samedi 30 juin 2012

Les quatre intuitions de Rongzompa



Extrait du Mémorandum des différentes doctrines (T. grub mtha'i brjed byang)[1]

L'explication des quatre intuitions en huit points

(1) La cause (S. hetu) de l'intuition (S. jñāna)
(2) Le facteur associé
(3) La fonction de l'intuition
(4) L'objet de l'intuition
(5) La nature de l'intuition
(6) Les caractéristiques (S. lakṣaṇa) de l'intuition
(7) Le nombre d'intuitions
(8) L'effet de l'intuition.

(1) La cause de l'intuition, ce sont les huit types de conscience (S. vijñāna). La [conscience] réceptacle (S. ālaya) est la base (S. ādhāra) de tous les objets mentaux (S. dharma), ou ce qui sert de leur cause (S. hetu). Son fonctionnement de base (T. gnas gyur pa) est l'intuition semblable au miroir (S. mahādarśa-jñāna)[2]. Quand la conscience affligée (S. kliṣṭa-citta) s'abstient de la saisir comme un soi, l'égalité entre le soi et l'autre est établie ; c'est l'intuition de l'égalité (S. samatā-jñāna). La conscience mentale (S. mano-vijñāna) discerne (T. rig S. saṁvedya) les objets et les détermine (T. gcod) ; son fonctionnement de base (T. gnas gyur pa) est l'intuition discernante (S. pratyavekṣanā-jñāna). A chacune des cinq portes sensorielles se présentent leurs objets sensoriels respectifs. Le fonctionnement de base [de ces perceptions] est l'intuition fonctionnelle (S. kṛtyānuṣṭhāna-jñāna). Chacun des cinq objets sensoriels étant déterminé respectivement, l'intuition accomplit ce qui doit être accompli, avec comme unique objectif de préparer et libérer les êtres.

(2) Son facteur associé[3] est l'objectif de suivre le noble chemin (S. āryāṣṭāṅgamārga). Pour donner une exemple, c'est comme l'acte de polir. En polissant un miroir avec du feutre, on enlève les scories. Aussi, le mental, en suivant le noble chemin (S. ārya-mārga) élimine les souillures de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Et en prenant le noble chemin pour objectif, les graines des traces (S. vāsāna) des actes constructifs resteront dans la conscience réceptacle.

(3) Sa fonction est de s'abstenir de la double obnubilation[4].

(4) Son objet, ce sont les objets commun et non commun. L'objet commun est l'élément spirituel (S. dharmadhātu)[5]. L'objet non commun est la Luminosité sans obnubilation [1. intuition semblable au miroir], l'égalité sans mélange [2. intuition de l'égalité (S. samatā)], la connaissance de la série psychique (S. saṃtāna) des êtres [3. intuition discernante] et les divers moyens de conversion[6] (T. tha dad pa) [4. intuition fonctionnelle].

(5) Sa nature
Connaître toutes les choses dans leur variété/singularité (S. yathāvad vyavasthānaparijñāna). Les connaître telles qu'elles sont (S. yathā), en comprenant que les universaux sont non-produits. Et connaître [les choses] dans leur variété, c'est-à-dire connaître toutes les choses dans leur singularité (caractéristiques propres S. svalakṣaṇa) sans obnubilation.[7]

(6) Sa caractéristique est d'être instantanée.
« L'intuition est ce que qui est désigné par « intuition » (S. jñāna)
Ce qui est désigné par « intuition » est un ensemble (S. tucchaka T. gsog)
C'est l'intuition inexprimable (S. nirabhilāpya-jñāna),
L'intuition de l'objet ultime (S. pāramārthika-jñāna). »

(7) Son nombre : les intuitions sont au nombre de quatre.

(8) Le fruit de l'intuition est le triple corps. L'indifférenciation de la réalité (S. tathatā) de la perception et de l'objet [sensoriel] est [l'intuition] semblable au miroir qui correspond au corps spirituel (S. dharmakāya). L'intuition de l'égalité, qui sert de source à la compassion universelle, ainsi que l'intuition discernante, qui sert de fondement aux incantations (S. dhāraṇī), aux absorptions (S. samādhi) etc. constituent le corps symbolique (S. sambhogakāya). L'intuition fonctionnelle, est l'action de conversion inépuisable et correspond au corps fonctionnel (S. nirmāṇakāya).



[1] Version éditée par Orna Almogi dans Rong-zom-pa’s Discourses on Buddhology P. 368-367
[2] La capacité de refleter toute chose.
[3] La cause première est la conscience-réceptacle (le miroir), mais le facteur associé est la pureté du miroir et des reflets, donc des intuitions. La pureté est obtenue par la purification et le moyen de purification est le noble chemin octuple : la vision juste, le discernement juste, la parole juste, l’action juste , les moyens d'existence justes, l’effort juste, l’attention juste et la concentration.
[4] Afflictions (S. kleśa) et connaissables (S. jñeya).
[5] Ce classement compte quatre intuitions. Dans certains classements, l’intuition de l’élément spirituel (S. dharmadhātu-jñāna) est considérée comme une intuition séparée, et la premièré de la série. Ici, Rongzompa ne traite pas l’élément spirituel comme une intuition. Dans son commentaire du Guhyagarbha Tantra (dkon mchog grel), il dit qu’il existe des classifications en 3, 4 et 5 intuitions. P. 13 :6.
[6] Convertir dans son sens premier de « action de se tourner », de l'extérieur vers l'intérieur avec la transformation spirituelle et morale qui s'ensuit. Comparable au sens de « anugraha karaṇa » le pouvoir de la grâce ou libération, un des 5 pouvoirs de Śiva.
[7] Quand on voit les reflets dans un miroir, on voit à la fois la singularité des reflets tout en connaissant leur nature qui est d’être un reflet, sans essence propre.

