vendredi 28 juin 2013

Les siddha sont des chercheurs curieux de tout



Un siddha est une personne qui a atteint son but, qui a réalisé son objectif (S. sidh_). Dire qu’il est un Parfait et qu’il a atteint la perfection ne veut rien dire si on ne précise pas l’objectif qu’il s’était fixé et qu’il avait atteint. Le mouvement, apparu au 8ème siècle, de chercheurs qui s’appelaient « siddha » avait pour objectif d’acquérir des pouvoirs (S. siddhi) à l'aide d'une méthode (S. sādhanā). Inspirés par des êtres mythologiques auxquels ils s’identifiaient, ils cherchaient à obtenir les mêmes pouvoirs que ceux-ci. C’est peut-être le début d’une évolution de la magique antique vers la magie naturelle en Inde. La mention la plus ancienne du mot « siddha » semble avoir été trouvée dans les cercles jaina. On trouve ce terme dans l’inscription dans une grotte à Udayagiri au nord de Bhubaneswar en Orissa, qu’on date du deuxième au premier siècle avant J.C. L’inscription commence tout simplement avec un hommage aux arhats et aux siddhas (namo arahantānaṃ namo savasidhānaṃ)[1].

Le maître jaina Kund Kund ācārya[2] (ou Kunda Kunda 2ème siècle AD[3]) donne la définition suivante d’un « siddha » dans son oeuvre Les huit offrandes (Aṣṭa Pahuda) :

« 6. Le grand saint qui a triomphé sur l’orgueil, l’attachement, l’aversion, la méprise, la colère et la concupiscence et qui observe les cinq grands voeux (mahāvrata)[4], est appelé un « ayatan ».
7. Un siddha est celui qui a accompli son but authentique, qui a une méditation pure et possède la connaissance. Un tel siddha, qui est le meilleur des saints ermites et qui connait son but authentique est appelé un « siddayatan ».

Ces êtres désincarnés et immortels dont on racontait la vie dans des sphères parfaites (S. siddhaloka) faisaient rêver candidats-siddha qui voulaient en faire autant. Les pouvoirs (S. siddhi) qu’ils voulaient acquérir étaient au traditionnellement nombre de huit. 1. Réduire son corps à la taille d’un atome (aṇimā), 2. (Agrandir son corps à l’infini (mahima), 3. Alourdir son corps à l’infini (garima), 4. Réaliser l’apesanteur totale (laghima), 5. Avoir accès à tous les lieux (prāpti), 6. Réaliser tout ce que l’on souhaite (prākāmya), 7. Devenir l’autorité absolue (iṣṭva), 8. Le pouvoir de subjuguer les autres (vaśtva). Il existe d’autres listes de pouvoirs/dons.

Quelqu’un qui avait atteint son objectif en acquérant un, plusieurs ou tous les pouvoirs, était considéré un siddha, un magicien, dirions-nous. Notre mot magie est synonyme de magisme, l’art des Mages. Un Mage était un « membre de la caste qui, en Médie, avait dans ses attributions le service du culte d'Ormuzd » ou un « prêtre sectateur du zoroastrisme ». La magie d’antan est la science d’aujourd’hui, les croyances et rites religieux en moins. Les siddha étaient donc des experts en tout genre, médecine, cosmétique, astrologie, physique, astronomie, alchimie, divination, démonologie/psychiatrie etc. Le tout évidemment assorti à des croyances et des pratiques religieuses, mais tout en s’en éloignant au cours des siècles.

Tout comme la magie antique évolue en magie naturelle, puis en science, les cultes animistes et polythéistes ont évolué en religion, en religion moniste ou monothéiste (en gardant des liens avec les cultes anciens) puis en spiritualité non-dualiste, flirtant avec de la philosophie tout en restant solidement enracinée dans la religion. Nous sommes alors à la fin du premier millénaire, et ça sent un peu la liberté. Un peu trop au goût de certains, qui aimeraient garder le contrôle et les privilèges. Les membres de ce mouvement de liberté ont été appelés diversement Sahayānistes, Sahayikas (ce sont des néologismes), mahāsiddha, pour les distinguer des siddha ordinaires, avadhūta etc. Mais leurs doctrines simples, aimées par le peuple, n’étaient pas appréciées par les castes des seigneurs et des prêtres.

« Il n’y a ni mondes, ni Védas, ni Devas, ni sacrifices, ni castes, ni clans, ni nationalités, ni voie de ténèbres, ni voie lumineuse. »[5]

« Le dieu ne se trouve pas dans le temple, ni sur la pierre, ni sur le stuc, ni sur le tableau : impérissable, immaculé, tout de connaissance, propice, il siège dans l’esprit où règne l’équanimité. »[6]

« À quoi bon des lampes à beurre, à quoi bon la nourriture offerte aux dieux ?
Pourquoi s'appuyer sur le système des mantras secrets ? »[7]

Les castes des seigneurs et des prêtres avaient vite repris la main, et le courant libertaire était récupéré et maîtrisé en le noyant dans … précisément tout ce que contestaient ces mystiques. Je dis les castes des seigneurs et des prêtres, mais c’est évidemment plus complexe que cela, car le peuple ne connaît pas autrement et ne peut alors vouloir que du connu. Le peuple c’est nous.

***

[1] Davidson R. M., Indian Esoteric Buddhism, a social history of the tantric movement, 2002) p. 173
[2] Maître, précepteur spirituel «qui règle la conduite (ācāra)»
[3] Dundas, The Jains. London, NY: Routledge, 2nd edition, 2002.
[4] 30. (1) Non-violence (2) S’abstenir du mensonge, (3) Ne pas s’approprier ce qui n’est pas offert (4) Célibat (5) Pauvreté.
[5] Avadhūt Gītā de Mahātma Dattātreya, traduction de Hari Prasad Shastri. Traduction française de H.J. Maxwell et M.L. de Robilant p.24
[6] La lumière de l'absolu, Yogîndu, 1999, p. 128
[7] Saraha, Dohākoṣagīti (T. do ha mdzod kyi glu) n° 14

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