans ce sens, est surtout utilisé dans les religions monothéistes, et notamment le christianisme.
“ en la personne de Pierre, des autres apôtres et de leurs successeurs, l'Église a reçu directement de Dieu, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, la mission de conduire les âmes, à la lumière du dogme révélé et de la morale chrétienne, vers la vie de l'éternité. "(Maritain, Primauté du spirituel,1927, p. 22.)
Jésus-Christ, considéré comme le Messie, l’envoyé et le Fils de Dieu, parle avec autorité et proclame la Vérité, et les dogmes révélés par lui sont des articles de foi pour ses disciples, si on permet ce rendu un peu anachronique, puisqu’on applique des décisions postérieures à la réalité des origines du christianisme. Étant né dans une communauté, où des dogmes révélés prévalent, les prendre en doute serait mal vu, voire répréhensible ou un péché, avec des conséquences spirituelles très lourdes.

Utiliser le terme “dogme révélé” dans le cadre du bouddhisme, serait un contresens. Dans le socle commun du bouddhisme, le Bouddha était un prince humain, envoyé par aucune entité surnaturelle, qui au bout de sa recherche spirituelle découvre le coproduction conditionnée, et l’enseigne.
“Ceci étant, cela devient ;
Ceci apparaissant, cela naît.
Ceci n'étant pas, cela ne devient pas ;
Ceci cessant, cela cesse [de naître].”[2]
Notons la différence entre “ceci” et “cela”, et qu’il ne dit pas cela cesse de renaître…

Est-ce un “dogme révélé”, dans le sens religieux du terme ? Quand Pyrrhon déclare “une chose n’est pas plutôt ceci que cela”, est-ce également un “dogme révélé” ?
Qui voit la Production conditionnée, voit le Dhamma ; qui voit le Dhamma, voit la Production Conditionnée[3].”
Selon la tradition, ses disciples principaux[4] avaient bien compris le message, et se sont éveillés en l’entendant. Nulle part, le Bouddha déclare que le Karma et la Réincarnation sont des articles de foi, faisant partie de son message et de sa découverte, et qu’il convient d’y croire… C’était tout simplement une croyance très répandue à l’époque du Bouddha, qui enseigna plutôt comment s’en libérer. Si on veut y voir une incitation (“bâton”) à la pratique, soit, mais cette croyance ne fait pas partie de la doctrine et de la méthode propre du Bouddha, qui raconta la parabole de lhomme touché par une flèche empoisonnée.
T'ai-je jamais dit : “ Viens, Māluṅkyaputta, vis la vie sainte auprès de moi et je t'expliquerai si le monde est éternel ou temporaire... ?” etc. […] – Et qu'ai-je expliqué ? J'ai expliqué “ceci est le malheur”, “ceci est la source du malheur”, “ceci est la cessation du malheur” et “ceci est le chemin qui mène à la cessation du malheur”. Pourquoi l'ai-je expliqué ? Parce que c'est utile pour atteindre le but, que c'est le départ de la vie sainte, que cela mène au désenchantement, au détachement, à la cessation, à l'apaisement, à la connaissance directe, à la pleine réalisation et au Dénouement. Voilà pourquoi je l'ai expliqué[5]. “
Tout cela n’empêche pas qu’après son parinirvāṇa, le Bouddha ait été divinisé, qu’il soit devenu un Envoyé parmi des milliers d’autres, que bien que le corps physique de Gautama ait disparu, le Corps symbolique du Bouddha enseigne en permanence les sūtra du mahāyāna, les tantras etc. Les enseignements des Corps symboliques du Bouddha divinisé peuvent en effet être considérés comme des révélations, et ont en effet pu avoir valeur de dogme révélé pour les adeptes. Rétroactivement, les enseignements du Bouddha des Auditeurs ont pu être également considérés comme tels par les adeptes du mahāyāna et du vajrayāna, même s’ils étaient en même temps vu comme étant d’un niveau inférieur, destinés à des personnes de dispositions inférieures.

Si des adeptes du mahāyāna et du vajrayāna ne connaissent le véhicule des śrāvaka qu’à travers leur propre doctrine, l’idée qu’ils s’en font est déformé par cette vision particulière, et ils peuvent alors en arriver à dire que les enseignements du Bouddha sont des “dogmes révélés”. Surtout si cette idée est entretenue par leur Gurus (pour des raisons qui leur sont propres), et/ou dans leurs sanghas respectifs. Si on passe à côté de lidée de laspectupāyaetpositionnement provisoiredu bouddhisme, on passe à côté d’un élément crucial et singulier au bouddhisme. Comment s'articule le passage de la croyance en un "dogme révélé" à une connaissance qui libère, et qu'est-ce qui déclenche cette dernière ? 

***

[1] Selon Jñānaśrīmitra, les positions bouddhistes sont des "positions adoptées conditionnellement" (skt. vyavasthā P. vavatthāna) pour désigner quelque chose qui est au-delà de la verbalisation, et qui s'opposent au concept d’une position réelle.

[2] N i.263, ii.32, iii.63; SN ii.28, 65, 70, 78, 79, 95, 96, v.388; AN v.184; Ud 1, 2.

imasmim sati, idam hoti ;
imassuppâdâ, idam uppajjati.
Imasmim asati, idam na hoti ;
imassâ nirodha, idam nirujjhati.

[3] Louis Gabaude, p. 221. La première citation vient du Majjhima-Nikāya, I, 191 et la deuxième du Saṃyutta-Nikāya, III, 120.

[4] Sariputta et Kolita (Moggallana)

[5] MN 63 Cūḷa Māluṅkya Sutta
Bouddha resta silencieux lorsque Malunkyaputta demanda si:
l’univers est éternel,
l’univers n’est pas éternel,
l’univers est fini,
l’univers est infini,
après la mort, un Bouddha continue d’exister,
après la mort, un Bouddha ne continue pas d’exister,
après la mort, un Bouddha continue d’exister et de ne pas exister,
après la mort, un Bouddha ne continue pas d’exister ou de ne pas exister,
le corps et le «moi» sont la même entité,
le corps et le «moi» sont des entités totalement séparées et différentes.