Texte tibétain en Wylie

ye shes bzhi la don brgyad kyis bstan te
(1) ye shes kyi rgyu dang/
(2) grogs dang/
(3) ye shes kyi las dang/
(4) ye shes kyi yul dang/
(5) ye shes kyi rang bzhin dang/
(6) ye shes kyi mtshan nyid dang/
(7) ye shes kyi grangs dang/
(8) ye shes kyi 'bras bu'o//
de la (1) ye shes kyi rgyu ni tshogs brgyad de/
kun gzhi chos thams cad kyi gzhi 'am rgyur gnas pa de/
gnas gyur pa ni me long lta bu'i ye shes so//
nyon mongs pa can gyi yid bdag du ‘dzin pa spangs nas/
bdag dang gzhan du mnyam pas na mnyam pa nyid kyi ye shes so//
yid kyi rnam par shes pa yul rig cing gcod pa de gnas gyur pa ni so so kun tu rtog pa'i ye shes so//
sgo lnga rang gi yul tha dad pa la 'byung ba de ni gnas gyur pa las bya ba nan tan grub pa'i ye shes so//
sgo lnga yul so sor nges pa bzhin du/
bya ba grub pa'i ye shes kyis kyang/
smon lam gcig pa'i sems can thams cad smin cing grol bar mdzad do//
(2) grogs ni yid 'phags pa'i lam la dmigs pa la bya ste/
dper na bskyod legs pa dang 'dra'o//
de yang phying bus bskyod na me long gi g.ya dag pa dang 'dra bar/
yid 'phags pa'i lam la na/
bdag gi kun gzhi'i dri ma dag ste/
yid 'phags pa'i lam la dmigs nas/
kun gzhi la dge ba'i bag chags kyi sa bon gnas par 'gyur ro//
(3) las ni sgrib pa gnyis spong ba'o//
(4) yul ni thun mong dang thun mong ma yin pa'i yul lo//
de la thun mong gi yul ni chos kyi dbyings so//
thun mong ma yin pa'i yul ni gsal la mi sgrib pa dang \[me long ye shes]/
mnyam la ma 'dres pa dang \[mnyam nyid]/
'gro ba'i rgyud mkhyen pa dang \[sor rtog}/
gdul bya tha dad pa'o \[bya grub]//
(5) rang bzhin ni/
ji snyed pa'i chos thams cad mkhyen pa ste/
ji lta ba ni 'spyi'i mtshan nyid ma skyes pa yang mkhyen/
ji snyed pa ni rang rang gi mtshan nyid ma lus pa'i chos thams cad mi sgrib par mkhyen pa'o//
(6) mtshan nyid ni skad cig ma ste/
ye shes ye shes zhes brjod pa//
ye shes brjod pa nyid kyang gsog//
brjod du med pa'i ye shes ni//
don dam pa yi ye shes so//
zhes gsungs pa'o//
(7) grangs ni bzhi'o//
(8) 'bras bu ni sku gsum ste/
me long lta bu shes chos kyi de kho na nyid dang dbyer med pa ni chos kyi sku'o//
mnyam pa nyid kyi ye shes thugs rje chen po 'byung ba'i rgyur gyur pa dang/
so sor rtog pa'i ye shes gzungs dang ting nge 'dzin la sogs pa'i gzhir gyur pa gnyis ni longs spyod rdzogs pa'i sku'o/ bya ba nan tan gyi ye shes gdul bya chud mi za ba ni sprul pa'i sku'o//

vendredi 29 juin 2012

De premiers bilans



Les choses bougent pas mal sur les forums bouddhistes anglophones. Depuis l'arrivée de différents types de bouddhisme en occident dans les années 70 et 80, une première génération (de babyboomers) a vécu avec le bouddhisme, a pu le tester façon ehi passiko [1] dans la pratique et, avec la vieillesse et la mort qui s'approchent, commence à faire un premier bilan. Ça déménage pas mal !

Il n'y est plus question des différents scandales, des abus de pouvoir, de quelques pommes pourries (diverses listes circulent, p.e. celle-ci) dans un système autrement merveilleux. Non, c'est le système lui-même qui est désormais remis en question. Il y avait bien eu une réunion de maîtres bouddhistes orientaux et occidentaux autour du Dalai-Lama à Dharamsala en 1993, mais qui avait servi principalement de rappel à l'ordre. Il y était cependant suggéré déjà que le Dharma devait "se transformer selon les conditions qu'il rencontre en Occident" (point n° 6).

Stephen Batchelor, qui était présent à cette réunion, fut un des premiers à s'attaquer à des dogmes fondamentaux du bouddhisme. Il avait débuté dans le bouddhisme tibétain, était passé au bouddhisme Song coréen, en passant par Goenka, pour publier Un bouddhisme libéré de croyances (1997) et développer sa propre approche, qui se veut un bouddhisme séculier. Il y en a eu d'autres par la suite. On trouve des "faiseurs de bilan" dans quasiment toutes les écoles de bouddhisme. J'aimerais bien à mon tour faire un bilan des faiseurs de bilan, mais le temps me manque. Je me limiterai à en présenter quelques-uns, que j'apprécie. Mes excuses à eux pour avoir tenté de raccourcir (et peut-être caricaturer) leur pensée en quelques phrases... Lisez leurs blogs.

David Chapman, un "geek bouddhiste", proche de la lignée tibétaine "féminine" Aro, qui remonterait à Yéshé Tsogyel, et qui avait été fondée en 1909 par la terteunne (T. gter gton) féminine Aro Lingma. Il s'attaque à la forme consensuelle qu'ont prise les différents bouddhismes en occident et qu'il appelle "bouddhisme consensuel". Dans son article "Now you something say" il dresse un bilan assez sévère du "bouddhisme tibétain d'exportation" en occident.
"- Des platitudes consensuelles du style “il est sympa d'être sympa
- De la métaphysique médiocre
- Des superstitions médiévales
- De la culture folklorique tibétaine
- La répétition incessante de textes qui ont perdu leur sens depuis des siècles
- Des rituels vides de sens, dont la fonction principale est de lever des fonds
"[2]
Il propose de développer un style de tantra nouveau, éventuellement mais pas nécessairement sans rituels. Il semble cependant toujours assez preneur des phénomènes de lignée de transmission et de maîtres transmetteurs.

Plus radicale et plus philosophique, la bande de Glenn Wallis ("Der Unbuddhist" Matthias Steingass "Are Buddhists stupid?", Tom Pepper "Running from Zombie Buddhas" ....) et leur "non-bouddhisme spéculatif", qui propose un genre de "tabula rasa". Le bouddhisme X, la pratique de la méditation, la tendance "mindfulness" etc. y sont entièrement déconstruits, pour voir ce qui pourrait bien émerger des ruines par la suite. Sans doute pas entièrement sans provocation, ni à prendre au premier degré... Ceux qui sont incapables de penser sont priés de s'abstenir. Très intéressant et à suivre. Voir aussi mon blog "Chantiers (suite)".

Moins provocateur, mais rigoureux et érudit, les "divagations" ("raves") de Jayarava, membre de l'ordre bouddhiste Triratna, qui (Jayarava pas l'ordre) depuis peu commence à esquisser sur son blog un "bouddhisme post-iconoclaste" où le bouddhisme pourrait apporter les éléments ci-dessous à la société :
"- Faire attention à toute expérience.
- Réduire les contributions ("input"), réduire la recherche du plaisur
- Se calmer
- Développer de l'empathie et de la bonne volonté.
- Etre un membre moral d'une communauté morale.
- Apprendre à supporter les infortunes, la bêtise et les trahisons
- Etre plus attentif à toute expérience à la lumière de 2,3,4,5 & 6.
- Progressivement s'en tenir à son système afin de ne pas réagir constamment aux sollicitations continues des plaisirs
."[3]

La liste de faiseurs de bilan est loin d'être exhaustive. Et sur le web francophone ?

MàJ170712 Blog (en anglais) Buddhism sucks , autoconfession de Jayarava : Why I still am a Buddhist?
Le point commun entre toutes ses critiques, sévères et non sans provocation, du bouddhisme semble être la difficulté de vraiment lui tourner le dos une fois pour toutes...

