Le mot « élément » (S. dhātu T. dbyings, khams) est un des mots que l’on voit
le plus souvent dans le bouddhisme, sans être bien défini. Le site
Sanskrit.inria.fr donne les sens suivants :
dhātu [dhā_1-tu] m. assise, fondation | élément primordial, substance élémentaire; ingrédient | minéral, métal, minerai; cf. aṣṭadhātu | phil. élément | gram. racine verbale | bd. l'un des 6 éléments: ākāśa l'Éther ou Espace, anila l'Air, tejas le Feu, jala l'Eau et bhū_2 la Terre et vijñāna la Connaissance | bd. élément constitutif du corps; cendres, reliques | [dhātugarbha] bd. reliquaire central d'un stūpa, au bas du pilier de pierre [yaṣṭi].
Il semble avoir un sens d’élément fondamental, et par là d’essence,
au-delà duquel quelque chose ne peut pas être réduit davantage. Tout ce qui « en »
est réduit étant superflu et surimposé. Le sens du mot français élément semble se
conformer à cela : « Substance (réputée) simple, entrant à titre
privilégié dans la composition de ce qui se rencontre dans la nature. »
Il peut ainsi désigner ce qui est élémental dans la matière
(les éléments), le verbe (la racine verbale), quelque chose de déterminable
dans la réalité. Le reliquaire de cendres, contenant les reliques du Bouddha
est appelé dhātugarbha (P. dhātugabbha[1]).
Le site Inria explique que ce terme est devenu « dāgoba » à Ceylan,
occidentalisé en « pagode ». Le reliquaire contient donc l’élément
(dhātu) du Bouddha
(S. buddhadhātu),
considéré comme tel dans le culte qui considérait les reliques du Bouddha comme
l’élément matériel représentatif du Bouddha. D’autres théories se sont opposées
à cette vue plutôt matérialiste du Bouddha et ont considéré que l’ensemble des qualités (S. dharmakāya)
du Bouddha constituaient sont véritable essence.
Puis, on est passé aux
essences scripturaires. Des volumes de textes comportant des incantations (S.
dhāraṇī T. gzungs sngags) ou des paroles du Bienheureux considérés comme le
représentant à part entière. Finalement, avec l’introduction de la théorie de l’embryon/la matrice/la semence de l’Éveillé (S. tathāgatagarbha),
c’est celui-ci qui sera désormé désigné par le terme « élément » (T.
khams S. dhātu), et
que partagent les êtres et les Éveillés. Il est alors synonyme du terme « embryon,
matrice, cœur » (S. garbha T. snying po). Il peut être utilisé au complet « élément
de l’Éveillé » (T. sangs srgyas kyi khams S. Buddhadhātu), ou en abrégé « Élément »
(T. khams S. dhātu),
avec un E majuscule pour indiqué qu’il s’agit de l’élément de l’Éveillé. La Conscience
ou la conscience pure diront des non-bouddhistes. C’est à partir de cet élément
que l’Éveillé se concrétise ou non.
Pour revenir au sens premier d’élément. Selon le Śrāvakabhūmi,
la réalité psychosensorielle est possible par l’interaction de dix-huit
éléments (l’élément de l’œil, de la couleur et de la perception visuelle, etc.).
Toute la réalité sensorielle peut être réduite à ces dix-huit éléments. Connaître
la réalité à travers ces faits mentaux (dharma),
et les examiner en regardant comment ces faits apparaissent et deviennent
manifestes à partir de leurs éléments respectifs, leurs semences (bīja) respectifs, et
leurs origines (gotra) respectifs, est appelé « l’expertise en les
éléments » (dhātu-kauśalyam). Ces dix-huit
éléments sont donc en quelque sorte les « éléments des faits mentaux »
(dharmadhātu),
ce qu’il y a de réel dans la réalité telle que nous la vivons. Connaître la
production des dix-huit faits mentaux (dharma) à partir de leurs propres
éléments (dhātu),
est comprendre (jānāti)
les causes et les conditions et simultanément les éléments. Il faut remarquer
ici, que les tibétains traduisent « élément » (dhātu) dans le contexte des
dix-huits éléments (T. khams bco rgyad) par « khams ». En sanscrit,
le mot dhātu
recouvre les termes tibétains « khams » et « dbyings ». L’élément
des faits mentaux (T. chos kyi khams) correspond donc bien au sanscrit « dharmadhātu ». La
connaissance de l’enchainement des causes et des conditions dans ce cadre est
bien une fonction mentale.
