Je ne peux pas parler à la place de Yangsi Kalou Rinpoché, je parlerai donc pour moi. Mais je partirai néanmoins de la phrase "Quand [le Bouddha, ou tout autre éveillé] partageait sa sagesse avec un véritable respect, de l’amour et du souci de l’autre, ses paroles et son approche devenaient elles-mêmes Dharma". Un éveillé agit et parle par rapport à un individu et à une situation. Et ce qu'il dit est alors un dharma pour cet individu. Je le dis un peu schématiquement pour montrer que c’est différent d’une transmission de type Révélation, où une doctrine serait vraie partout, toujours et pour tous.
Le dharma que le Bouddha et ses successeurs ont enseigné était adapté aux besoins des époques, des contrées, des mentalités. Les instructions de type devayoga sont apparues dans des milieux où le culte de dieux ou de divinités était un fait. Elles s’en sont servies comme véhicule pour transmettre le Dharma. Elles ont en effet été enseignées par des être dits éveillés, mais tout ce qui a été dit et enseigné par un éveillé, à toutes les époques, dans toutes les régions géographiques et à tous les individus, doit il être pratiqué ? Et peut-il être efficace tel quel pour toutes les époques, toutes les régions et pour tous les individus ?
Nous vivons dans une époque et dans un pays marqués par les Lumières, les sciences, la révolution, la laïcité, la mondialisation. La croyance en les êtres surnaturels, en la magie, les rites de sacrifice etc. y a disparu. Nous avons tous eu une formation où nous avons appris les principes de la science, peut-être aussi un peu de philosophie. Nous ne pouvons pas en faire abstraction. Personnellement, je ne pleurerai pas sur cette évolution. Je ne suis pas un Traditionaliste. Quoi qu’il en soit, la situation actuelle est-celle-là, voilà notre conditionnement à nous. Que faire avec ou à partir de cela ? Je ne pense pas que nous verrons un jour le retour du culte des dieux etc. Faut-il alors d’abord faire comme si nous étions encore à une époque ou dans une contrée où celui-ci existait, comme si nous croyions en les êtres surnaturels, à la magie, pour qu’ensuite nous pourrions utiliser les moyens adaptés à des gens dans ce cas-là ? Pour moi c’est comme si nous étions dans un lieu A et que nous voulions aller dans un lieu B juste à côté. Mais nous n’avons pas de cartes pour aller de lieu A à lieu B. Nous avons en revanche pleines de vieilles cartes qui vont de C à B etc. Il faudrait donc d’abord aller dans un des autres lieux pour ensuite pouvoir aller de là à B.
Bonne nouvelle ! :-), en fait il existe des cartes pour aller directement de A à B. Il se trouve qu’au Tibet, pour des raisons qui lui sont propres, on avait valorisé à partir du 12ème siècle des moyens habiles (upāya) qui conviendraient mieux aux circonstances. Nous ne sommes pas des indiens, nous ne sommes pas des tibétains, nous vivons en d’autres temps, nous ne sommes pas obligés de faire les mêmes choix.
Cela pour préciser ma pensée sur le sujet. Vous écrivez : « La pratique des divinités etc... est une fabuleuse science de l'esprit qui purifie de nombreux mécanismes cognitifs etc... ». Tout n’était pas à rejeter non plus dans la magie, l’alchimie etc. La magie antique est devenue la magie naturelle, et celle-ci a abouti à la technologie, et à la science telle qu’elles sont de nos jours. Dans le passage de la magie antique à la magie naturelle, les êtres surnaturels étaient laissés de côté, mais l’essentiel fut gardé. Ce qui purifie les mécanismes cognitifs peut sans doute être abordé plus directement ?
Pour terminer, je dois préciser que je ne pense pas du tout que Yangsi Kalou Rinpoché veuille renoncer aux préliminaires et aux pratiques de divinités. Il est après tout le détenteur et le conservateur de la lignée Shangpa. Il a dû constater l’effet de ces pratiques quand elles sont prises au premier degré, et qu’au lieu de produire de bons êtres humains ils produisent des « pratiquants bouddhistes trippés » (crazy Buddhist practitioners). D’où sa tournée « tradition, fantasme, réalité ? » où il essaie « de nous ramener à la réalité, de nous ramener à notre réalité d’être humain ».
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