***
Illustrations : Iconoclastes


[1] Venez voir ! L'invitation du Bouddha pour tester ce qu'il enseigne.
[2] Consensus “it is nice to be nice” platitudes
Bad metaphysics
Medieval superstitions
Tibetan folk culture
Long-winded reiteration of texts that lost their meanings centuries ago
Empty rituals, often functioning mainly as fundraisers
[3] What we bring to the party is a program which can address some of the problems, particularly of over-stimulation and alienation.
Pay attention to experience.
Reduce input, reduce pleasure seeking
Calm down.
Cultivate empathy and goodwill.
Be a moral member of a moral community.
Learn to forbear with misfortune, stupidity & betrayal
Pay closer attention to experience in light of 2,3,4,5 & 6.
Gradually retrain your system so that we don't constantly respond to the constant pull of pleasure.

jeudi 28 juin 2012

Atisha et la conscience éveillée excellente à tous égards


Le Tattvasaṃgrahasūtra[1], tout comme le Mahāvairocanābhisaṃbodhisūtra appartient à la classe des yogatantras. Il est à la base du bouddhisme ésotérique en Chine, où il a été propagé par des missionaires indiens (Śubhakarasiṃha, Vajrabodhi, Amoghavajra) au huitième siècle.[2] Ce tantra décrit entre autres l’éveil de Bouddha Śākyamuni à Akaniṣṭha (T. ‘og min, la terre de Vairocana), qui est un éveil manifeste en cinq phases[3] (S. abhisaṃbodhi T. mngon byang). Avant son « éveil manifeste », Siddhārta, le futur Śākyamuni, était un bodhisattva de la dixième terre, au corps mental (S. manomayakāya).

L’éveil manifeste ou concret (abhi-) est alors un retour volontaire à une existence "incarnée" dans un but altruiste. Le « trone », qui est sa deuxième phase, est constitué d’un disque lunaire, d’un disque solaire et du lotus. Il correspond à la réunion du sperme, de l’ovule et de la conscience de l’état intermédiaire (S. gandharva T. dri za), ou dans le cas d’un bodhisattva de la 10ème terre, son corps mental. Le « trône » est alors l’élément « physique », le corps natif (S. sahaja-kāya) sur lequel siège l’Éveillé. Celui-ci se munit d’un verbe, c'-est-à-dire entre un discours, dont sa forme physique sera le reflet.

Pour revenir sur le corps mental, dans le véhicule universel il correspond au nirvāṇa du « petit véhicule ». Gampopa, s’appuyant sur le Saddharmapuṇḍarīkasūtra ("Lotus") explique dans le Joyau ornement de la libération (T. thar rgyan) que les arhats ont acquis un corps éthéré (manomayakāya) grâce à leurs actes libres de toxines[4] (S. anāśravakarma T. zag pa med pa’i las). Leur absorption (S. samādhi) est libre de toxines (T. zag pa med pa’i ting nge ‘dzin), mais ils s’attachent encore à la notion du nirvāṇa.[5] C’est en sortant de cette absorption « mineure » que le bodhisattva s’éveille manifestement (S. abhisaṃbodhi).

Au sortir de l’absorption, où la conscience reposait comme en elle-même, elle resurgit pour se poser un objectif (S. cittotpāda T. sems bskyed), un double objectif (S. dvayārtha T. don gnyis), l’éveil complet et l’altruisme. Ordinairement, c’est la conscience mentale (manovijñāna) qui appréhende les dharma non toxiques (anāśrava) et qui prend conscience de l’objectif ultime (cittādhigama)[6]. Dans le cas d’un Éveillé, c’est l’intuition qui prend la relève, et celle-ci, selon les avis qui sont différents, efflue naturellement de son corps spirituel (dharmakāya) ou pas.

A chaque phase de cet éveil manifeste, entrée (provisoire) dans un discours, voire « incarnation », Siddhārtha reçoit un mantra (« cœur » T. snying po S. hṛdaya). La deuxième phase, correspond à l’éveil de la conscience mentale, ou à l’intuition correspondante, et à la fixation de son objectif (S. cittotpāda). Il reçoit alors le mantra hṛdaya « Oṃ bodhicittam utpādayāmi »[7], qu’il doit comprendre, selon Orna Almogi, comme « la conscience éveillée excellente-à-tous-égards » (S. samantabhadraṃ bodhicittam).[8] Suite à cela, Śākyamuni « perçoit cette essence (S. hṛdaya) comme la cause primaire à la fois de toutes les pensées parfaites de tous les êtres et comme l’essence de[9] l’Esprit de tous les tathāgata ». Selon Buddhaguhya, c'est la conscience éveillée sous son expression d’essence (S. hṛdaya) de l’Esprit des tathāgatas, qui contient la connaissance de tous les Omniscients (S. sarvajñāta).[10] Un omniscient étant celui qui connaît ou ce qui connaît dans tout type d'expérience.

Pour revenir sur la remarque que le mantra cœur « Oṃ bodhicittam utpādayāmi » doit être compris comme « la conscience éveillée excellente-à-tous-égards » (S. samantabhadraṃ bodhicittam), on ne trouve pas cette expression dans le Tattvasaṃgrahasūtra de Dīpaṅkaraśrījñāna/Atiśa. Skorupski l’aurait apparemment trouvé dans le Sarvasamayasaṃgraha (T. Dam tshig thams cad bsdus pa, Peking vol. 81, no. 4547, Dege toh: 3725). On y trouve en effet cette expression.
« [48A] D’autre part, tous les engagements sont compris dans la conscience éveillée (bodhicitta), et sont de quatre types : 1. La conscience éveillée, 2. La conscience éveillée insurpassable, 3. La conscience excellente-à-tous-égards (T. kun du bzang po'i sems) et 4. La conscience éveillée fulgurante (T. rdo rje byang chub kyi sems). »
Dans ce texte, Atiśa enchaîne ensuite sur les trois types de vœux (T. sdom gsum) et explique que les vœux de libération personnelle naissent de l’aspiration à la quiétude (nirvāṇa) (1), que l’engagement du bodhisattva naît de l’aspiration supérieure (2) (T. lhag pa'i bsam pa bzang po) et que l’engagement du mantrayāna naît de la bodhicitta fulgurante (4).

Il reste donc le quatrième type (3), qui est la conscience excellente-à-tous-égards (T. kun du bzang po'i sems) et qui n’est pas traité nommément. Il ne semble donc pas faire partie des trois types d’engagements (T. sdom gsum). Mais, après avoir précisé la liste des engagements du système des mantras, Dīpaṅkaraśrījñāna/Atiśa termine son texte par les vers suivants.
« Pour la réintégration du recueillement Pratiquez les phases de création et d’achèvement. Au moment de la réintégration du quotidien (T. spyod lam) Extérieur et intérieur ne sont pas autres, Mais la conscience même, le divin même, l’illusion même[11] Ils sont La Lumière et son rayonnement, le fond de l’égalité Ou encore les quatres puretés (dag pa bzhi[12])
Jour et nuit, toujours En chaque instant de conscience En imaginant (T. mos) cela Alors, même sans avoir la force du vajra Les apparences seront consacrées Ce type de mantrika (T. sngags pa) Ne risque pas d’endommager ses engagements. »[13]
Le texte sur les différents types d’engagements commence par un hommage à l’être fulgurant (vajrasattva), le modèle du bodhisattva pratiquant de mantras. Celui-ci est donc doté des trois types de vœux : libération personnelle (pratimokṣa), bodhisattva et samaya. Mais Atiśa rappelle aussi un propos d’Ārya Nāgārjuna, qui avait dit « qu'en accédant tout (sarva) dans le corps spirituel, [tout] sera frappé par le sceau excellent-à-tous égards (samantabhadra) et on sera estimé (bkur) par tous les grands dieux mondains liés (samaya) avec leurs suites et dotés d'efficience (adhiṣṭhāna). »[14] Voir un autre texte d'Atiśa, sur la même longueur d'onde et toujours dans le sillage d'Ārya Nāgārjuna.

