MacMahan du Franklin & Marshall College écrit dans son
article Transpositions of Metaphor and Imagery in the Gaṇḍavyūha and Tantric Buddhist Practice, que les sādhana
tantriques sont le développement ritualiste de la narration des rencontres
entre des Éveillés et des bodhisattvas dans les sūtra du mahāyāna. Selon lui,
c’est le plus évident dans le Gaṇḍavyūha Sūtra (2ème siècle), où est
raconté la rencontre entre Sudhana et Maitreya et Samantabhadra. Maitreya le
conduit dans la « tour (ou palais) des ornements de Vairocana »[1],
qui représente le dharmadhātu,
« le plan de l’ainsité où tous les phénomènes interagissent et où le
microcosme et le macrocosme co-existent. » Vairocana est l’Éveillé en tant
que la personnification du dharmadhātu.
Sa visite devient une mise en abyme sans fin.
Par un seul claquement de doigt, Maitreya fait disparaître
la vision, montrant ainsi sa véritable nature.[2]
Sudhana a alors une vision du bodhisattva Samantabhadra assis sur un lotus (verset 92 et suite),
irradiant des lumières dans tout l’univers, son corps contenant des milliards
de terres pures avec des rivières, des montagnes de joyaux, des forêts, des
villages des formes de vie innombrables. Sudhana voit simultanément le passé,
le présent et le futur des terres pures.[3]
Il atteint les dix états de connaissance parfaite, [4]et
voit que l’intérieur du corps de Samantabhadra contient d’innombrables terres
pures où des Éveillés enseignent le Dharma au milieu d’assemblées de
bodhisattvas, et d’innombrables mondes dans tous les pores de corps de
Samantabhadra. En voyant le monde tel qu’il est, il voit que tous les
phénomènes sont à la fois distincts et pénétrant (S. praveśa T. ‘jug) tous les
autres phénomènes, pénétrant lui-même le dharmadhātu, ce qui lui permet d’atteindre l’état « égal
à Samantabhadra ». Pour MacMahan, la description détaillée du palais, du
bouddha central et son entourage, préfigurent les maṇḍala et les consécrations. Dans ces représentations,
les bouddhas sont représentés comme des véritables monarques universels
(cakravartins) présidant sur des cercles de bodhisattvas. Le symbolisme et les
attributs utilisés sont alors ceux du monarque universel ou d’un suzerain (S. rājādhirāja)[5].
A l’image de la consécration de Maitreya, intronisé comme
régent (S. yuvarāja)
par le Bouddha avant que ce dernier ne descende de Tuṣita pour prendre
naissance sur la terre et de conduire sa carrière de Bouddha. Il y a clairement
un parallèle entre le prince héritier lors de son investiture et le bodhisattva
de la dixième bhūmi au moment où il devient «Roi du dharma».[6]
Le tantrisme est centré sur les rites de consécration (T. dbang S. abiṣeka) des bodhisattvas,
comme Sudhana, en voie de devenir de véritables bouddhas. L’excellent livre de
Ronald Davidson Indian Esoteric Buddhism explique comment les rites de
consécration/couronnement (S. abhiṣeka)
dans le bouddhisme indien sont calqués sur les rites de la consécration royale[7].
Ce premier type de tantras bouddhistes se développe dans un cadre monastique en
prolongement des sūtras
du mahāyāna et en s’appuyant sur les rites de couronnement. Ils étaient très
appréciés par les classes gouvernantes, utilisant la religion pour renforcer
leur pouvoir et pour organiser les cérémonies. Cela était valable pour l’Inde,
comme pour la Chine (mandarins) et ailleurs. Les moines bouddhistes spécialisés
en tantras n’étaient pas les seuls adeptes de mantras (mantrins) et
d’incantations (dhāraṇī) à la cour. La
concurrence avec les maîtres ésotériques d’autres religions (shivaïstes,
jains…) était féroce. Les uns étaient influencés par les autres et l’on
s’adaptait évidemment à la demande en empruntant aux uns et aux autres[8].
Un autre type de tantras avait été développé dans le milieu des siddhas. Le phénomène des siddhas, qui plonge ses racines dans la
mythologie indienne et la recherche de l’immortalité et du nectar de
l’immortalité, avait influencé pratiquement toutes les religions indiennes. Les
théories sur le nectar de l’immortalité et sa nature varient. Le mouvement
Kaula qui vient de Macchanda ou Matsyendranātha, a eu une très grande influence
sur le phénomène des mahāsiddhas
bouddhistes. Les hagiographies racontent comment des moines bouddhistes, ayant
pratiqué les tantras (donc du premier type), sont insatisfaits des résultats,
rendent leurs vœux et partent à la recherche de siddha-vidyādhara (T. rigs sngags ‘chang
ba grub pa po)[9] humains (mahāsiddhas). Les
instructions et les méthodes (alchimie, kaula, cultes locaux…) qu’ils trouvent
et reçoivent sont progressivement intégrées dans le système de tantras
classique, et formeront une nouvelle catégorie, les yoginī-tantra davantage sexués. Davidson cite le Guhyasamāja« [Nous parlons de] l’égarement, de l’aversion et du désir ; mais le
désir se trouve toujours dans le vajra [pénis]. Ainsi, les moyens habiles (S.
upāya) des bouddhas
sont compris comme le vajrayāna. »[10]
Jusqu’alors, le vajra, tenu dans la main (T. phyag na rdo rje) par Vajrapāṇi,
était le sceptre symbolique de la protection[11]
exercé par Vajrapāṇi contre l’influence de Māra ou [Śiva] Maheśvara dans les monastères bouddhistes.[12] (Voir le billet de Dan Martin sur le vajra comme ustensile rituel, emblème et symbole (en anglais)).
Cette nouvelle approche en revanche est inclusiviste et fait feu de tout bois.
Cette nouvelle approche en revanche est inclusiviste et fait feu de tout bois.
Illustration : Vajra, Cambodge, Post-Bayon (1250-1431) bronze, Musée Guimet, MA 1617
[1] “tower
[or palace—again, a kūṭāgāra] of the adornments of Vairocana.” The palace
represents the dharmadhātu, the realm of suchness wherein all phenomena
interpenetrate and the microcosm and macrocosm become co-extensive.
[2] “This is
the nature of things; all elements of existence are characterized by
malleability and impermanence, and are controlled by the knowledge of the
bodhisattvas; thus, they are by nature not fully real, but are like illusions,
dreams, reflections.”
[3] Voir
l’Hymne du dharmadhātu,
à partir de verset 92.
[4] Voir
l’Inconcevable, verset 81
[5] Indian
Esoteric Buddhism, A social history of the tantric movement, Ronald M.
Davidson.
[6] Mantras
et mandarins, Michael Strickmann, p.85
[7] Indian
Esoteric Buddhism, A social history of the tantric movement, Ronald M.
Davidson, p. 122
[8]
Davidson, p. 191
[9]
Davidson, p. 196
[10] Davidson,
p. 197 Guhyasamāja XVIII.52 : « moho dveṣas tathā
rāgaḥ sadā vajre ratiḥ sthitā/ upāyas tena buddhānam vajrayānam iti smṛtaṃ. »
[11] Comme
un daṇḍa, le bâton
de la loi
[12]
Davidson, p. 197
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