lundi 2 octobre 2023

La recette transmigratrice secrète du deuxième Dalai Lama

Le lama blanc, bd de Jodorowsky & Bess, Les Humanoïdes Associés

Le deuxième Dalaï-lama, Gendun Gyatso (1476-1542), avait un lien avec la lignée Shangpa du côté paternel.
Sangyé Tönpa (XIII-ème)
Tsangma Shangtön (1234-1309)
Müchen Gyeltsen Pelsang (XIII-XIVème)
Müchen Namkhé Neljor (XIVème) > Tsongkhapa
Phagö Künga Zangpo (XIII-XIVème) arrière-grand-père paternel
Dönyö Gyeltsen (XIV-XVème) grand-père paternel
Sektön Künga Gyeltsen (1432-1481) père
Gendun Gyatso (1476-1542)
Gendun Gyatso reçut la transmission Shangpa de l’époque de son père Künga Gyeltsen. Dans l’oeuvre complète du deuxième Dalaï-lama (rGyal dbang 'dun rgya mtsho'i gsung 'bum, 6 volumes[1]) on trouve plusieurs œuvres sur les instructions Shangpa, notamment un commentaire sur les Six yogas de Niguma[2]. Je m’intéresse ici plus particulièrement à la partie qui concerne le transfert (‘pho ba). Selon Gendun Gyatso, et d’autres, le locus classicus du transfert bouddhiste ésotérique (utkrānti, ’pho ba) serait le Sampuṭa Tantra (partie III), un tantra explicatif commun aux tantras de Hevajra et de Cakrasaṃvara, “le fondement de tous les tantras”, attribué au roi Indrabhūti. La partie III montre bien les correspondances micro-/macrocosmiques, avec les 24 lieux dans le corps du yogi. C’est un sujet qui passionne le Tibet au XIVème siècle. Gendun Gyatso mentionne d’autres tantras donnant également des informations sur le transfert : le Tantra de la Vajraḍākinī (dPal rdo rje mkha' 'gro gsang ba'i rgyud kyi rgyal po ?), le Saṃvarodaya Tantra[3], le Catuḥpīṭha[4], le Caturyoginīsampuṭa (rNal 'byor ma bzhi'i kha sbyor gyi rgyud), et les instructions de Mañjuśrī ('Jam dpal zhal lung), auxquels Gendun Gyatso ajoute encore le 'Pho ba'i rnam bshad chen mo de Je Tsongkhapa.

A l’époque de Gendun Gyatso (XV-XVIème), il existe quatre types de transfert :
Le transfert dans l’ainsité du dharmakāya (chos sku de bzhin nyid kyi 'pho ba)
Le transfert de la grâce du guru (byin rlabs bla ma'i 'pho ba)
Le transfert de la dyade de la divinité tutélaire (zung 'jug yi dam gyi 'pho ba)
Le transfert infaillible de la khecarī (‘chug med mkha' spyod kyi 'pho ba)
Comme le dernier transfert est “le plus pratiqué par les lamas”, c’est celui-là que Gendun Gyatso explique[5]. C’est la pratique attribuée à Niguma.
On médite ensuite sur la Vajra Yogini au-dessus de sa tête et on la prie. La visualisation se déroule comme précédemment. Les airs remontent par le bas et l'on prononce la lettre Hik. L'esprit, sous la forme d'une lettre blanche A, remonte le canal central et sort par l'ouverture de Brahma. Il pénètre dans Vajra Yogini par le passage de son sexe, qui est de couleur rouge. L'A arrive à son cœur et s'y dissout. Méditez pour que l'esprit devienne un avec la sagesse de la félicité et du vide de Vajra Yogini, inséparable par nature du gourou racine. Lorsque nous méditons de cette manière, nous remplissons les quatre points (gnad)[6] de l'entraînement au transfert[7].”
C’est le transfert “le plus pratiqué par les lamas” à l’époque de Gendun Gyatso. Nous avons vu qu’à partir du XIVème siècle, la destination du transfert devient Amitābha et sa terre pure Sukhāvatī. Le deuxième Dalai-lama Gendun Gyatso mentionne encore un transfert dit “par la force de l’intention” ('dun stobs kyis 'pho ba), qui consiste en l’application de “substances mystiques” (rdzas) au sommet de la tête, et qui permet au yogi (mâle) de transférer sa conscience où il le veut. C’est une instruction orale sur laquelle le deuxième Dalai-lama ne souhaite pas s’étendre, mais il donne néanmoins la recette pour cette onction.
Ses propres fluides et ceux d'une femme
conduisent l'énergie et l'esprit vers le haut.
Le sel ouvre l'embouchure du canal
Et le cerveau [humain] protège des obstacles
.[8]
Les fluides sont le sperme bindu bīja” du yogi (mâle) qui veut faire le transfert, le “fluide” bindu, donc rajas d’une femme, du sel, et du cerveau humain. Disponibles chez votre fournisseur habituel de produits alchimiques.
Comme indiqué ici, on prend une petite quantité de chacune de ces substances, on les place dans sa paume et on récite de nombreux mantras. La substance est ensuite appliquée à l'ouverture de Brahma. C'est ce qu'ont enseigné les gourous d'autrefois.[9]
Pour des raisons biologiques, cette méthode alchimique du “transfert par la force de l’intention” ne semble pas accessible aux yogis femmes. Elle permet néanmoins de passer outre le transfert pneumatique.
Dans cette méthode, il n'y a pas besoin de transfert pneumatique. Cependant, même si cette méthode permet de renaître dans une Terre Pure, il n'y a aucun moyen de déterminer la Terre Pure spécifique dans laquelle on va renaître.[10]
La dernière phrase semble être un commentaire ajouté par Glenn Mullin. Le yogi qui ne veut pas aller dans le khecara ou une terre pure, doit utiliser le transfert pneumatique, et diriger la conscience vers l’orifice du corps lui permettant de naître dans le monde correspondant. Selon le Sampuṭa Tantra (partie III) :
8.68 [Le Bienheureux dit :]