L’Abhidharmakośa-bhāṣya explique d’ailleurs
que [chacun des dix-huit éléments est l’origine] des [éléments subséquents de]
sa propre espèce (S. jāti
T. skye ba), par ce que [le précédent] est la cause homogène (S. sabhāga-hetu) [du suivant].
Yamabe Nobuyoshi[2], conclue
que la nature essentielle d’un élément semble alors d’être la capacité de se
reproduire à des moments successifs.
Dans le cadre des dix-huit éléments, et notamment dans le Yogācāra,
tout comme les formes visuelles sont l’objet de l’œil, les faits [mentaux] sont l’objet
du mental (S. manas T. yid). Et puisque les objets sensibles ne sont pas connus
directement, mais, mentalement, à partir de représentations (S. ākāra
T. rnam pa) et de caractéristiques (S. lakṣana T. mtshan nyid), c’est comme si les objets, du
moins ce en quoi ils sont accessibles au mental, c’est-à-dire par leur
re-présentations (S. vijñāpti),
sont des intelligibles. Leibniz ne disait-il pas que la matière est un esprit
instantané ? Tout objet du mental est alors un « fait mental »,
un objet mental (dharma). Et ce que tout fait mental a de réel, c’est son
élément (S. dharmadhātu).
Toute la réalité psychosensorielle (S. sarva) peut alors « se réduire »
à lui. Comme c’est ce même élément (dharmadhātu) qui est accessible à toutes
les familles (S. gotra T. rigs) : les śrāvaka,
les pratyeka-buddha et les bodhisattva, il est le véhicule (yāna) réel, l’unique
véhicule (ekayāna).
Ce que tous les faits mentaux (dharma) ont de réel est leur élément (dharmadhātu), et ce que toute
intuition (jñāna) à de réel est l’élément de l’Éveillé (buddhadhātu). L’Objet et le Sujet,
la matière et l’esprit, la matérialité et la conscience qui sont indissociables
dans la non-dualité.
L’esprit (citta) est souvent comparé à l’espace.[3]
།སེམས་ནི་མཁའ་དང་འདྲ་བར་གཟུང་བྱ་སྟེ།
La conscience est comparée (T. dang 'dra bar gzung) à l'espace
C'est depuis l'espace, qui n'a ni forme, ni couleur, ni remémorations et expériences, que la diversité émerge, sans que cette dernière lui soit bénéfique ou nuisible d'aucune sorte. De même, c'est du principe conscient qu'émerge la diversité des remémorations, sans que celles-ci lui soient bénéfiques ou préjudicieux d'aucune sorte.
།ནམ་མཁའི་རང་བཞིན་དུ་སེམས་ཉིད་གཟུང་བར་བྱ།
Le principe conscient doit être appréhendé de la même façon que la nature de l'espace
Il s’agit en fait de l’élément de l’espace (S. ākāśa dhātu T. nam mkha’i khams),
qui n’est pas l’espace physique, quelque soit sa nature. Ce n’est qu’un exemple. J’ignore pourquoi et à partir de quand dhātu dans le contexte de dharmadhātu était traduit par « dbyings »,
qui signifie espace, dimension, étendue. Rappelons que pour les trois plans (tridhātu ou triloka), la traduction « khams » avait été maintenu. Contrairement
au sanscrit, le mot tibétain khams signifie aussi 1) région; 2) royaume, domaine,
territoire. Donc, le terme dhātu
traduit en tibétain (dbyings, khams) comporte des notions de spatialité qui font
défaut dans l’original sanscrit. Cela conduit les traducteurs à utiliser
souvent les traductions « espace[4] »,
« dimension[5] », « sphère »
et « étendue » pour dhātu.
