jeudi 28 février 2013

Bouddhisme engagé



Thich Nhat Hanh avec Martin Luther King 

Nous vivons à l’ère informatique, nous vivons une révolution de l’information. Tandis que les informations restaient plus ou moins dans leurs zones géographiques et linguistiques respectifs, nous disposerons bientôt de toutes les informations des dix directions et des trois temps, à l’instant. Nous saurons enfin tout. Dans le monde chrétien, le jour où tout se saura est un Jour de colère (Dies irae). Aller savoir pourquoi. Peut-être parce que toutes les injustices seront vengées ? Et l’Amour dans tout ça ?
Quand donc le Juge tiendra séance, tout ce qui est caché sera connu.[1] 
Un jour de colère, ou de jugement, de justice divine. Ou sinon, du moins d’indignation, suivie d’actions appropriées. Quand de nouvelles informations se font jour, il faut peut-être réviser les décisions qui avaient été prises, basées sur des informations alors inconnues, incorrectes, ou incomplètes. Le Dalai-Lama avait déjà dit dans le passé :
« Ma confiance en la science se base sur ma croyance fondamentale que, tout comme la science, le bouddhisme aspire à la compréhension de la nature de la réalité par des moyens d'investigation critique : si l'analyse scientifique devait démontrer que certaines revendications dans le bouddhisme étaient fausses, nous devrions accepter les conclusions de la science et abandonner ces revendications. »[2] 
Cela ne se limite évidemment pas uniquement à des faits scientifiques, mais aussi à des faits politiques, économiques, sociales, historiques... Davantage de connaissance vient avec davantage de responsabilité, davantage d’engagement. Ne pas suivre la progression des connaissances nouvelles revient à reculer. Ne pas agir ou adapter son action quand on apprend une injustice, revient à la maintenir ou à la cautionner.

Dans le bouddhisme l’engagement n’est pas uniquement réservé au bodhisattva et au véhicule universel. Ceux qui suivent le chemin des « auditeurs » (śrāvaka), traditionnellement des renonçants  ne peuvent pas rester en arrière, et ne restent d’ailleurs pas en arrière. Certains prennent même les devants (Buddhist Global Relief).
L'abstention de toute nuisance
L'accomplissement du bien
La purification de sa propre conscience
Tel est l'enseignement des Buddhā[3]
Pour suivre cet adage fondamental du Bouddha, non pas selon la lettre mais selon l’esprit, le bouddhisme doit évoluer et évolue.
« En rendant le bouddhisme plus proche du monde contemporain, il ne s'agit en aucun cas d’oublier l'essentiel, notamment les principes éthiques. Il faut simplement leur redonner un sens dans les sociétés où nous vivons. Dans les sociétés agraires où le bouddhisme s’est développé, les choses étaient plus simples... On pouvait dire "je ne tue pas, je ne vole pas, je ne commets pas l’adultère, je ne mens pas. Je suis quelqu’un de bien” mais avec la complexification grandissante de nos sociétés, ça ne marche plus comme ça ! (...) S’abstenir de tuer tout être vivant n’est plus aussi simple. Nous devons nous interroger : Pouvons nous admettre que nos impôts servent à l’armement ? Devons nous élever des animaux pour les tuer ? Concernant le deuxième précepte, ne pas voler, il faut aussi s ’interroger : même si nous ne dérobons rien directement, pouvons-nous accepter de voir les pays riches exploiter les pays pauvres via le système bancaire international et l’ordre économique mondial ? En fait, participer à tout le système de consommation c’est déjà risquer à chaque instant de violer les trois premiers préceptes ! Quant au quatrième, s’abstenir de paroles mensongères ou incorrectes, c’est particulièrement difficile dans un monde fondé sur la communication publicitaire et la propagande politique... En fait la souffrance, qui, certes, pouvait être souvent effrayante au temps du Bouddha, était pourtant plus simple à comprendre. L’interdépendance entre les phénomènes est devenue une chose très complexe... Si nous n’adaptons pas la sagesse bouddhiste à la compréhension de la réalité sociale et à la recherche d’une réponse aux questions qu’elle pose, alors le bouddhisme risque de n’être qu’une sorte d’échappatoire aux problèmes de ce monde, à l’usage des classes moyennes. »
Extraits d'une interview de Sulak Sivaraksa parue dans le magazine américain Turning Wheel (1994, traduction française Jean-Paul Ribes). » 
La citation ci-dessus vient du site d'Eric Rommeluère qui vient de publier un nouveau livre sur le Bouddhisme engagé.
***

[1] Judex ergo cum sedebit, quidquid latet, apparebit

[2] Dans The Universe in a Single Atom: The Convergence of Science and Spirituality. "My confidence in venturing into science lies in my basic belief that as in science so in Buddhism, understanding the nature of reality is pursued by means of critical investigation: if scientific analysis were conclusively to demonstrate certain claims in Buddhism to be false, then we must accept the findings of science and abandon those claims."

[3] sabbapāpassa akaraṇaṁ/kusalass' ūpasampadā/sacitta paruyodapanaṁ/etaṁ buddhāna sāsanaṁ

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