"Écoutez la bonne méthode,
sur laquelle il faut s'appuyer au moment de la disparition.
Lorsque le chemin est juste, on atteindra un destin agréable ;
Le mauvais chemin conduit à des formes d'existence défavorables.

8.69 "Les neuf portes sont spécifiées comme suit
La "goutte" entre les sourcils, le nombril,
La fontanelle au-dessus, les yeux, les narines et ainsi de suite, les oreilles,
et les portes de passage de l'eau et d'évacuation.

8.70 "La porte du nombril mène au royaume du désir des dieux.
En sortant par la 'goutte', on entre dans le royaume de la forme.
La porte 'au-dessus' mène à des destins encore plus élevés.
Ces trois portes ont été proclamées comme menant à des destinées supérieures.

8.71 "On entre dans le royaume des yakṣas par les narines ;
Celui des siddhas divins, par les oreilles.
La conscience qui s'échappe par les yeux
Se dirige vers le royaume des humains.

8.72 "La porte de l'existence, la bouche, mène au royaume des fantômes affamés,
tandis que le passage urinaire mène au royaume des animaux.
Lorsque la porte est l'anus, le destin est l'enfer avec ses huit divisions.
Ainsi sont décrits, ô fils de noble famille, les passages vers les différentes existences
.[11]
Il convient donc de bloquer les orifices des destins non souhaités, et de faire le transfert par l’orifice correspondant, qu’on laissera ouvert, afin de pneumatiquement éjecter la conscience. Bon voyage !

Henri Doré, Manuel des superstitions chinoises (Chang-Hai, 1926) 

***

[1] Vol. 2, rJe btsun thams cad mkhyen pa'i gsung 'bum thor bu las bla ma'i rnal 'byor/ bla ma mchod pa/ khrid kyi skor dang bcas pa

[2] Zab lam ni gu'i chos drug gi khrid yig ye shes mkha' 'gro'i zhal gyi lung, traduit en anglais par Glenn Mullin dans Selected Works of the Dalai Lama II, The Tantric Yogas of Sister Niguma, Snow Lion (1985).

[3] Qui contient la fameuse citation, dont seuls les deux premiers vers se trouvent dans la version en sanskrit :
The guru is the Buddha,
The guru is the Dharma,
Likewise the guru is the Sangha too
The creator of everything is the guru
The guru is the glorious Vajradhara [or heruka]
.”

