Selon le canon pāli, le Bouddha pouvait enseigner de deux manière différentes. En tenant des propos dont le sens devait être déduit (P. neyyattha T. drang don) et des propos dont le sens (S. artha T. don) était déjà explicite (P. nītattha T. nges don), et qui n’avait pas besoin d’être déduit. Ceux qui interprétaient les propos explicites (P. nītattha) ou qui prenaient pour explicites (nippariyāyena) des propos provisoires (pariyāya) dont le sens devait être déduit (P. neyyattha ) déformaient les propos du Bouddha, comme il explique dans le Neyyatha Sutta (AN 2.25), et pouvaient se faire gronder par lui comme Arittha dans l’Alagaddupama Sutta (MN 22).
Dans ce sutta, et notamment dans l’exemple du serpent d’eau, le Bouddha donne un exemple des neuf types (P. aṅga) de propos (Dhamma) du Tipitaka, dont le sens doit être saisi conformément. Il s’agit de :
« dialogues (sutta), récits mixtes en prose et en vers (geyya/geya), explications (veyyākaraṇa/vyākaraṇa), gathas en vers (gātha), exclamations spontanées (udāna), citations (itivuttaka), histoires de naissance (jātaka), évènements miraculeux (abbhutadhamma/adbhutadharma), sessions de questions et réponses (vedalla) »[1]Il ne donne pas de liste de propos ou de discours (S. sūtra) dont le sens serait explicite, ou dont le sens doit être déduit, mais explique que chacun doit, par son propre discernement (S. prajñā), en saisir (P. upaparikkhanti) le sens (S. artha). De la même façon qu’un homme habile capturait un serpent d’eau, sans se faire mordre par lui. Il faut avoir un peu de jugeotte (S. prajñā) et c'est cela qu'il convient de développer.
Cela n’a pas empêché certains de faire du zèle et d’utiliser les termes « sens explicite » (ou sens certain) et « sens à déduire » pour classer les discours du Bouddha[2]. Ainsi, un discours pouvait être dans son intégralité (y compris les commentaires associés) à « sens explicite » ou à « sens à déduire », sans tenir compte du fait qu’il pouvait contenir des éléments imagés et autres dont le sens devait être déduit.
En fait, ce classement a servi à faire ce que voulait justement éviter le Bouddha : discréditer certains propos pour en valoriser d’autres, « pour attaquer les autres et pour se défendre eux-mêmes dans les débats » (Alagaddupama Sutta). Ce type de classement peut aussi avoir pour effet que ce qui doit être justement mis en œuvre pour en saisir le sens, le discernement (prajñā), peut rester au repos et se faire remplacer par la foi. Il pourrait inciter à considérer certains discours, dits à sens explicite, comme des dogmes, ce que voulaient justement éviter et le Bouddha et Nāgārjuna.
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[1] suttaṃ geyyaṃ veyyākaraṇaṃ gāthaṃ udānaṃ itivuttakaṃ jātakaṃ abbhutadhammaṃ vedallaṃ
[2] RANGJUNG YESHE DICTIONARY True meaning. The definitive meaning as opposed to the expedient or relative meaning. The teachings of Prajnaparamita and the Middle Way. In his Treasury of Knowledge, Jamgön Kongtrül the Great defines the true /definitive meaning in the following way: "The topics taught to exceptional disciples that the nature of all phenomena is profound emptiness devoid of constructs such as arising and ceasing, and, that the innate real condition of things is by nature luminous wakefulness and lies beyond words, thoughts and description. Moreover, it is the words of the Buddha expounding this meaning as well as the commentaries upon them."
On trouve cette utilisation spécifique des termes sens explicite et sens à déduire dans un autre classement : celui des trois mises en branle de la roue du Dharma.
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