Madeleine Biardeau (1922-2010) explique dans L’Hindouisme, anthropologie d’une civilisation, que l’absolu en Inde n’a pas un seul nom (Dieu), mais au moins deux noms, le Brahman et le Puruṣa. Le Brahman est l’indifférencié qui est Être pur, Conscience pure et Illimité[1], ou Béatitude. Le Puruṣa est l’Homme cosmique, ou « le Mâle », qui par son sacrifice[2] crée le cosmos. Par le dépècement de son corps dans l’acte sacrificiel (karma) naissent les êtres animés, à commencer par les quatre castes (varṇa) humaines. L’acte créateur est un sacrifice, renouvelé pas les rites dont les brāhmanes sont les prêtres.
Avec l’apparition des sectes de renonçants, un éloignement du modèle sacrificiel se dessine, y compris chez les brāhmanes. Dans les upaniṣad, on trouve toujours les deux noms de l’absolu, qui vont correspondre à deux itinéraires distincts. Une voie de la connaissance, plutôt moniste, qui mène à la connaissance de l’identité du Brahman et de l’ātman, qui selon Biardeau aurait sa charte dans le chapitre VI de la Chāndogya-upaniṣad. Et une voie plutôt technique (yoga), qui prendra pour modèle (Īśvara) Viṣṇu (Kaṭha-upaniṣad) ou Śiva (Śvetāśvatara-upaniṣad). C’est une approche plus dualiste, avec une relation entre l’adepte et le Seigneur, où la bhakti et la grâce sont monnaie d’échange. Même si elle peut avoir des variations non-dualistes.
Le yoga, surtout après l’avènement des tantras, devient une intériorisation du sacrifice de l’Homme cosmique, et cherchera a reconstituer le corps divin immortel. L’édification d’un corps immortel (kāyasādhana, notamment des yogis nāth) s’inscrit dans l’itinéraire de type Puruṣa. Dans le bouddhisme tantrique, on le retrouve dans les approches du Kālacakra et de l’essence séminale (snying thig). Selon le Śrī Kālacakratantra par exemple, aucune perfection (siddhi) n’est possible sans le corps et la béatitude suprême ne peut pas être atteinte sans le corps. C’est pourquoi le corps [subtil] avec son système de nāḍī est si important pour le yoga. Avec la perfection du corps, on aura accès à toutes les perfections des trois mondes[3]. Car tout, y compris le temps (les jours, les nuits, les mois, les années etc.) est contenu dans le corps, et on y accèderait par la maîtrise du souffle vital (prāṇa-vāyu) et autres techniques yoguiques
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[1] "Stong pa, gsal ba, ma ‘gags pa"
[2] Ṛg-veda X.90
[3] « kāya-bhāve na siddhir na ca parama-sukhaṁ prāpyate janmanī ha // tasmāt kāya-ṛtha-hetoh pratidina-samaye bhāvayet nāḍī-yogam / kāye siddhe anya-siddhis tribhuvana-nilaye kiṅkaratvaṁ prayāti// » Śrī Kālacakratantra, MS. [Cambridge, Add. 236 (4) p. 33(B)]
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