[4] Śrī Caturpīṭha Mahāyoginī Tantrarāja Nāma (rnal 'byor ma'i rgyud kyi rgyal po chen po dpal gdan bzhi pa zhes bya ba)

[5] ‘Phyugs med mkha' spyod kyi 'pho ba ste bzhi bshad kyang bla ma rnams kyi phyag len 'phyugs med mkha' spyod kyi 'pho ba la mdzad pas de bshad na. La pratique est ici orthographié ‘phyugs med.

[6] "Method, time, form, and object". Thabs dang dus dang lus dang ni// dmigs pa'i gnad du shes par bya//

[7] Traduction Deepl de la traduction anglaise de Glenn Mullin.

One then meditates on and prays to the Vajra Yogini above one’s head. The visualization proceeds as before. The airs push up from below and one sounds the letter hik. One’s mind in the form of a white letter ah shoots up the central channel and out the Brahma aperture. It enters Vajra Yogini via the passage of her sexual organ, which is red in color. The ah comes to her heart and dissolves into it. Meditate that the mind becomes one with the wisdom of bliss and void of Vajra Yogini, inseparable in nature from the root guru. When we meditate in this way we fulfill all four points of the transference training.”

En tibétain : de nas sbyi bor rje btsun ma bsgoms pa la gsol ba drag tu gdab/ / dmigs pa sngar ltar byas 'og rlung drag tu 'then zhing hig brjod pas rang sems a dkar por gsal ba de tshangs bug nas rgyangs kyis 'thon/ rje btsun ma'i gsang gnas dmar sing nge bar zhugs/ thugs kar thim pas bla ma dang yi dam dbyer med kyi thugs bde stong gi ye shes dang rang gi sems dbyer med du gyur par bsam mo// de ltar bsgoms pas 'pho ba bzhi ga'i gnad tshang bar 'gyur la/

[8] Glenn Mullin : “One’s own and a female’s fluids
Lead energy and mind upward.
Salt opens the mouth of the channel
And brain guards against hindrances
.”

En tibétain :

rdzas kyi'ang 'pho ba byed na/ (ailleurs rdzas kyi' nga 'pho ba byed na. Zhi byed dang gcod yul sogs gdams ngag thor bu'i chos skor)

rang dang bud med thig le yis//
rlung sems gnyis po yar la 'dren//
tsha las rtsa kha 'byed par byed//
mi yi klad pas bar chad srung //

[9] Glenn Mullin : “As indicated here, one takes a small quantity of each of these substances, places them in one’s palm and recites many mantras. The substance is then applied to the Brahma aperture. This has been taught by the gurus of old.”

En tibétain :

zhes bshad pas rdzas bzhi po de lag mthil du mnyes la sngags mang du btab ste spyi gtsug tu byug ces bla ma rnams gsung la/

[10] Glenn Mullin : “In it there is no need for transference by the power of the airs. However, even though this method produces rebirth in a Pure Land, there is no way to determine the specific Pure Land into which one will take rebirth.”En tibétain : rlung so dgu stobs kyis 'pho ba la ni mi dgos so.

[11] 8.68 [The Blessed One said:]
“Listen about the proper method,
Which is to be relied upon at the time of passing away.
When the path is right, one will reach a pleasant destiny;
The wrong path will lead to unfavorable forms of existence.

8.69 “The nine gates are specified as
The ‘drop’ between the eyebrows, the navel,
The fontanelle above, the eyes, the nostrils and so forth, the ears,
And the gates for passing water and for evacuation.

8.70 “The gate at the navel leads to the gods’ realm of desire.
By leaving through the ‘drop,’ one will enter the realm of form.
The ‘above’ gate leads to still higher destinies.
These three gates have been proclaimed as leading to higher destinies.

8.71 “The realm of yakṣas is entered through the nostrils;
That of the divine siddhas, through the ears.
The consciousness that escapes through the eyes
Will proceed to the realm of humans.

8.72 “The gate of existence, the mouth, leads to the realm of hungry ghosts,
While the urinary passage leads to the animal realm.
When the gate is the anus, the destiny is hell with its eight divisions.
So are described, O sons of noble family, the passages into different existences. 

Site 84.000, The Foundation of All Tantras, the Great Sovereign Compendium “Emergence from Sampuṭa” Toh 381, Translated by the Dharmachakra Translation Committee, current version 2023.





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