Selon Bergson, c’est une erreur d’appliquer des grandeurs ou
des formes empruntées au monde extérieur pour décrire l’intensité ou la mesure
de la conscience et des états conscients. « Pour les états de conscience
qui se suffisent à eux-mêmes, l’idée de leur atribuer une intensité provient de
ce qu’on « est allé chercher dans les profondeurs de la conscience, pour l’amener
à la surface, l’image d’une multiplicité interne ».[6]
La multiplicité fait intervenir les nombres, et un nombre fait s’évoquer l’espace
pour y étaler les objets multiples, ce qui fait intervenir la durée. Avec l’idée
d’espace « nous introduisons à notre insu dans notre représentation de la
succession pure ; nous juxtaposons nos états de conscience de manière à
les apercevoir simultanément, non plus l’un dans l’autre, mais l’un à côté de l’autre ;
bref, nous projetons le temps dans l’espace, nous exprimons la durée en
étendue, et la succession prend pour nous la forme d’une ligne continue ou d’une
chaîne, dont les parties se touchent sans se pénétrer. »[7]
Vu ces deux arguments, le sens original sanscrit de dhātu, et le problème que
pose l’introduction d’une notion d’espace et de temps pour décrire le dharmadhātu,
ne faut-il pas éviter ce type de traduction ? Pour garder le lien avec le
sens originel de dhatu ? Espace est évidemment un terme plus cool,
spacieux et libre qu’un élément exigu où l’on se sent un peu à l’étroit. Et puis il y a
les pratiques où l’on mélange la conscience et l’espace (T. dbyings rig bsre ba, dans les exercices de khregs gcod) pour être totalement « spacedout ».
Quelques exemples, Philippe Cornu traduit : « Dharmadhatu: «
espace de la réalité absolue », « dimension du réel ». Il s'agit de la
dimension globale, la sphère non duelle perçue par les Bouddha en Dharmakaya,
dimension de la vraie nature des phénomènes, la vacuité immuable au delà de la
cause et de l'effet[8]. » Et pour
Stéphane Arguillère « le terme [Dharmadhatu] désigne la nature ultime de toutes
choses, non en tant qu'essence abstraite simple, mais quand est surmontée
l'opposition de l'essence et du phénomène, de l'apparence et de la vacuité,
comme celle du sujet et de l'objet. Le Dharmadhatu, c'est la somme de toutes
choses dans les « trois temps » (passé, présent, et avenir), telle qu'elle est
saisie de manière intemporelle et non-duelle par la connaissance principielle
des Bouddha. »[9] PatrickCarré : « La dimension absolue est la substance fondamentale du corps
et de l’esprit de tous les êtres. Le mot « dimension » désigne l’essence en
tant que (dé)limitation ; et le mot « absolu » renvoie au réel qui, au
contraire de la substance (spinozienne), est libre du concept de « nature
propre » ou « être par soi » (ssk. svabhâva). »( )
Il y a bien un sens de (dé)limitation, d’un infiniment grand
(espace) et d’un infiniment petit (élément). Dans le sens de l’émanation, c’est
l’expansion, et dans l’autre la resorption. Il se trouve que le yoga (la
réintégration) va plutôt dans le sens de la resorption, en direction du tattva
ultime , non manifeste. La frontière entre le non-manifeste et le
manifeste étant le bindu, comme une porte vers une autre dimension. Mais en
fait, en absence de limites, il n’y a ni grand, ni petit, ni infiniment grand
ni infiniment petit. On peut cependant prendre tous les faits mentaux et les
considérer/penser dans leur totalité, ou réduire tous les faits mentaux par
leur dénominateur commun et considérer/penser celui-ci comme leur élément,
nature ou essence.