A la fin du texte, qui semble être destiné aux « mantrikas » (T. sngags pa) laïques, il rappelle, peut-être, qu’au cours de la pratique (phases de génération et d’achèvement), on est encadré par les trois types de vœux, mais qu’au moment des activités quotidiennes, à condition de garder conscience de la nature de toute chose (conscience, divin, illusion…), on n’endommagera pas ses engagements, étant justement sous le sceau excellent-à-tous-égards (samantabhadra), et les apparences seront consacrées/sacrées, même « sans avoir la force du vajra ».

Rappelons qu’Atiśa était appelé au Tibet pour remettre de l’ordre. Les désordres étant causés, au Tibet occidental, par le manque d’une autorité religieuse et la constitution de groupes autour de « mantrikas » laïques, quelquefois appelés « religions de village ». Celles-ci étaient caractérisées, par leurs adversaires, comme étant des cultes « libres d’engagements », conformément qux instructions d’un texte comme le Discours du roi pancréateur. Atiśa rappelle dans ce texte, que même les « mantrikas » sont soumis à des engagements de mantras bien précis, qui ne permettent pas les « désordres » qui leur sont reprochés. Et que les vœux relatifs aux mantras reposent sur les vœux de bodhisattva, qui reposent à leur tour sur les vœux de libération personnelle. Il encadre donc la liberté universelle (mahāsukha) par les trois types de vœux. Mais il laisse néanmoins transparaître, qu’à condition de les frapper par le sceau excellent-à-tous-égards (samantabhadra), toutes les apparences sont sacrées. Et que la conscience excellente-à-tous égards (samantabhadraṃ bodhicittam) n’est pas relié à un type d’engagement, comme c’est le cas pour les autres trois types de bodhicitta. Disons que si la troisième voie de la (re)connaissance, n'était pas encore officiellement enseignée, peut-être à cause de certaines résistances, elle était là potentiellement. En même temps, ces vers semblent faire référence au débat sur le recueillement et le post-recueillement et l'absence de séparation entre les deux, dans l'expérience de la mahāmudrā et des suiveurs de la conscience [éveillée] (T. sems sde). 


MàJ290612 Lien vers un article intéressant (en anglais) de Jayarava sur l'origine du mantra-coeur de Vajrasattva, qui provient du Tattvasaṃgrahasūtra cité au début du blog ci-dessus.



[1] de bzhin gshegs pa thams cad kyi de kho na nyid bsdus pa theg pa chen po mngon par rtogs pa zhes bya ba'i rgyud kyi bshad pa de kho na nyid snang bar byed pa zhes bya ba (vol. shi) p. 94b gang gi phyir dkyil 'khor bsgrub pa dang phyag rgya chen po bsgrub pas mngon par byang chub pa mngon sum du byed pa'i dus su 'di rdo rje rin chen las skye bar bzhed pa yin no/ /de'i phyir rdo rje rin po che'i skye gnas la rdo rje snying po zhes brjod de mtshan brgyad yin no
[2] Buddhism: Critical Concepts In Religious Studies, Paul Williams, p. 403
[3] la vacuité, « le trône » (disque lunaire, solaire et lotus), la syllabe-germe, l’attribut symbolique, et la manifestation complète.
[4] Les quatre toxines (S. sāśrava) 1. désir sensuel (P. kāmāsava), 2. désir de l'existence (P. bhāvāsava), 3. opinions (P. diṭṭhāsava) 4. ignorance (P. avijjāsava)>
[5] Guenther, p. 5
[6] C’est l’opinion de Vimuktisena. Consciousness and Luminosity in Indian and Tibetan Buddhism,
[7] P. 240b Les cinq Cœurs sont : aoM tsitta pra ti be d+haM kA ro mi/ aoM bo d+hi tsitta autpA da ya mi/ aoM tiShTha badzra/ aoM badzra aAtma ko&aaMp;haM/ aoM ya tha sarbba ta thA ga ta ta stha aa haM
[8] Orna Almogi, Rong-zom-pa’s Discourses on Buddhology, p. 83, s’appuyant sur Tadeusz Skorupski’s Śākyamuni’s Enlightenment according to the YogaTantra, Saṃbhāṣā 6, 1985, pp. 87-94 et sur Dorji Wangchuk, The Resolve to Become a Buddha : a study of the Bodhicitta concept, 2007. Je n’ai pas retrouvé cette explication dans le texte tibétain du tantra. Dans son article Consciousness and Luminosity in Indian and Tibetan Buddhism, Tadeusz Skorupsk écrit : « In some texts the bodhictta is said to be fourfold: all the samayas are comprised in the bodhicitta which is fourfold, namely  bodhicitta, anuttara bodhicitta, Samantabhadra's  bodhicitta, and  vajrabodhicitta. Dīpaṅkaraśrījñāna, Sarvasamayasaṃgraha (T. Dam tshig thams cad bsdus pa,P vol. 81, no. 4547), TTP, vol. 81, (No 4547, p. 209.4.6-212.1) p. 211.3. In another text it is said that the benefit of monastic vows is the attainment arhatship, that of bodhicitta is the attainment of buddhahood, and that of the vidyādhara vow is the attainment of buddhahood in this very life. » Dege (toh: 3725) 48A/gzhan yang dam tshig thams cad ni byang chub kyi sems su 'dus te de yang rnam pa bzhi'o/ /byang chub kyi sems dang bla na med pa byang chub kyi sems dang kun du bzang po'i sems dang rdo rje byang chub kyi sems so/ … /de la so sor thar pa'i sdom pa ni mya ngan las 'das pa'i bsam pa brtan po las skye'o/ /byang chub sems dpa'i sdom pa ni lhag pa'i bsam pa bzang po las skye'o/ /gsang sngags kyi sdom pa ni rdo rje byang chub kyi sems las skye'o/ /
[9] Orna Almogi, p. 83
[10] Almogi p. 84/Skorupski 1985, p. 91
[11] En fonction de la pratique spécifique de recueillement
[12] Le support physique (rten, lus), l'objet (dmigs pa), l'Esprit/la conscience (thugs, sems), l'intuition (ye shes)
[13] mnyam par gzhag pa'i rnal 'byor ni;
bskyed dang rdzogs pa'i ting 'dzin bsgom //
spyod lam rnal 'byor dus su ni //
phyi nang thams cad gzhan min te //
sems nyid lha nyid sgyu ma nyid //
'od gsal yin te mnyam nyid gzhi //
dag pa bzhi yang de nyid yin //
nyin dang mtshan mo rtag par ni //
sems kyi skad cig re re la //
de ltar mos pa yang yang bya //
rdo rje shugs dang mi ldan yang //
snang ba byin gyis brlabs pa yin //
de lta bu yi sngags pa ni //
dam tshig nyams pa'i dogs pa med //
[14] 'di skad du 'phags pa klu sgrub kyi zhal snga nas thams cad chos kyi skur rtogs pas kun du bzang po'i rgyas thebs pa dang 'jig rten gyi lha chen po dam tshig can 'khor dang bcas pas bkur gnas byed pas byin gyis brlabs dang ldan pa dang/

