« Il est bien évident qu’il n’a fallu aucun effort délibéré aux cinq premiers disciples du Bouddha pour atteindre l’état d’Arahant en entendant son discours sur le non-soi, ni au millier d’ermites qui ont entendu son « sermon du feu ». La sagesse, aiguë et profonde, surgit tout naturellement. Ces exemples montrent que la concentration naturelle peut se développer d’elle-même lorsqu’un individu essaie de comprendre le sens profond d’un problème. La sagesse qui en découle, dans la mesure où elle est fermement établie, est certainement intense et très stable. Elle apparaît naturellement, automatiquement, de la même manière que lorsque l’esprit se concentre pour faire de l’arithmétique ou pour viser avant de tirer à l’arc. En temps normal, nous ne tenons pas compte de ce type de concentration car il n’offre rien de magique, de miraculeux ou d’impressionnant. Pourtant, par la simple force de cette concentration naturelle, la plupart d’entre nous pourrait atteindre la libération, le fruit de la Voie, le Nirvana, l’état d’Arahant.
Alors ne négligeons pas ce type de concentration que nous possédons tous, à un degré ou à un autre, et que nous pouvons toujours développer. Nous devons faire notre possible pour le cultiver, le faire fonctionner parfaitement, et en retirer les résultats appropriés, tout comme l’ont fait ceux qui sont devenus des Arahants sans avoir jamais entendu parler des techniques modernes de concentration.
Étudions, à présent, la nature des états de conscience qui permettent la vision pénétrante du « monde », c’est-à-dire des cinq agrégats. La première étape est la joie (piti), bonheur de l’esprit ou bien-être spirituel. Faire le bien, d’une manière ou d’une autre, même faire une offrande de nourriture aux moines – ce qui est considéré comme la forme la plus simple d’obtention de mérites – peut être source de joie. Plus haut sur l’échelle de la vertu, un comportement irréprochable en paroles et en actions peut apporter une joie plus grande encore. Puis vient la concentration, où nous découvrons un plaisir certain dès les tout premiers niveaux de la pratique.
Cette joie possède, en elle-même, la capacité de faire apparaître un état de tranquillité. D’ordinaire l'esprit part dans tous les sens, esclave des pensées et des sentiments associés aux attraits du monde – il est agité. Mais lorsque la joie spirituelle s’installe, inévitablement le calme et la stabilité de l’esprit augmentent en proportion ; et, quand la stabilité se perfectionne, il en résulte une concentration totale. L’esprit s’apaise, il devient souple et flexible, léger, détendu, prêt à servir n’importe quelle cause et, en particulier, la suppression des pollutions qui l’obscurcissent.
Ce n’est pas que l’esprit devienne silencieux et le corps rigide comme un roc – absolument pas. Le corps est ressenti comme étant dans son état normal mais l’esprit est particulièrement calme, parfaitement clair, frais et alerte, autrement dit « apte au travail », prêt à apprendre. Tel est le degré de concentration qu’il faut rechercher plutôt qu’une concentration trop profonde, où le méditant se retrouve comme une statue de pierre, dénuée de toute présence consciente. Ce type de concentration ne permet pas d’approfondir quoi que ce soit, ne se prête à aucune espèce d’investigation. L’esprit n’étant pas présent, il n’a aucun moyen d’atteindre la vision pénétrante. La concentration profonde est un obstacle majeur à la pratique de la vision pénétrante. Pour pratiquer l’introspection, il faut d’abord retourner à un niveau de concentration moins profond ; on peut alors utiliser la force acquise par l’esprit lors de sa plongée. Ainsi la concentration profonde peut être un outil, mais seulement un outil. Ce que nous devons rechercher plutôt, c’est un esprit calme et stable, et tellement apte au travail que, lorsqu’on l’applique à la pratique de la vision pénétrante, il obtienne une compréhension juste de tous les phénomènes du monde. Une telle vision est tout à fait naturelle, elle est semblable à celle obtenue par les disciples du Bouddha lorsqu’ils l’écoutaient enseigner le Dhamma. Elle n’inclut ni rituels ni miracles mais engendre introspection et pensées justes – de celles qui mènent à la compréhension. »
Extrait du chapitre VIII (La vision pénétrante par la méthode naturelle) du Manuel pour l'humanité de Buddhadasa. Traduction de Jeanne Schut.
* Voir les articles de David Dubois ou de Glenn Wallis (en anglais)
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