Un exemple pour montrer que la traduction « espace »
n’est peut-être pas toujours la meilleure. L’expression tibétaine « dbyings su dag
pa » est souvent traduite par quelque chose comme « purifier dans l’espace »
(cleared away into space). En fait, il faudrait traduire par disparaître dans
son élément (dhātu,
voir ci-dessus). Les faits mentaux (dharma) apparaissent de leurs éléments
respectifs et y disparaissent. Que feraient-ils dans l’espace ? Cette
expression est d’ailleurs quasiment synonyme de « gnas su dag pa »,
disparaître dans sa base (locus ou topos). Ce type de raisonement s’approche
d’un fondement des choses du type Nature originelle (S. mūla-prakṛti) que rejette
le bouddhisme. D’un autre côté on peut dire avec Marcel Conche :
« La Nature est l’Être […], entendant par là ce qui demeure. Mais aucun être ne demeure. La Nature n’est pas un être, mais la source d’où être et non-être ont leur jaillissement. « Source », « jaillissement » : je parle par métaphores. Mais quel autre langage serait possible ? Car le mot « infini » ne dit pas la source comme telle dans son activité. Disons une force créatrice de formes et qui, après toutes ses créations, est toujours autant capable de nouvelles créations : donc une force qui ne faiblit pas. Langage métaphorique. »[10]
[1] En
tibétain ce serait « dbyings kyi snying po », mais ce terme prend un
autre sens : sugatagarbha, le potentiel de l’éveil.
[2] A
critical exchange on dhātu-vāda, publié dans Pruning
the Bodhi-tree, p. 214
[4] Espace :
Milieu idéal indéfini, dans lequel se situe l'ensemble de nos perceptions et
qui contient tous les objets existants ou concevables (concept philosophique
dont l'origine et le contenu varient suivant les doctrines et les auteurs)
[5] Dimension
: Étendue mesurable (dans tous les sens) d'un corps ou d'un objet; p. méton.,
portion de l'espace occupée par ce corps ou cet objet.
[6] Essai
sur les données immédiates de la conscience, p. 54
[7] Essai
sur les données immédiates de la conscience, p. 75
[8] a, b, c
et d Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme. Nouvelle édition augmentée,
Éditions du Seuil, Paris, 2006. 952 p. (ISBN 2-02-082273-3)
[9] Stéphane
Arguillère, Le vocabulaire du bouddhisme. Ellipses, Paris, 2002 (ISBN
272980577X), p. 111.
[10] Marcel
Conche, Présence de la Nature, p. 81
En effet Bergson ne me semble pas très pertinent, au sens ou le recours bouddhiste à la métaphore de l'espace est fondé négativement et non positivement, ce n'est pas le lieu permettant un ajout quelconque, comme celui d'une succession, mais une absence de limites. Si on oublie cela on la rend (la métaphore) aussitôt caduque.
RépondreSupprimerIl ne faut peut-être pas trop en demander à la pauvre analogie, elle ne prend pas racine sur une identité mais sur une ressemblance qui n'est jamais qu'une identité toute relative.
C'est toujours enrichissant de lires les notes des traducteurs ou de confronter (pour juxtaposer aussi bien que choisir) les traductions. Cela permet parfois de faire jaillir quelques étincelles de compréhension - ou de nouveaux égarements.
"Disparaître dans son élément" et "purifier dans l'espace" ne me semble pas dire des choses contraires. L'un explique peut-être comment l'autre fonctionne. "Purifier dans l'espace" me fait penser à "libérer dans l'espace", les faits mentaux sont structurés, cette structure c'est ce qui les empêche de "disparaitre dans leur élément". "Libérer dans l'espace" ou "mélanger la conscience et l'espace" c'est précisément, me semble-t-il, enlever l'ossature des faits mentaux, qui, dès lors, vont aussitôt "disparaitre dans leur élément". La démarche est plus réaliste que de courir après chaque fait mental (ce qui est sans fin).
