samedi 1 juin 2013

Un début de liberté, repris en main par la suite


Gayadhara (994-1043) le scribe, était un maître privilégié de Drokmi (992-1072/1074) le fondateur de la lignée Sakya. Pendant un de ses voyages au Tibet, il se serait fait passer pour Maitrīpa/Advayavajra (1007-1078), jusqu'à ce qu'il soit finalement démasqué. C'était Go-lotsawa Khukpa Lhetse, le traducteur du Guhyasamaja qui fut sa victime. Si les années associées à ces personnages sont justes, ces histoires sont peu vraisemblables. Advayavajra aurait commencé à enseigner sur le tard (vers l’âge de 50 ans, après la mort de Nāropa). C’est seulement après, qu’il devenait célèbre. Si Maitrīpa/Advayavajra était né en 1007, il aurait eu 50 ans en 1057. Gayadhara était alors décédé depuis 7 ans. Cette anecdote est donc peu vraisemblable.

Gayadhara et Drokmi ont traduit de nombreux ouvrages ensemble, notamment des textes associés au Hevajra Tantra. Un de ces textes est le Tantra du Sans-souillure[1]. Selon le colophon, ce texte fait partie du Hevajra ḍākinī-jāla-saṃvaratantra (T. mkha' 'gro ma drwa ba sdom pa'i brtag pa). Drokmi y est appelé « le traducteur tibétain bhikṣu ['brog mi lo tsā ba] shākya ye shes. » C’était donc avant la période, où il rendit ses vœux et devint un yogi laïc, selon les conseils de Gayadhara. En 1054-1055, le Hevajra ḍākinī-jāla-saṃvaratantra (T. 892) fut traduit en chinois par Fahu (Dharmapala, arrivé en Chine en 1004, mort en 1058), un moine cachemirien qui avait étudié à Vikramaśīla, dont Atiśa Dipankara était l’abbé avant de partir au Tibet en 1042.

Selon Alexis Anderson, les yoginī-tantras bouddhistes, comme notre saṃvaratantra, ont emprunté directement aux śakti-tantras[2] des cultes kāpālika shivaïtes. Le terme ḍākinī-jāla qui revient souvent dans ces tantras fait partie du mantra-cœur du saṃvara.

La particularité de ce petit texte est qu’il est considéré avec "le Dialogue Mahāyāna qui a pour titre L'intuition du trépassement" (S. Ārya-ātajñāna-nāma-mahāyāna-sūtra T. 'phags pa 'da' ka ye shes zhes bya ba theg pa chen po'i mdo) comme un des deux textes canoniques de la Mahāmudrā. Canonique dans le sens qu’il s’agit d’une parole du Bouddha (S. Buddhavacana), et que c’est sur cette parole canonique que s’appuie la Mahāmudrā. On trouve de nombreux autres textes sur la Mahāmudrā dans la Collection des Traités (T. bstan ‘gyur), mais ils ne sont pas des paroles du Bouddha.

La Mahāmudrā avait fait l’objet de plusieurs attaques. En résumé, elle ne serait pas une instruction tantrique et ne pouvait donc pas conduire à l’éveil complet, et elle ne serait pas basée sur un tantra ou autre parole du Bouddha. A différentes époques, différents maîtres kagyupa se sont affairés de combler « le manque ». Et de préférence en choisissant des textes qui étaient considérés canoniques par les écoles mêmes qui conduisaient les polémiques. Donc, par exemple, ce texte d’un saṃvaratantra considéré comme une parole authentique du Bouddha, traduit par le fondateur de l’école Sakyapa.

Ce texte, difficile, est particulier en ce qu’il utilise tout le vocabulaire et les idées de base des yoginī-tantras, mais avec un certain recul. Il suggère de dépasser le niveau rituel et yoguique des éléments saṃvaratantriques, peut-être tout en continuant de les utiliser, en « sacrifiant » toute expérience à la divinité, qui engloutit et digère tout. Ce sacrifice continu se passe de tout accessoire et de matière à consacrer, et de toute méthode ou plutôt il les remplace. C’est comme si un pied était toujours debout dans les tantras, mais que l’autre s’en éloignait déjà en le dépassant. Pas encore définitivement franchi comme dans le dzogchen radical du Roi pancréateur et de la Mahāmudrā. Avant que l’essence séminale (T. snying thig), le yoga du Kalacakra et autres transmissions aurales les ramènent au bercail.

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[1] T. rgyud kyi rgyal po dpal rnyog pa med pa zhes bya ba S. Śrī-anāvila-tantra-raja-nāma

[2] Le Vidyāpīṭha avec notamment : Siddhayogeśvarīmata, Sarvavīrasamāyoga, Śrīcakra, Viśvādya, Yoginījālaśaṃvara et Vidyābheda.

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