mardi 26 juin 2012

Le singe, le chat, le village fantôme et le trésor du roi




Rongzompa, Theg tshul pp. 312-317

[312 :3] Qu'en est-il des absorptions du Bienheureux sur la saisie, la catégorisation, la fermeture et l'ouverture ?
Voici les propos de l'Éveillé :
« Même si c'est le singe concupiscent qui veut saisir [les objets]
C'est le chat voleur qui met à exécution l'acte.
Des maisons vides démontées pièce par pièce
On ferme la porte (T. gser/gseb khung) et les fenêtres.
Mais quand la chambre de trésor royal est ouverte
[Les richesses] sont depuis toujours éveillées. »
A propos du singe concupiscent qui saisit[1].
Il veut saisir tout ce qu'il estime digne d'être saisi parmi les faits (dharma) des [cinq] appropriations (skandha), des [dix-huit] éléments (dhātu) et les [douze] domaines psychosensoriels (āyatana). Aussi, la conscience mentale (mano-vijñāna) est comme le singe concupiscent. [313] Même si elle cible spécifiquement l'objet réel (artha) en passant par la logique (nyāya), elle ne pourra pas l'atteindre.
L'objet réel, sans avoir à passer par la logique, et sans que celui-ci y soit incité, se dévoile de lui-même. Il faut donc faire entrer dans le récipient de l'attention vigilante, celui qui commet toujours des fautes ('phyan pa = 'phan pa) sans raison. Ainsi, il ne sera plus perturbé par autre chose [à l'extérieur].

A propos du chat voleur qui catégorise[2].
De la même façon, il catégorise parmi les faits ceux qu'il estime dignes d'être catégorisés. Par exemple, un chat, en agissant très agilement et doucement, sans que l'autre [animal] s'en aperçoive, lui dérobe de sa vie. Il en va de même de la conscience affligée (kliṣṭa-citta). D'une façon très manipulatrice et subtile, quand la conscience réceptacle est tournée vers l'intérieur, elle la fait se [mé]prendre pour un soi. Cela suscite une idée similaire, quand la conscience mentale se tourne vers les perceptions sensorielles du monde. Tout (sarva) en devient alors contaminé et tombe sous son influence.
De ce fait, si on n'applique pas à tous les faits mentaux (S. dharma) la perspective (S. dhāraṇī) du discernement (S. prajñā) qui accède à l'absence de soi (P. anatta), l'opportunité de s'en libérer ne se présentera jamais. C'est l'approche du discernement lucide (vipaśyanā). La précédante [le singe] étant celle du repos mental (śamatha).

A propos des maisons vides démontées pièce par pièce.
Les [cinq] appropriations (skandha) et les [douze] domaines psychosensoriels (āyatana) sont des maisons vides. N'ayant plus de propriétaires, elles forment un village fantome. Elles sont démontées, car aucune essence propre ne peut y être avérée. La substance (T. nyid S. tva, -tā) de ce village fantome vide peut être comprise comme étant semblable à celle de l'espace. Cela aussi est l'approche du discernement lucide (vipaśyanā).

A propos des portes et fenêtres fermées.
Les cinq portes [sensorielles] sont les perceptions sensorielles. Ce qui se présente devant les fenêtres des cinq facultés sensorielles nous disperse naturellement. C'est par force de la conscience mentale coordinatrice où [les perceptions sensorielles] se regroupent, que [les portes et fenètres] sont fermées, en ne se laissant pas distraire (T. 'phro ba). C'est de nouveu l'approche du repos mental (śamatha).

A propos de l'ouverture de la chambre de trésor royal.
C'est ainsi qu'on appelle l'expertise en les caractéristiques (S. lakṣaṇa) de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Par exemple, la chambre de trésor royal contient des richesses d'une valeur inestimable comme les pierres précieses etc. Mais aussi des substances dangereuses etc. comme substances médicinales.
De même, la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna) est un trésor qui contient à la fois des qualités contaminées (sāsrava = ici : dualistes) et non-contaminées (S. anāsrava). Elle est le réceptacle (T. gnas) de tous les connaissables (S. sarva-jñeya).
Dans les approches des véhicules inférieurs, les caractéristiques (S. lakṣaṇa) du réceptacle de tout (ālaya) évoluent et aboutissent dans l'essence de l'enchainement causal de toutes les qualités contaminées (S. sāsrava) [315]. Comme des fruits qui mûrissent [à partir de graines etc.].
Mais [la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna)] n'est que le support et le réceptacle des [qualités] non-contaminées (anāsrava). En cela, elle est comme un vase contaminé (T. dug) contenant le remède.
Fin de l'explication.

L'approche des véhicules supérieurs[3] est différente.
Les caractéristiques (S. lakṣaṇa) du réceptacle (ālaya) sont dès l'origine authentiques (śuddha) dans la nature du Coeur de la conscience éveillée (bodhicitta), ce qui leur fait dire que « Le réceptacle (ālaya) est la conscience éveillée (bodhicitta) ». Les afflicitions (kleśa) et les dispositions inconscientes négatives (S. dauṣṭhulya) sont des souillures (S. mala) accidentelles. C'est comme de l'or recouvert de saleté (T. gya'). Ou comme une pierre précieuse enfouie dans la boue. Leurs qualités ne peuvent pas se manifester, mais leur matière propre (svabhāva) reste inaltérée.
Voici les propos de l'Éveillé :
[Extrait] de la Structure fulgurante (T. rdo rje bkod pa)[4] :
«  Le joyau flamboyant de la lampe
Même enfoui dans la boue d'un lieu insalubre
Ses propres qualités restent visibles à lui-même
Sa lumière éclairant l'espace
Il en va de même pour le joyau de la conscience-en-soi (cittatva).
Même enfoui dans un corps insalubre du saṃsāra
Sa nature est toujours la Lumière rayonnante
Son discernement éclairant l'espace du fond des choses (S. dharmatā). »
Pour résumer, en tous les cas, tous les faits positifs et négatifs (litt. blancs et noirs) ne sont que le reflet de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Ces reflets apparaissent à cause des traces (S. vāsanā) de schémas inconscients (saṃskāra). Tout en apparaissant, [ces reflets] ne sont pas pour autant existants. Si on aborde tous les faits par leur nature naturellement quiescente (S. nirvāṇa), on aura réussi à ouvrir la chambre de trésor royal.
A partir de là, le singe peut saisir [les objets sensoriels] [en toute tranquillité], et le chat peut catégoriser [à volonté]. Les maisons vides continuent à être démontées. Et leurs portes à être fermées. Avec une telle attitude, on n'aura pas besoin de chercher ailleurs le chemin vers l'éveil. »



[1] Quand la conscience se tourne vers l’extérieur.
[2] Quand la conscience se tourne vers l’intérieur.
[3] Véhicules supérieurs, car s’appuyant sur la doctrine de la nature éveillée. Ratnagotravibhāga.
[4] La source est indiquée par une note ajoutée (mchan).