En quelques sortes les faits mentaux sont au mental ce que l'élément est à l'espace (un contenu pour un contenant). Sauf qu'au final il n'y a jamais eu ni contenu ni contenant.
Belle citation de Conche.
Mais le terme de source ou de jaillissement à aussi ses limites. En les utilisant on peut penser comprendre quelque chose. Une source telle qu'on la connait dans le monde physique n'est pas inépuisable, et ce qui en sort la diminue. Ce qui n'est pas le cas de ce dont il parle. Et inévitablement dès qu'un terme devient familier on en perd la fraîcheur, l'efficience ou le mystère.
C'est pourquoi Damascius préférait parler de l'Ineffable qui est au-delà de l'Un, ...
Par définition l'indicible est indicible, les mots ne vont pas pouvoir le dire, le définir ou le caractériser de quelque manière que ce soit. Ce ne seront jamais que des crachats de lumière.
Bonjour Space,
RépondreSupprimerC’est vrai que l’élément de l’espace est utilisé comme une métaphore. Mais que se passe-t-il avec une métaphore, une fois qu’il a fait son travail ? Selon Paul Thibodeau et Lera Boroditsky (http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/03/25/comment-les-metaphores-programment-notre-esprit_1498635_651865.html) "notre vision du monde – et par conséquent nos décisions – seraient en grande partie modelées par notre système de métaphores". Pour George Lakoff "toute notre pensée est basée sur des métaphores, y compris pour ses formes les plus abstraites, comme les mathématiques". Que se passe-t-il pour ceux qui utilisent des symboles et des personnifications pour le mystère de la vie ? Est-ce que les métaphores, les symboles, les dieux sont perçus comme tels, ou est-ce qu’une fois admis en tant que tels, mènent-ils leur propres vie ? Ayant de l’influence sur toutes les décisions que nous prenons ? Je comprends ce que vous dites, et en théorie c’est juste, je pense la même chose, mais dans la pratique, que se passe-t-il ? Il y a des connotations dont on se débarasse très difficilement, si toutefois il faut s’en débarasser. Mais au moins, s’il y a différentes connotations, évoquons-les toutes, pour avoir une image plus complète.
Dans l’exemple de mon billet, le mot élément (dhātu), la connotation « élément » disparaît quaisment de toute traduction française de la traduction tibétaine. Il ne reste plus que le sens d’espace. Et au risque d’oublier qu’il s’agit d’une métaphore, on se trouve avec des adeptes cherchant à unifier leur esprit à l’espace (pas l’élément), face à un ciel dégagé, si tant est possible.
Si la métaphore reste « active » après son utilisation ciblée et intervient dans nos décisions, elle devient autre chose qu’un moyen (habile).
Dans mes cours, j’essaie de faire comprendre de ne pas choisir une seule traduction qui serait la meilleure. Lire des textes proprement demande du temps et de l’effort. Une traduction bien choisie (qui fonctionne bien dans la phrase, qui s’inscrit bien dans l’idée générale) permet de passer vite à au mot suivant et est alors presque contraproductive. Evidememnt, tout dépend de ce qu’on se pose comme objectif pour lire un texte. Si c’est pour prendre rapidement connaissance de l’idée générale derrière le texte, une belle traduction sans accrocs fait l’affaire. Mais, pour approfondir un texte, pour qu’on le travaille et qu’il nous travaille, il faut qu’il y ait des accrocs. Dans le cas de dhātu, on passe à côté de quelque chose d’élémentaire en traduisant simplement par espace, dimension.
Surtout si cette métaphore est suivie d’une pratique, qui a pour objectif de mélanger l’esprit et l’espace, en s’asseyant face à un ciel dégagé. C’est d’ailleurs tout le problème des pratiques et des rituels : l’application concrète de métaphores, de symboles, du culte des dieux. Si la dimension de métaphore, de symbole… est perdue ou oublié, on se retrouve avec des automatismes, des us et des coutumes qui ne nous travaillent pas. Il y a du temps pour les deux approches, analytique (quelles métaphores, images, symbolent nous motivent ?), et une approche plus mystique.
