J'ai posté la traduction des Instructions pour transformer les rancunes selon une méthode du Mahāyāna (T. theg pa chen po'i lugs kyi 'khon sbyong) pour donner un exemple d'une méditation créatrice (T. bsgom S. bhāvanā) et le rôle des éléments tantriques qu'elle utilise.
L'objectif de cet exercice spirituel (T. blo sbyong) est d'apaiser le sentiment de rancune qu'on éprouve envers une personne réelle spécifique. Il y a plusieurs angles d'attaque possible, mais dans l'exercice spirituel en question on passera par une approche dualiste avec un tiers divin et symbolique pour aboutir à une compréhension d'égalité foncière (S. samatā) qui est non-dualiste.
L'objet de la rancune est une personne, mais le sentiment de rancune, sans se soucier de son bien-fondé ou non, est un facteur mental (T. sems byung S. caitta), une production du mental et donc une manifestation de la conscience pure, qui n'est pas reconnue en tant que telle.
Afin de conduire le pratiquant à cette compréhension, il passe dans cette méthode par une méditation créatrice utilisant sa divinité tutélaire (T. yi dam S. iṣṭa-devatā). Ainsi, il travaillera simultanément à un niveau intellectuel et affectif. En faisant appel à la divinité, la situation est sortie du monde ordinaire et placée dans un monde autre, sacré. Le pratiquant est rappelé à son engagement spirituel (S. bodhicitta) et commence par développer une attitude de bienveillance et d'altruisme. Ensuite, il imagine que l'être envers qui il ressent de la rancune dans l'espace vide de son cœur. Il s'agit dans ce cas du cœur spirituel, non pas de l'organe.
L'originalité de cet exercice est que l'on imagine ensuite que soi-même, étant en réalité la divinité tutélaire mais sous son propre aspect physique ordinaire, on est assis à califourchon sur les genoux de cet être, face à face, front contre front, bouche contre bouche et cœur contre cœur. Une plus grande intimité est guère possible. La dualité ne tient plus qu'à un fil… Les points de contact représentent le corps (front), la parole (bouche) et l'esprit (coeur).
Rien de sexuel n'est impliqué, rien de sexuel n'est exclu non plus, bien que la position des deux êtres ressemble fortement à celle d'une divinité en union avec sa parèdre. Le début de l'exercice spécifie que l'être en question peut être humain ou non-humain, un homme ou une femme. Les bouches qui se rejoignent en ce qui ressemble à un baiser, n'est pas nécessairement une expression sexuelle non plus.
Voici ce qu'écrit St François de Sales au sujet du baiser :
"Le baiser, de tout temps, comme par instinct naturel, a été employé pour représenter l'amour parfait, c'est-à-dire l'union des cœurs, et non sans cause. Nous faisons sortir et paraître nos passions et les mouvements que nos âmes ont en commun avec les animaux en nos yeus, nos sourcils, au front et dans tout le reste du visage. On connaît l'homme au visage, dit l'Ecriture (Eccl. 19,29).Bien que visualisé sous notre aspect ordinaire, on est rappelé au fait qu'en réalité notre identité est celle de la divinité tutélaire. La moitié du travail est déjà faite. Au sommet de la tête de notre corps physique on imagine l'être destructible (Vajrasattva), dont procède la divinité tutélaire. L'être destructible, blanc comme une page blanche, est l'union de la vacuité (cloche) et du manifesté (vajra), luminosité vide. Cette luminosité vide rayonne sans cesse. Si son rayonnement n'est pas reconnu comme tel, il sera perçu comme autre et une saisie dualiste s'ensuit.
En cette sorte, on applique une bouche à l'autre quand on s'embrasse, pour témoigner qu'on voudrait verser les âmes l'une dedans l'autre réciproquement, pour les unir d'une union parfaite ; et pour cela en tout temps et entre les hommes les plus saints du monde, le baiser a été signe d'amour et de dilection, aussi fut-il employé universellement entre tous les premiers chrétiens, comme le grand saint Paul témoigne quand il dit aux Romains et aux Corinthiens : Saluez-vous mutuellement les uns les autres par le saint baiser (Rm 16,16 ; voir aussi Co 13, 12)."[1]
Dans la méditation créatrice, le rayonnement est imaginé comme un nectar immatériel, fait de lumière blanche, qui remplie notre corps et les formes imaginées dans notre cœur spirituel. Tout devient nectar, tout devient rayonnement et donc la luminosité vide de l'être indestructible.
Au sortir de cette méditation créatrice, et en retournant dans le monde ordinaire, on imagine en souvenir de notre expérience, que l'être envers qui nous ressentions de la rancune est désormais comme quelqu'un de plus intime, un parent, un frère, une sœur etc.
Les éléments tantriques dans cette méditation créatrice sont des expédients (S. upāya), des moyens auxiliaires. Ils ne sont pas indispensables, mais ils ont pour avantage d'impliquer l'imagination et l'affectivité.
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[1] Traité de l'amour de Dieu, Médiaspaul p.19, 20
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