Le religieux et le spirituel ne sont pas la même chose. L’expérience
spirituelle est tournée vers « l’intérieur », vers l’invisible. Le
religieux part de l’expérience spirituelle et tente de rendre visible l’invisible.
Parler de l’expérience spirituelle, la nommer, est déjà s’en éloigner. Tout en
s’en éloignant, on pourrait cependant dire que c’est une sorte de retour à la
source, à laquelle on peut donner divers noms : Dieu, l’être, la vacuité… Quand
on en fait un objet, c’est pour en faire quelque chose. Tout objet naît d’ailleurs
d’un besoin ou d’une impulsion. Sans ce besoin, même « le spirituel »
n’existerait pas. Une fois qu’il est un objet, d’abord symbolique, il devient
manipulable. Il peut alors faire l’objet d’un culte, d'un stage, on peut le poser quelque
part, l’accrocher, le transporter, le montrer, le prendre en photo, le transmettre, le vendre, en
faire un produit, une commodité etc.
Du moment que le spirituel, devient un objet, on entre dans
la religion. Et la religion, dit Régis Debray[1],
est tourné vers le collectif. Elle cultive « l'union de l'individu à son milieu, en constellant son environnement de
temples, calvaires, mosquées ou synagogues, en donnant une école à ses enfants,
et une tombe au géniteur. Assumant jusqu'au bout « l'inchronisation » de
l'Éternel, le travail religieux assume la chair du monde pour en faire lever la
pâte. Il ajoute à la fusion des cœurs l'agencement des jours, en renforçant la
cohésion du groupe par toutes sortes de pratiques dévotionnelles, où chacun retrouve
chacun. Le spirituel s'arrache à l'espace quotidien ; le religieux l'occupe. »
Et encore :
« Le spirituel se prépare à la mort, le religieux prépare les obsèques. Aux méditations solitaires de l'un répond le soin que prend l'autre de la liturgie — étymologiquement, le service du peuple [T. gzhan don]. Il y a des religions sans orthodoxie, il n'en est pas sans orthopraxie — régulation des conduites dont le spirituel peut se passer. On reconnaît ce dernier à ceci qu'il récuse les définitions (à commencer par celle du spirituel), les momeries, les corsets, les passeports et le droit canon. C'est un transfrontières. L'expérience vécue d'union avec le divin traverse les cultures du monde. Aussi les spirituels de toutes confessions peuvent-ils se réunir, à Fès ou ailleurs, de préférence en musique, langue fusionnelle et sans âge. Les religieux n'ont pas la même latitude. Captifs, malgré qu'ils en aient, d'une mémoire et d'un sol, ces conducteurs d'hommes se doivent d'abord à leurs dogmes, leurs bannières et leurs fidèles. »
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