Les images de l’espace (en tant qu’élément) et d’un élément ont tous deux pour but d’enlever les limitations et les cloisonnements. Ces images étant elles-mêmes délimitées par leurs définitions, celles-ci sont dissoutes en passant par leur essence. Comment y parvenir en restant dans le mental ? Le fameux sparadrap du capitain Haddock de David Dubois (http://shivaisme-cachemire.blogspot.fr/2010/07/faire-des-ronds-dans-lespace.html). D’ailleurs, ce qui est vrai pour les images de l’espace, l’est aussi pour celles d’une source ou d’un jaillissement (Conche) comme vous dites. Ou par la Lumière… C’est bon de le rappeler.
Joy
Bonjour Joy,
SupprimerPeut être une distinction peut donner un nouvel éclairage de la problématique.
Celle que fait Titus Burkhardt (et bien d'autres) entre la simple analogie et le symbole. La première est une simple juxtaposition d'images choisies de manière arbitraire et qui, de ce fait, restera au niveau mental (le scotch du capitaine Haddock). La seconde, pour faire un jeu de mot, représente la chose au sens de rendre présent. Le symbole peut alors devenir opératif car l'image n'est fondamentalement pas autre que ce qu'elle re-présente. Sans doute l'espace est aussi bien à l'intérieur du métal le plus dense que dans un ciel dégagé, et donc en théorie ou pour le pratiquant avancé, le mélange de la conscience à l'espace pourrait s'effectuer avec n'impoorte quoi ou dans n'importe quelle circonstance. Mais un ciel bleu montre (ou rend présent) cette ouverture de manière plus évidente, et la pratique en devient facilitée. En ce sens le ciel en tant que symbole de l'espace (ou élément) aura une légitimité, certes relative mais réelle, même si tout cela relève finalement d'une distinction qui n'a pas lieu d'être - puisque ne subsiste qu'une apparence absolue comme dirait le Pyrrhon de Conche.
Merci Space,
SupprimerJe ne connaissais pas Titus Burkhardt. Tel que je le vois et vis, un symbole est une "analogie" conséquente, qui dure et qui finit par faire partie des meubles..., dans lequel on s'est directement ou indirectement investi (émotionnellement etc.). Ainsi, ce qui est un symbole (et a force de symbole) pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres. C'est sa présence à des moments importants, marquants dans la vie de quelqu'un, d'émotion collective etc., qui lui donne sa force et qui fait qu'elle soit opératif même si le mental n'intervient pas. C'est au niveau des traces (vasana) qu'il a ses racines.
Ce n'est donc pas, pour moi, une force inhérente à une certaine forme géométrique, couleur... (ou autre) du symbole. Si j'étais confronté avec un symbole important de la culture inuit, je ne suis pas certain qu'il ait de l'effet sur moi. Ce serait plutôt l'émotion des autres inuits présents qui en aura.
Juste pour la clarté de la discussion. Vous dites, par rapport à la pratique du mélange de l'esprit avec l'espace, qu'un ciel bleu dégagé *facilite* l'expérience, mais l'expérience de quoi exactement ? Qu'est-ce qui est facilité ?
Etre bien et confortable n'est au départ que cela : être bien et confortable. Si nous méditons, ayant mangé un repas équilibré, bien assis sur un siège confortable, dans une salle agréablement éclairée et raisonnablement chauffée ou climatisée etc. etc., nous éprouvons exactement ce confort programmé et conditionné. C'est déjà pas mal et c'est peut-être un début. Expérimenter le ciel bleu et dégagé même en présence d'un ciel couvert est déjà autre chose. P.e. expérimenter l'aise même en présence d'inconfort, de la maladie etc.
