"Dans la Bṛhadāranyaka-upaniṣad, le sage Yājnavalkya "distingue deux lieux extrêmes : ici-bas
et l'autre monde qui, dans l'ancien système, étaient le monde des hommes et le
monde des dieux. Il y ajoute un troisième lieu intermédiaire qui, dans
l'univers, est nécessairement l'atmosphère (S. antarikṣa). A ces «lieux» correspondent trois états de l'âme : deux états opposés
: veille et sommeil profond, avec un stage intermédiaire : le sommeil
accompagné de rêves."[3]
Dans la conception bouddhiste ancienne, le plan sensible
comporte les cinq ou six destinées traditionnelles, le plan des formes les
quatre états mentaux de concentration (S. dhyāna) et le plan sans formes les quatre recueillements
(P. āyatana, samāpatti). Dans la
conception de Zhiyi, ce triple plan est remplacé par un plan unique (S.
dharmadhātu) où
tous les dix niveaux interagissent. Il n’y a plus de cloisonnement, ce qui a
pour effet d’abolir les différences de nature. Tout est mis sur le même plan.
Le pur contient l’impur et vice-versa. La transformation est alors un
changement de perspective, qui commence par une contemplation où l’esprit (C.
Xin) est à la fois l’agent et l’objet. En cherchant l’esprit, il n’y a aucune
caractéristique sur laquelle on puisse se fonder, et cette absence de
caractéristiques constitue la vacuité. La contemplation sur la vacuité permet
de dissoudre les désignations provisoires (S. prajñāpta ? vyavahāra ?). Pour le Tientai, cette contemplation
ne permet pas de sortir du hinayāna et ne suffit pas pour réaliser
l’objectif du mahāyāna. A cet effet, il faut s’engager dans la
« contemplation du provisoire ». La « contemplation du chemin du
milieu » sert à de dépasser à la fois la vacuité et « le
provisoire ». La quatrième étape consiste en la réalisation que la vacuité
et le provisoire sont indissociables, tout en s’appliquant à la fois. Ces
dernières trois contemplations sont désignées par le nom « triple
contemplation ».[4]
Identifier l’esprit comme la source de l’égarement et réaliser que ce dernier
n’est rien d’autre que le potentiel de transformation est appelé « l’activité
mentale envisagé comme le plan de l’inconcevable (S. acintyā-dhātu ?) ».[5]
Le Soutra de l'ornementation fleurie :
« L’activité mentale est comme un charpentier qui crée toutes sortes de cinq agrégats (S. skandha). Il n’y a rien dans ces mondes qui ne soit pas la création de l’activité mentale. »[6]
« Un seul instant d’activité mentale contient les dix plans des phénomènes
(S. dharmadhātu),
et chacun des dix plans contient le décuple plan des phenomènes, soit cents au
total. Chacun de ces plans contient les trentes mondes (les 10 mondes des cinq
agrégats, les 10 mondes des êtres et les dix mondes de l’environnement[7]),
soit au total trois mille mondes. Du moment qu’il y a activité mentale, les
3000 mondes sont simultanément opérationnels. Sans activité mentale, ils ne le
sont pas. »
Dans ce système les phénomènes (dharma) sont donc simultanément la cause et
l’effet de tous les autres phénomènes. Ce qui peut être illustré par le filet d’Indra ou l’exemple de la chambre des glaces de Fazang (643–712), expliquée
par Zongmi[8]
(780 - 841).
« Si on utilise la métaphore du miroir et de la lampe, c’est comme si on placait un miroir dans chacun des quatres faces et dans les quatre angles d’une pièce, au total huit miroirs. En plus, un miroir est fixé au plafond et sur le sol, ce qui fait dix miroirs en tous. Au milieu, on place une seule lampe. Chacun des miroirs entre (=se reflète) dans les autres. Ainsi, quand un miroir est intégré dans les neuf autres, il accommode les neuf autres en lui-même ».
Avec mes remerciements à Rio sur Seine pour avoir attiré mon attention sur la thèse Tientai des 3000 mondes. Sur des sujets très proches, un article de David Dubois et d'Eric Rommeluère. Et Patrick Carré s'y met aussi...
Illustration : le mont Mérou
[1] Qui
contient notamment le Gaṇḍha-vyūha (T. sdong po brgyan pa), section 45, qui met
en scène la quête de Sudhana.
[2] Les
bouddhas, les bodhisattvas, les bouddhas-pour-soi et les auditeurs
[3] Bouddhisme
et Upanisad Jean Przyluski;Etienne Lamotte, Bulletin de l'Ecole française
d'Extrême-Orient, Année 1932, Volume 32, Numéro 1 p. 141 -169
[4] Zhiyi’s
Great Calming and Contemplation, Hans-Rudolf Kantor, dans Buddhist philosophy,
Essential readings, Oxford University Press, p. 335-337
[5] Zhiyi,
cité par Kantor p. 337.
[6] T.
9.465c, réf. Du texte chinois doné par Kantor..
[7] Les (dix
sortes) êtres en tant que habitants de leurs (dix) mondes respectifs (habitat),
et (chacun des 10) étant constitués de 5 agrégats.
[8]
Commentaire sur le Huayan Faije Guanmen. Dushun’s Huayan Faije Guan Men, Alan
Fox, dans Buddhist philosophy, Essential readings, Oxford University Press, p.
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Merci Janus.
RépondreSupprimerOn peut remplacer le terme "Triple plan" par la "Triple vérité".
C'est à dire que les phénomènes n'ont pas de nature propre et sont non-substantiels, mais ils ont tout de même une réalité temporelle et provisoire.
La troisième vérité c'est à affirmer que ces deux principes sont vrais.
C'est à peu près ce que signifie "La Voie du Milieu" dans l'école Tien t'ai.
Par rapport à d'autres courants, la Voie du Milieu signifie ne pas rentrer des les formes nihiliste de la théorie du Rien, ou dans les écoles de "Rien que pensée", ou bien nier la Loi de Causalité.
Il y a ainsi toute une série de points critiques.
Tout nouveau sur ce blog je vous félicite pour cette belle activité. Trop peu d'inscrits alors qu'il y a tant de merveilles... peut être bien profondes à digérer... Merci à vous.
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