Texte tibétain (theg tshul, Rongzompa) en Wylie

\[312 :3] de la bzung brtags bkag phye bcom pa dang ldan pa’i ting nge ‘dzin gang zhe na/
‘di skad du//
gtogs ‘dod spre’u ‘di bzung na kyang*/
rkun mo byi la btags byas ste//
khang stong phang phung kun bshig nas//
gser khung skar khung kun bkag ste//
rgyal po’i dkor mdzod kha phye na//
de dag rtag tu sangs rgyas yin//
zhes gsungs pa  ste//
de la gtogs ‘dod spre’u gzung ba ni/
phung po dang khams dang skye mched kyi chos las gzung bar ‘os pa gzung ba ste/
‘di ltar yid kyi rnam par shes pa spre’u’i gtogs \[313] ‘dod ltar/
rigs pa dang ldan pa’i don la ni ched du gtad kyang ‘jug par mi nus/
rigs pa dang mi ldan pa’i don la ni skul ba med par rang zhugs byed de/
rtag tu don med par ‘phyan pa ‘di shes bzhin dran pa’i snod du bcug ste/
gzhan du mi g.yo bar bsdam dgos so//
rkun mo byi la gdags pa ni/
de bzhin du chos rnams las gdags par ‘os pa gdags pa ste/
dper na byi la ni shin du dal zhing ‘jam pa’i spyod pas/
gzhan kyi ma tshor bar zghan gyi srog rku bar byed do/
de bzhin du nyon mongs pa can gyi yid ni/
shin tu rgyu ba phra ba’i tshul gyis kun gzhi la kha nang du bltas te bdag du rlom sems pas/
de’i dbang gis yid kyi rnam par shes pa’ang ‘jig tshogs la lta ba dang mtshungs par ldan par skye ste/
thams cad zag pa dang bcas pa par byin kyis rlobs par byed do/
de bas na ‘di chos thams cad la bdag med par rtogs pa’i shes rab kyi gzungs kyis ma btags na/
rnam yang thar pa’i go skabs mi ‘byed do//
‘di ni lhag mthong spyod pa yin no//
snga ma ni zhi gnas spyod pa yin no//
khang stong phang phung \[314] bshig pa ni/
phung po dang skye mched kyi grong stong pa shig pa ste/
‘di rnams la bdag po med pas grong stong yin te/
rang gi ngo bo yang ma grub par bshig pas grong stong nyid kyang med de nam mkha’ lta bu rtogs par bya’o//
’di yang lhag mthong spyod pa’o/
Gseb khung skar khung dgag pa ni//
sgo lnga’i rnam par shes pa ste//
dbang po lnga’i skar khung nas byung nas yul la rang bzhin gyis gyeng ba ’di dag yid nang du bsdus pa’i mthus bkag ste//
mi ‘phro bar byas pa ste/
‘di yang zhi gnas spyod pa yin no/
rgyal po’i dkor mdzod kha phye zhes bya ba ni/
kun gzhi rnam par shes pa’i mtshan nyid la mkhas pa’ byas pa ste/
dper na rgyal po’i mdzod na nor bu rin po che la sogs pa nor rin thang med pa’ang yod la/
dug la sogs pas dman pa’i rdzas kyang yod do//
de bzhin du kun gzhi rnam par shes pa ni zag pa dang bcas pa dang*/ zag pa med pa’i chos thams cad kyi mdzod yin te//
shes bya thams cad kyi gnas yin no//
de yang theg pa ‘og ma pa’i tshul gyis/
kung gzhi’i mtshan nyid ni zag pa dang bcas pa’i chos thams cad kyi rgyu dang ‘bras \[315] bu’i ngo bor gnas shing smin pa yin pas/
shing thog smin pa dang ‘dra la/
zag pa med pa rnams kyi ni rten dang gnas tsam yin te/
dug gi bum pa’i nang na sman gnas pa lta bu’o//
zhes bshad//
theg pa gong ma’i tshul las ni/
kun gzhi’i mtshan nyid ni gdod ma nas byang chub kyi snying po’i rang bzhin du dag pa yin pas kun gzhi byang chub kyi sems zhes bya la/
nyon mongs pa dang gnas ngan len kyi bag chags ni blo bur gyi dri ma ste/
gser gyas gyogs pa’am/
nor bu rin po che’i che ‘dam du bsubs pa bzhin yon tan chung zad mi snang bar zad de/
rang bzhin nyams par byas pa med do/
ji skad du//
rdo rje bkod pa las sgron ma ‘bar ba’i rin chen ni//
gnas ngan ‘dam du bying ‘gyur yang*//
de nyid yon tan rang snang bas//
‘od ni mkha’ la gsal ba yin//
de bzhin sems nyid rin po che//
lus ngan ‘khor bar bying ‘gyur yang*//
de nyid rang bzhin ‘od gsal bas//
shes rab chos nyid mkha’ la gsal//
zhes gsungs pa lta bu yin no//
mdor na gang ltar yang rung ste dkar nag gi chos thams cad kun gzhi rnam par shes pa’i sngang ba tsam yin la//
snang ba de’ang ‘du’ byed \[315] kyi bag chags kyi dbang gis snang ba yin te/
ji ltar snang ba de bzhin yod pa ma yin pas//
chos thams cad rang bzhin gyi mya ngan ‘das par rtogs na//
rgyal po’i dkor mdzod kha phye ba yin te//
de’i tshe spre’u yang bzung ba yin no//
byi la yang btags pa yin no//
khang stong yang bshigs pa yin no//
skar khung yang khegs pa yin no//
‘di lta bu’i blo dang ldan na sangs rgyas kyi lam gzhan nas btsal mi dgos so zhe’o/