Peut-être on peut déboucher par ce biais à une expérience inconditionnée, ou peut-être pas. Ou peut-être que l'expérience inconditionnée est-elle un contresens et que tout est conditionnement plus ou moins direct.
De toute façon, contempler un ciel bleu dégagé en se disant que tel est l'esprit est une mise en condition, qui portera des résultats conditionnés. La Reconnaissance est aussi un conditionnement, mais capable d'intégrer toute expérience. Il faut ruser d'une façon ou d'une autre ;-) Tenace le scotch du capitain Haddock !
Joy
Je ne sais pas. Il me semble qu'on peut voir les choses par des bouts différents.
RépondreSupprimerLe symbole est souvent partagé et fait partie intégrante d'une culture ou d'un culte. (Voir toujours. Un symbole non partagé est-il encore un symbole ? C'est une question de définition). Et parfois le culturel et le cultuel est fondé sur la nature. Dans quel sens ? Par exemple un arbre relie "objectivement" la terre (par ses racines qui plonge dans le sol) et le ciel (par son branchage). A partir de là l'esprit va pouvoir élaborer un ensemble de signification, (on retrouve cela dans des écritures idéographiques ou hiéroglyphiques), sur la base de quoi chacun va pouvoir ensuite faire l'expérience de ce qui est transmis. Cette expérience est bien sûr subjective (on ne ressent que ce que l'on ressent) mais pas seulement. Je ne pense pas que cela relève d'un hypothétique "inconscient collectif", le commun vient à la fois du fait que le caractère passif de l'âme qui recoit l'empreinte (du symbole, ...) est fondamentalement le même, on partage une même nature humaine, ainsi que l'esprit qui crée (le symbole ou la réalité du monde).
Dans le dzogchen il me semble qu'on parle de visions pures et impures. Paradoxalement une bouteille de coca cola (ou une scène pornographique) vue par un dzogchenpa sera une vision pure alors que des figures géométriques (ou des bouddhas) apparaissant dans le ciel
ou l'obscurité à un pratiquant exalté ou réjouit par le spectacle seront impures. Le pur et l'impur ne relève donc pas de ce qui est vu ou non vu mais de la saisie ou de la non saisie. Autrement dit, du fait de rester avec le scotch (de faire une expérience à partir d'un état de conscience) ou de s'en défaire (de la faire à partir de l'état naturel). Mais pour intégrer le fait que tout est une production de l'esprit (et pas seulement le croire) il est plus facile de commencer par expérimenter une production inhabituelle (comme celle se produisant spontanément en posant son regard dans un ciel vide).
Bonjour Space,
RépondreSupprimerOn peut peut-être distinguer entre des symboles naturels et des symboles liés à un certain milieu et culture. Votre exemple de l’arbre comme un symbole de protection (soleil, pluie, repère…), de ramifications à partir d’un enracinement, est plus ou moins universel (et naturel) en effet. Quand cet arbre devient l’arbre d’une certaine espèce, à un certain endroit etc. cela devient dejà plus culturel et un objet identitaire. Et à partir de là :
« Le monde se laisse manipuler par des symboles de choses » (Saraha DKG 22). (/srid pa'i phyag rgyas 'gro ba ma lus bslus/)
Les symboles des choses cachant les choses. Le symbole de l'espace cache l'espace. Une statue de bouddha n’est pas le bouddha. Même le bouddha n’est pas le bouddha. Les symboles sont des doigts qui pointent vers la lune. Les symboles seuls sont impuissants. Si on voit juste, c’est-à-dire si on est sans saisie, tous les phénomènes (dharma) sont les symboles de la substance des phénomènes (dharmatā). Il en va de même pour le bout de scotch. Il n’y a pas de progression, ou bien on voit ou on ne voit pas. Si on commence par avoir la vision d’un seul bouddha dans le ciel, et que par la « progression de notre pratique » on en voit 10, 100, 1000… A partir de quel nombre basculerait-on dans la vision du vrai bouddha ? A partir de combien de doigts verra-t-on la lune ?
Joy