lundi 25 juin 2012

L'île d'or




Extrait de L'entrée dans le véhicule universel (T. theg pa chen po’i tshul la ‘jug pa zhes bya ba’i bstan bcos bzhugs so[1], pp. 205-207) de Rongzom Cheukyi Zangpo (1012–1088).
« Maintenant, l'entrée dans le trajet de la Complétude universelle. Il existe de nombreux textes qui montrent les différentes façons d'entrer dans la Complétude universelle, mais on peut les résumer en quatre.
1. La nature de la conscience éveillée,
2. L'universalité de la conscience éveillée,
3. Les déviations et les obnubilations relatives à la conscience éveillée,
4. La méthode pour fixer la conscience éveillée.
L'envergure et les déviations et obnubilations, se révèlent naturellement. Par leur révélation naturelle, on accède à l'universalité et les déviations et obnubilations se retranchent. Les textes canoniques n'expliquent donc rien de spécifique à leur sujet, mais ne les transgressent jamais.
En résumé, [d'abord] 1. la nature de la conscience éveillée.
La conscience éveillée est l'indifférenciation de tous les faits (S. dharma) extérieurs et intérieurs du monde, qui, dans la nature de l'éveil au Cœur sont éveillées[2] depuis l'origine. [206] C'est-à-dire qu'en absence de quelque chose à accomplir en intervenant et en corrigeant, il n'y a plus rien à chercher, puisque tout se déploie de façon impromptue.
2. L'universalité de la conscience éveillée.Par exemple, sur une île où tout est en or, même le mot « pépite » [d'or] n'existe pas, puisque tout est en or. De même, dans tous les faits, résumés en les [faits] extérieurs et intérieurs du monde, les mots « cycle existentiel » et « destinées inférieures » n'existent pas, puisque tout n'étant autre que l'ornement[3] du Jeu excellent-à-tous-égards (samantabhadra) qui est sans restriction, les apparences sont l'universalité du tathāgata.
3. Les déviations et les obnubilations relatives à la conscience éveillée.
Les gens tournés vers le monde qui n'y ont pas accès où qui s'y méprennent, évoluent dans les doctrines et les ascèses des véhicules inférieurs. En résumé, il y a trente déviations et obnubilations.
4. La méthode pour fixer la conscience éveillée. Quand des chercheurs à l'esprit ouvert sont pris en charge en tant que destinataires du sens de la complétude universelle, ils resteront dans l'état continu d'équanimité universelle. Les termes qui expliquent la complétude universelle de cette façon, peuvent être dits de façon universelle ou grossière, mais [au fond] ils sont subtils et apaisés, tout comme l'espace. Tandis que l'approche des véhicules se veut subtile, en parlant d'apaisement et de quiétude, mais [en fait] elle est grossière et exubérante (T. bdo), comme un tas de poussière. De ce fait, cette approche de la complétude universelle doit être suivie avec un intellect à la fois profond et subtil. »
L’exemple de l’île d’or (S. Suvarṇadvīpa), un genre d’Eldorado, où tout est fait avec de l’or est souvent repris. Difficile d’échapper à l’idée d’une « matière première » ou essence… Ne nous rendons pas coupable de syncrétisme en mettant en équivalence la conscience éveillée (bodhicitta) et le Soi.
« 389. Le Soi est au-dedans, le Soi est au dehors ;
Le Soi est par devant ; le Soi est par derrière ;
Le Soi est au nord ; le Soi est au sud ;
Le Soi est au-dessus ; le Soi est au-dessous. »
« 390. Vague, flocon d’écume, tourbillon, bulle, etc…., tout n’est, en fin de compte, que de l’eau.
Et cet univers, du corps grossier jusqu’au sentiment du moi
N’a pas d’autre substance que l’intelligence absolue (cit).
Tout ce qui existe est, en vérité, Intelligence pure, Intelligence homogène. »
« 391. Tout cet univers, connu par le langage et le mental, n’est rien d’autre que Brahman ;
Rien n’existe hors Brahman, lequel demeure par delà les sphères les plus subtiles de la prakti.
En quoi la cruche, le pichet, ou la jarre, etc..., diffèrent-ils de l’argile qui est leur substance commune ?
Pour parler de ‘toi’ et de ‘moi’, il faut vraiment que l’homme, enivré par le vin de māyā, ait perdu la raison ! »[4]
Le thème d’une matière première est repris par Advayavajra dans son Commentaire sur les Distiques de Saraha (DKG 74) pour expliquer la saveur identique (S. ekarasa) :
« Comme l’élément des choses (S. dharmadhātu) est parfait (S. viśuddha T. rnam par dag pa), même si la diversité du monde émerge de la conscience, son expérience (S. rasa) n'en sera pas différente. Par exemple, si l'on fabrique des figurines de chevaux et d'éléphants avec de la mélasse, celles-ci auront toujours la même saveur (S. rasa). De même, en remémorant la diversité du monde dans la nature spontanée de tous les phénomènes, [cette remémoration] se dissout dans l'élément réel (S. tathātā-dhātu). »
L’eau, l’argile, la mélasse comme matière première primordiale (S. prakti, māyā). Mais aussi de l’or dans le Aṣṭāvakra-saṃhitā :
« Dans ce que tu perçois, c’est toi seul qui te montres. L’or est-il différent dans un collier, une parure ou une bague?      ||14|| « Je suis ceci, je ne suis pas cela », renonce à ces répartitions, vois bien que ton être est tout. Libre alors de toute opinion, va en toute tranquillité.      ||15|| »[5]
Le thème de l’île d’or est repris dans le Tantra du miroir de l’Esprit excellent-à-tous-égards (T. Kun tu bzang po thugs kyi me long gi rgyud) :
« Dans l’autoconnaissance, l’état continu de l’éveil, le monde entier est contenu
Dans l’autoconnaissance, le déploiement impromptu continu, les fruits sont recueillis sans agir
Dans l’autoconnaissance, l’état continu de la vacuité, l’intuition est reflétée en ornements
Dans l’état continu de la non-saisie des reflets, l’autoconnaissance reste sans différencier
Dans l’état continu de l’union indivisible des apparences et de la vacuité, l’autoconnaissance reste isolé du tout (sarva)[6] C’est comme si on arrivait sur une île d’or précieux
Où sans discerner de la poudre et des pépites, toute apparence est de l’or
Ainsi, l’accès à l’objet réel (artha) excellent-à-tous-égards, se transforme en l’intuition discursive (S. vikalpajñāna). »[7]
Il se retrouve dans l’approche de la complétude universelle du Bön éternel. Par exemple dans Le rugissement du lion de la Vue (T. Lta ba seng ge sgra bsgrags)[8] :
« Dans l’objet réel (S. artha) de l’état d’égalité
Reposez-vous comme un éléphant imperturbable
Et vous finirez par obtenir le sceau de l’espace
Vous serez comme sur une île d’or sans [discerner] les pépites
Ainsi, les défauts des autres véhicules [inférieurs] sont purifiés
Et neutralisés naturellement sans avoir à les abandonner
Tandis que les qualités des autres véhicules
Se déploieront de façon impromptue sans le moindre effort
Par conséquent, on aura obtenu le statut de roi de l’égalité . »[9]

Khyoungpo Neldjor (Khyung po rnal 'byor 1050 - 1135/1140), qui est à l'origine de la lignée Shangpa, avait été élevé dans la religion Bön, qu'il enseigna avant de devenir le détenteur des enseignements de Niguma. Dans un des chants de Niguma apparaît une référence à l'île d'or[10]:
« Celui qui reconnaît les degrés de manifestation (S. tattva) de la conscience
Même s’il utilise les cinq sens
Ne s’écarte jamais du fond des choses
C’est comme s’il était arrivé sur une île d’or
Où il ne trouve ni poudre ni pépites, même en les cherchant
Dans l’universel élément des choses (dharmadhātu), l’égalité,
Il n’y a rien à exclure, ni à choisir, ni recueillement, ni recueillement associé
Au moment où il se manifeste
Tout se déploiera de façon impromptue. »[11]
Finalement, Longchenpa, dans le Précieux trésor du processus fondamental (T. gnas lugs mdzod), en énumérant les dix aspects de la nature (T. rang bzhin rnam bcu), utilise l’image de l’île d’or, pour le dixième et dernier aspect.
«  (10) Semblable à l'île d'or, il est le Flux (T.klong) où toute division et élimination sont obsolètes. »[12]
Autre référence hathayoguique.

« LE CENTRE DE L’AUTEL DES JOYAUX (maṇi-pītha cakra)

Selon certains yogis, au-dessus des sept enveloppes se trouve le Centre de l’Autel des Joyaux. Il a douze pétales, et renferme un triangle à l’intérieur duquel est l’autel sacré des joyaux (maṇi-pītha). Là se trouve l’Ile-joyau (maṇi-dvīpa), entourée de toutes parts par l’Océan d’Ambroisie (amṛta-arnava). Au sommet de ce triangle se trouve le point-limite (bindu), d’où commence la manifestation, et sous lequel se trouve le Seigneur Transcendant du Sommeil (Parama Śiva), avec la portion de lui-même appelée Eros (kāma kalā). Dans les deux autres angles du triangle se trouvent le Soleil et la Lune, qui ont ensemble seize parties. La dix-septième est la partie Vie (jivana-kalā). »

Alain Danielou, Yoga, méthode de réintégration, p. 210

NB. Suvarnabhumi, les terres d'or : Java, Sumatra, le Cambodge et Bali.



[1] Version TBRC W27479-4344-49-343
[2] Les faits, ce sont les dharma en tant qu'objets de la conscience mentale, et qui sont donc de nature intelligible. Quand il n'y a pas de différenciation entre dharma extérieurs et intérieurs, entre un objet et un sujet, ces notions deviennent obsolètes. Comment dire alors ce qui est extérieur et intérieur, objet et sujet ? Quand les divisons tombent en ce qui était perçu de façon dualiste auparavant, il ne reste plus qu'un éveil universel.
[3] L’idée d’une « matière première » (T. rgyu, rang bzhin), ici l’élement des choses (dharmadhātu), à savoir toutes les expériences psychosensorielles, et « les formes » particulières que prennent ces expériences. Les formes particulières des expériences sont comme des ornements fabriquées avec leur « matière première ». Si l’argile est la matière première, tout ce que l’on modèle avec est un ornement.
[4] Le plus beau fleuron de la discrimination (Viveka-cūa-mai), trad. Marcel Sauton, p. 103
[5] Traduction d’Alain Porte
[6] Le tout (sarva) étant le tout perceptible : le sensible et l’intelligible.
[7] rig pa byang chub ngang la snang srid thams cad 'dus pas kun
rig pa lhun grub ngang la 'bras bu byar med dril bas tu
rig pa stong pa'i ngang las ye shes gsal bas brgyan pas tu
gsal ba 'dzin med ngang la rig pa rtog med bzhag pas tu
snang stong dbyer med ngang las rig pa kun bral bzhag pas tu
dper na rin chen gser gling phyin pa bzhin
sa rdo'i bag med snang ba gser du 'gyur
de bzhin kun tu bzang po'i don rtogs rnam rtog ye shes 'gyur
[8] The Philosophical View of the Great Perfection in the Tibetan Bon Religion par Donatella Rossi
[9] Mnyam pa nyid kyi don de la//
glang chen ma bskyod rnal mar zhog/
mthar ni nam mkha’i rgya yis thob//
dper na gser gling rdo med ltar//
theg pa gzhan gyi skyon dag dang*//
spang ba med par ngang gis zhi//
theg pa gzhan gyi yon tan kyang*//
‘bad pa med par lhun gyis grub//
des na mnyam pa’i rgyal po thob//
[10] Les Chants de l’immortalité, P. 58
[11] sems kyi de nyid shes pa des//'dod yon lnga la spyad gyur kyang //chos nyid ngang las g.yos pa med//dper na gser gling phyin pa yis//sa rdo btsal yang mi rnyed ltar//mnyam nyid chos dbyings chen po la//spang blang mnyam bzhag rjes thob med//gang gi tshe na mngon du 'gyur//de tshe lhun gyis grub par gyur//
[12] gser gling lta bur dbye bsal med pa'i klong*//

Texte tibétain Rongzompa (theg tshul) en Wylie

Da ni rdzogs pa chen po’i gzhung nyid la ‘jug par bya ste/ /
de la rdzogs pa chen po’i tshul rigs ston pa’i gzhung ji snyed pa thams cad las kyang*/
don mdor bsdu’ na rnam pa bzhir ‘dus te/ /
‘di ltar byang chub sems kyi rang bzhin bstan pa dang*/
byang chub sems kyi che ba bstan pa dang*/
byang chub sems kyi gol sgrib bstan pa dang*/
byang chub sems kyi ghzag thabs bstan pa’o[1}/ /
de la che ba dang gol sgrib bstan pas kyang rang bzhin bstan par ‘gyur/ /
rang bzhin bstan pas kyang che ba rtogs shing gol sgrib chod par ‘gyur te/ /
de bas na gzhung rnams las kyang lhag par ‘di ltar gud du phye zhing bstan pa’ang med la/ ‘di rnams las ‘da’ ba’ang med do/ /
de la mdor bsdu’ na byang chub sems kyi rang bzhin ni/ phyi nang snang srid chos thams cad gnyis su med pa’i byang chub kyi sems/ snying po byang chub kyi rang bzhin du gdod ma nyid nas sangs rgyas te/ /
da lam gyis \[206] bcos zhing gnyen pos bsgrub du med de brtsal ba med par lhun gyis grub pa’o/ /
byang chub sems kyi che ba ni/ /
dper na rin po che gser gling nas rdo ming yang med do//
thams cad gser gyi rang bzhin du gnas pa bzhin du/ phyi nang snang srid kyis bsdus pa’i chos thams cad la/ ‘khor ba dang ngan song la stsogs te nyes skyong gyi chos su btags pa ni ming tsam yang med de/ thams cad kun tu bzang po’i rol pa’i rgyan ma ‘gags pa tsam du snang ba de bzhin gshegs pa’i che ba nyid do//
byang chub sems kyi gol sgrib ni/ de ltar ma rtogs pa dang log par rtogs pa’i rjig rten pa nas theg pa ‘og ma pa’i lta spyod thams cad yin te/ mdor bsdus na gol sgrib sum bcu’ lta bu’o/ /
byang chub sems kyi gzhag thabs ni/ rnal ‘byor gyi skyes bu blo yang rab tu gyur pa gang gis/ rdzogs pa chen po’i don ji lta ba bzhin du shes bzhin chen po’i snod kyis bzung bas btang snyoms chen po’i ngang la gnas pa’o/ ‘di lta bur ston pa’i rdzogs pa chen po’i tshig ‘di dag kyang*/
che che rags rags skad du smra'ang*/
‘phra’ zhing zhi ste nam mkha’i khams dang ‘dra’ la/ theg pa ‘og ma pa’i tshul \[207] ni ‘phra’ zhing zhi zhi skad du smra yang rags shing bdo ste/ /
rdul gyi phung po bzhin no/ de bas na rdzogs pa chen po’i tshul ‘di la blo yangs pa zab pa ‘phra’ bas brteg dgos so/